Spéciale Agriculture

Nyeshenza, la « Mecque » du vin de banane (Rugombo)

Le vin de banane communément appelé Rugombo ou Urwarwa est une boisson alcoolisée appréciée par beaucoup de Burundais. Au marché de Nyeshenza, il est roi. Il procure un revenu à des milliers de familles et fait entrer des taxes consistantes dans la caisse de la commune Mugina. La transformation industrielle et la conservation pourraient augmenter la valeur ajoutée à ce breuvage qui n’a plus besoin d’être présenté

Bien qu’il y ait une commune qui partage le nom avec ce breuvage, ce n’est pas à Rugombo où il est densément commercialisé. Le marché de Nyeshenza s’est créé une réputation infaillible dans la production et la commercialisation de Rugombo de bonne qualité très apprécié dans différents coins du pays. Les lundis et les vendredis, une noria de camions quitte Bujumbura de bonne heure pour aller s’approvisionner au marché de Nyeshenza. D’autres véhicules en provenance de différentes provinces du pays convergent également vers Nyeshenza pour faire le plein de Rugombo.  Ce marché ouvre très tôt le matin. A midi, c’est déjà fini. Les camions chargés reprennent le chemin du retour

Depuis sa fabrication jusqu’au consommateur final, Rugombo fait vivre beaucoup de personnes. Les agents fiscaux ont du boulot grâce à cette boisson. Il y a aussi ces gars costauds qui s’occupent du chargement et du déchargement de ces gros bidons de Rugombo appelés « Bagage »

Un marché grouillant d’animation

Le reporter de Burundi ECO y a débarqué le 15 février 2019 à 7 h 45’ du matin. Il a été frappé en premier lieu par l’ambiance qui y régnait. C’était grouillant de monde et chacun vaquait à ses occupations sans se préoccuper des autres. Les gros bras chargeaient à tour de bras de gros bidons dans les camions. Les mamans assises devant des rangées de bidons de Rugombo essayaient tant bien que mal d’attirer les clients. Les acheteurs exigeants goûtaient à chaque bidon de 20 l avant d’autoriser leurs travailleurs à verser le contenu dans de gros bidons rangés tout près des camions. Il y a beaucoup de bruit. Il faut hausser le ton pour se faire entendre. L’endroit sens le vin de banane à plein nez.

Boire le calice jusqu’à la lie

Le reporter de Burundi ECO a d’abord approché une dame assise devant 5 bidons jaunes de 20 l chacun. Cette dernière lui a tendu spontanément un chalumeau de petit calibre : « Honja iraryoshe!» (Goûtes c’est bon). Le journaliste s’exécute. Le vin est bien fermenté, corsé mais un peu amer ! « Iyoroshe bayimaze » (celui qui est doux est déjà terminé), annonce-t-elle à haute voix. Elle a juste le temps de lui dire à la volée qu’elle est venue avec 10 bidons d’Insongo, c’est-à-dire Rugombo de premier qualité. Elle en avait déjà vendu 5 à raison de 18  mille ou 20 mille FBu pièce. Après que le reporter lui ait annoncé qu’il est journaliste, la dame s’est beaucoup étonnée que les journalistes s’intéressent autant au Rugombo!    Qu’est-ce que vous voulez savoir ?, lui a-t-elle demandé du tic au tac. Quand ce dernier lui annonce qu’il aimerait parler de l’importance du Rugombo pour la population de Nyeshenza, la dame s’est empressée de lui dire de revenir plus tard « parce qu’il y a  encore du travail à faire». La conversation s’est arrêtée là. Le reporter n’a même pas eu le temps de lui demander son nom. La courageuse dame était déjà passée à autre chose. Elle était déjà en train de tendre le chalumeau à un nouveau venu apparemment plus intéressant pour elle.

Cibitoke mérite bien son nom

La banane s’appelle « igitoke » en Kirundi. Cibitoke, le nom de la province est donc le dérivé de ce nom. Sans doute que la banane est importante et même très importante dans la vie d’une bonne partie de la population de cette province. Les variétés de banane cultivées pour la production du vin de banane sont « Igisubi », « Mugomozi », « Metero 5 » entre autres. Les deux premières variétés sont en voie de disparition, cédant la place à « Metero 5 » qui domine dans les champs de Cibitoke qu’on appelle « Ibigobe ». Nyeshenza n’est pas le seul marché d’approvisionnement en vin de banane. La province de Cibitoke possède au moins 4 autres marchés importants connus. Bien entendu Nyeshenza se classe en premier en termes de volume de Rugombo qui s’y échange. Mais il y a aussi celui de Ruce qui est situé à Ruhwa près de la frontière rwandaise. A côté de ces deux marchés qui se classent en premier pour la commercialisation de Rugombo, il y a ceux de Rubirizi et de Bwayi. Sans nul doute, la province de Cibitoke se classe loin en tête dans la production du vin de banane au niveau national. Le budget primitif 2018-2019  de la commune de Mugina prévoit que le Rugombo fera entrer dans sa caisse 91,2 millions de FBu  de taxes sur chargement plus  26,8 millions de FBu qui seront perçus sur les bidons vendus. Cela fait un total de plus ou moins 118 millions de FBu.

Le budget primitif 2018-2019 de la commune de Mugina prévoit que le Rugombo fera entrer dans sa caisse 91,2 millions de FBu de taxes sur chargement auquels il faut ajouter 26,8 millions de FBu qui seront perçus sur les bidons vendus. Cela fait un total de plus ou moins 118 millions de FBu.

La commercialisation de Rugombo, une bonne affaire 

Depuis sa fabrication jusqu’au consommateur final, Rugombo fait vivre beaucoup de personnes. A côté des taxes que ce commerce génère, il y a les agents fiscaux qui ont du boulot grâce à cette boisson. Il y a aussi ces gars costauds qui s’occupent du chargement et du déchargement de ces gros bidons de Rugombo appelés « Bagage ». Et, évidemment, qui en profitent pour boire gratuitement. On refuse rarement aux gens « gusoma umusa » (tirer gratuitement un coup de chalumeau) au marché de Nyeshenza. Même les inconnus se désaltèrent gratuitement. Ensuite il y a les chauffeurs, les propriétaires de véhicules et les détaillants qui tirent leur épingle du jeu sans oublier les vendeurs de gros qui se taillent la part du lion dans ce commerce. Le Bagage  de 160 à 180 l (8 à 9 bidons de 20 l) d’Urwarwa (vin de banane de 2ème qualité) se négocie à 60 mille ou 70 mille FBu alors que le bidon de 20 l est vendu à 20 mille FBu au détail. Cela fait entre 160 mille et 180 mille FBu par « Bagage ». Quant au détaillant, il achète le bidon de 20 l  (à peu près 30 bouteilles de 72 cl) à 20 mille FBU. Le prix de la bouteille  d’Urwarwa à la buvette est de 1000 FBu à Bujumbura. Cela  fait 30 mille FBu par bidon, soit une marge bénéficiaire de 10 mille FBu par bidon. Certains grossistes sont en même temps détaillants. Ils éliminent les intermédiaires pour augmenter la marge bénéficiaires. C’est le cas d’Eugène Sakubu rencontré au marché de Nyeshenza qui possède un bar de Rugombo à  Kamenge  à l’endroit communément appelé « Terminus ». S’il vend au détail à Kamenge, il possède aussi une grande plantation de bananiers et presse lui-même le Rugombo qu’il transporte à Bujumbura. Quand il n’a pas la quantité voulue, il achète ce breuvage aux autres producteurs et cela lui fait une marge bénéficiaire consistante.

Un procédé strict pour fabriquer un bon Rugombo

Il faut observer certaines règles pour faire un bon Rugombo comme nous l’a révélé M. Sakubu. On coupe le regime de banane puis on le laisse se vider de la sève du tronc pendant 5 jours. On l’enfouie dans le sol pendant 5 autres jours pour qu’elle puisse mûrir. Ensuite on déterre les fruits mûrs   qu’on décortique et qu’on presse avec l’herbe pour avoir le jus concentré. Après on ajoute de l’eau et on récupère le jus moins concentré. On fait fermenter le jus avec du sorgho qu’on appelle « Agashari ». Le jus concentré fermente pendant 4 jours et devient Insongo ou Inziramazi, le moins concentré devient Urwarwa ou Rugombo. Il faut savoir doser l’ « agashari » qu’on met dans le jus pour la fermentation, au cas contraire on aura un Rugombo amer qu’on appelle « inkevya ».

Les écueils ne manquent pas

Les endroits où on vend  Rugombo sont parfois insalubres et en proie au désordre. Ceux qui en prennent font parfois du tapage et oblige l’autorité à intervenir.  Il arrive que l’administration ferme certaines buvettes de Rugombo et verse ce breuvage  par terre pour décourager les exploitants. A la question de savoir pourquoi ils ne pourraient pas travailler dans des endroits propres pour éviter les problèmes avec l’administration, Emmanuel Zihabandi rencontré au marché de Nyeshenza, vice-président de l’AVVB (Association des Vendeurs du Vin de Banane) qui est devenu depuis 2017  COVVB (Coopérative des Vendeurs du Vin de Banane)  a indiqué que cela ne gêne pas tant que ça les clients, mais qu’ils essaient de se conformer aux exigences de l’administration. C’est justement pour avoir un cadre de dialogue avec cette dernière, mais aussi pour se conseiller et s’entraider mutuellement qu’ils ont mis en place cette association.

Transformer  le Rugombo pour augmenter sa valeur ajoutée. Oui mais…

Quelques entreprises se sont déjà lancées dans la transformation de la banane en vin. Mais ces initiatives restent au stade embryonnaire. IMENA de Kayanza fabrique Hozagara avec un degré alcool volatile de 16%. Une bouteille de 33 cl de ce vin coûte 1200 FBu, c-à-dire 2618 FBu pour une bouteille de 72 cl habituellement utilisée dans les buvettes. C’est relativement cher   par rapport  à l’Insongo  artisanalement produit dont la bouteille de 72 cl coûte 1500 FBu. Un boutiquier de Nyakabiga qui a requis l’anonymat pense que le prix est le principal obstacle à la commercialisation de l’Urwarwa produit dans les usines. Les consommateurs  d’Urwarwa n’ont pas beaucoup de moyens. Si c’est cher, ils n’achètent pas. Les producteurs et les vendeurs pourraient s’organiser en association pour mettre sur pied une unité de transformation de la banane qui produirait l’Urwarwa de bonne qualité en grande quantité, moins cher et probablement exportable. Cela lui donnerait de la valeur ajoutée. L’idée commence à germer, mais cela prendra du temps pour réunir les moyens nécessaires, a indiqué le responsable de la COVVB. Le rôle du ministère du Commerce et de l’Industrie n’est certes pas de transformer les produits agricoles, mais il encadre et encourage  le secteur de l’industrie. Il accompagne ceux qui se lancent dans la mise sur pied des usines et leur accorde même certaines facilités. A titre d’exemple il leur octroie le terrain gratuitement, sans oublier les exonérations pour les nouvelles entreprises qui sont du ressort du ministère de Finances.  

A propos de l'auteur

Parfait Nzeyimana.

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