Economie

La privatisation de la filière café, un processus atténué

Dans le cadre de la politique d’ajustement prônée par les institutions de Bretton Woods (Banque Mondiale et FMI), la privatisation des entreprises publiques totales ou partielles  avait été décidée selon le caractère stratégique de chacune. La filière café qui était encore totalement dans les mains de l’Etat a été ciblée parmi les secteurs prioritaires à privatiser. Un processus qui boîte et dont l’apport aux caféiculteurs reste minime

Joseph Ntirabampa, président du CNAC : « Actuellement, la CNAC est composée de 7 fédérations qui représentent 156 unions regroupées dans 167 coopératives »

De nombreuses réflexions sur la privatisation de la filière café ont été initiées par les bailleurs de fonds, en vue d’aider le gouvernement à assainir son économie et à améliorer les performances des entreprises afin de devenir moins dépendant des subventions de l’Etat.  En 2007, lors de la planification de la privatisation de la filière café, le Président de la République a déclaré que le café appartenait aux producteurs tant qu’il n’était pas exporté, un arrangement permettant de gérer partiellement la filière et d’avoir des droits sur 72% des revenus issus des ventes de café sur les marchés internationaux.

Cependant, le gouvernement burundais s’est orienté en 2008-2009 vers une privatisation complète de la filière. Des stations de lavage du café ont ensuite été vendues à des acteurs privés, entraînant des impacts potentiellement négatifs sur les revenus des producteurs, y compris en termes de volatilité.

De la genèse à l’heure actuelle

La loi n° 1/03 du 7 mars 1996, portant modification du décret-loi n°1/21 du 12 août 1991 relatif à la privatisation des entreprises publiques, autorise à réaliser un programme de privatisation qui peut porter sur le capital ou la gestion d’une SPP (société à participation publique). Elle précise que la privatisation du capital peut se faire sous forme de cession de tout ou partie des actions de l’État, l’acquéreur étant soit une personne physique soit une personne morale de droit privé, moyennant paiement du prix.

« Les premières réformes de la filière café ont été orientées vers la privatisation de la gestion, la libéralisation de certaines fonctions et la restructuration de certaines entités » explicite René Nsabimana, chercheur à l’IDEC  dans son étude « L’impact de la privatisation, libéralisation de la filière café : Les leçons apprises et perspectives d’avenir pour les filières »

Les stations de dépulpage et de Lavage(SDL) ont été cédées aux sociétés de gestion  des stations de lavage (SOGESTAL) tout en y ayant des actions.

En 1990, on a commencé avec la libéralisation et à partir de 2009 avec la privatisation. Sur 133 SDL (sociétés de dépulpage et de lavage), 13 SDL ont été cédées en 2009 (première phase), 28 SDL en 2011 (deuxième phase). Dans l’application de  ces deux phases, les caféiculteurs n’ont pas été consultés.

Après les négociations, le gouvernement a constaté que la privatisation ne peut pas se faire sans que les caféiculteurs ne soient consultés. Mais ces caféiculteurs ont désisté la part réservataire de 25% que le gouvernement leur avait proposé durant les deux premières phases. La 3eme  phase de la privation concerne la cession de 45 parmi 77 SDL qui restent. « C’est ainsi que le gouvernement a accepté de céder aux caféiculteurs 32 SDL durant cette phase », indique M. Ntirabampa

Pour faciliter le processus de privatisation, la loi n°1/01 du 09 février 2012, portant révision de la loi n°1/03 du 19 février 2009 relative à la privatisation des entreprises à participation publique, des services et des ouvrages publiques, met en place un comité interministériel de privatisation (CIP). Celui-ci est chargé de mettre en œuvre la politique de privatisation et les opérations y relatives. Cette loi assigne au Service Chargé Entreprises Publiques (SCEP) le rôle technique du CIP. Mais depuis la fin de la deuxième phase, malgré les toutes les structures mise en place, la politique semble se clôturer en queue de poisson.

Une stratégie dénoncée par les caféiculteurs

Joseph Ntirabampa président de la Confédération Nationale des Associations des Caféiculteurs du Burundi (CNAC-MURIMA-W’ISANGI) dit que cette politique de désengagement  n’est pas bien menée. Les pertes en sont énormes pour les producteurs. « Par exemple, en 2010, alors que le prix garanti était de 490 FBu/kg, ce qui correspond à 72% du prix total d’un kg de café, Les producteurs ont été payés que 350 FBu, ce qui correspond à 51% du Prix de vente, faisant perdre ainsi aux caféiculteurs un montant de 140 FBu/kg.

Il dénonce  aussi un manque de transparence sur les revenus du café de la campagne 2011-2012 : la fixation d’un prix au producteur sur base de 72% des revenus ayant abouti à 630 FBu/kg de café cerise. Alors que le prix définitif était antérieurement fixé à la fin de la campagne-café, les SOGESTALs n’ont pas déclaré comment le café a été vendu. Les 72% de revenus qui revenaient aux producteurs par les repreneurs et les SOGESTALs ont été supprimés, sans aucune étude à l’appui.

En 2013, Olivier De Schuster, Rapporteur Spécial auprès des Nations Unies pour le droit à l’alimentation et Cephas Lumina, Expert Indépendant sur la dette extérieure et ses effets sur les droits de l’homme tirent l’alarme à propos de la privatisation de la filière café burundaise encouragée par la Banque Mondiale. Ils appellent à la suspension du programme de privatisation jusqu’à la conclusion d’une étude d’impact complète de la réforme sur les droits humains. « … le pays est en train de réformer la filière café d’une manière qui risque de déstabiliser les moyens de subsistance d’un grand nombre de petits producteurs », mettent en garde les deux experts.

Les caféiculteurs ont réalisé beaucoup d’investissements dans les plantations et l’entretien des caféiers, mais leurs revenus ne sont pas proportionnels aux efforts fournis. « Cette privatisation ne fait que profiter aux seuls investisseurs étrangers alors que ladite stratégie prétendait contribuer à la lutte contre la pauvreté et à l’augmentation des revenus des producteurs », dit la CNAC.

Des acteurs institutionnels comme la Banque Mondiale devraient soutenir les Etats dans leurs tentatives de réformer des secteurs économiques importants, mais selon des modalités qui n’exposent pas les paysans vulnérables aux aléas des marchés.

A propos de l'auteur

Dona Fabiola Ruzagiriza.

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