Cooperation

La Suisse apporte son expertise dans la réduction des conflits fonciers

La Coopération Suisse est très active au Burundi depuis une dizaine d’années et dans plusieurs domaines, dont la santé, la nutrition, les violences basées sur le genre, la promotion de l’entreprise, la décentralisation ainsi que dans le secteur foncier. Burundi Eco nous amène à la découverte de ce qui a incité la Coopération Suisse à s’impliquer dans un domaine si complexe. C’est dans un entretien avec Elisabeth Pitteloud Alansar, directrice du Bureau de la coopération Suisse au Burundi.

Elisabeth Pitteloud Alansar, directrice du Bureau de la Coopération Suisse au Burundi (Département Fédéral des Affaires Etrangères).

Burundi ECO : Pourriez-vous nous expliquer pourquoi la Coopération Suisse s’est engagée dans le secteur foncier ?

Elisabeth Pitteloud : La terre au Burundi est une ressource  de survie pour plus de 90% de la population, qui vit essentiellement de l’agriculture. Si l’on regarde la situation et l’évolution du pays, la dimension foncière est  centrale dans la mesure où elle détermine l’accès à la terre, la production agricole, la sécurité alimentaire des ménages, mais également la cohésion et la paix sociale. Or, bon nombre de conflits dans les collines ont pour origine les litiges fonciers dont certains conduisent parfois à une grave criminalité Depuis 2008, un programme d’intervention dans ce domaine a démarré avec comme objectif de contribuer à la réduction des conflits fonciers, à la promotion des droits fonciers des femmes, à l’investissement et à la valorisation des terres. La Suisse est engagée au niveau local en soutenant la mise en place et le fonctionnement des services fonciers communaux à travers le renforcement des capacités, l’équipement et le développement de toute une série d’outils, de mécanismes qui permettent de réaliser la reconnaissance,  sur le terrain, des droits détenus par les usagers fonciers et l’établissement des certificats fonciers. On constate que les certificats fonciers permettent d’accéder au financement (via l’accès aux crédits) et permettent aux ménages de faire de petits investissements pour améliorer leurs revenus. Au niveau national, la Coopération suisse a par ailleurs beaucoup œuvré pour contribuer à l’amélioration du cadre légal qui régit le secteur foncier.

B.E. : De nombreux facteurs spécifiques au Burundi compliquent la gestion de cette problématique ? Pouvez-vous nous expliciter votre perception de cette complexité?

E.P. : Le secteur foncier est très complexe et il fallait du courage pour s’engager à soutenir  ce domaine. Il y a des facteurs de compétence et d’expertise dans un premier temps, mais cela demande aussi la mise en place de tout un mécanisme au niveau des communes. Il est souhaitable que les communes considèrent la gestion foncière comme un service essentiel offert aux usagers, avec la même nécessité que le service de l’état-civil. Il faut également que la population comprenne l’intérêt et les conséquences positives de pouvoir disposer d’un certificat foncier. Car ce document officiel permet de sécuriser leur terrain sans oublier qu’il donne accès à une garantie pour un prêt. Les questions foncières sont difficiles à résoudre car elles sont à l’origine de nombreuses tensions sociales et familiales. Ces tensions augmentent avec la pression démographique, le morcellement des terres ainsi que les mouvements de la population aussi bien internes et qu’externes. J’ajouterais la question de l’accès des femmes à la terre, d’autant que la coutume burundaise n’est pas favorable à l’héritage des femmes alors qu’une loi sur la succession de celles-ci est toujours inexistante. Bref tout cela constitue des enjeux, des difficultés qu’il faudra traiter en profondeur dans l’avenir.

B.E. : Quelles sont les principales victimes de ces conflits fonciers parfois intra-familiaux ?

E.P. : Les principales victimes sont celles qui n’ont pas pu faire valoir leurs droits du fait qu’elles ont dû quitter leur pays, ont été spoliées de leurs terres. De plus, les femmes sont souvent marginalisées dans l’accès à la terre et voient leurs droits peu reconnus. La croissance démographique est également un enjeu majeur pour le futur : les terres sont toujours plus morcelées et les espaces de vie deviennent de moins en moins viables économiquement pour les familles.

B.E. : Qu’en est-il des résultats escomptés ?

E.P. : En termes de résultats au niveau local, entre 2010 et 2017, le programme a permis que 64 000 certificats fonciers soient délivrés et plus de 200 000 terres reconnues. Pour les 6 communes appuyées par le programme dans la province de Ngozi, cela représente 45 % des terres. C’est à la fois beaucoup puisqu’on partait de zéro, mais c’est peu au regard de la surface nationale. Pour couvrir la totalité du territoire, il faut un engagement politique national et des partenaires d’envergure capables de développer un tel programme à l’échelle du pays.

Dans les communes qui disposent de services fonciers dont la plupart ont été créés avec  l’appui de partenaires externes, on constate que 70 % des conflits ont été réglés à l’amiable au niveau local grâce à la médiation des commissions de reconnaissance collinaire. La conséquence directe est éloquente : une forte réduction des   conflits fonciers  portés au tribunal de première instance.

B.E. : Votre programme d’appui prend fin en décembre 2017. Comment et à qui allez-vous passer le relais ?

Oui, le programme prend fin cette année. Même si nous ne continuons pas avec un focus spécifique sur le secteur foncier, nous voulons consolider ce que nous avons acquis et l’équipe, qui a travaillé sur ce programme, va se constituer en un pool d’experts qui resteront ainsi à la disposition d’autres partenaires et du gouvernement.

Aujourd’hui, il y a d’autres organisations engagées dans le secteur foncier. Elles ont dans leur programme d’intervention des secteurs essentiels et primordiaux tels que la sécurité alimentaire, la production agricole, la restauration du paysage…. Ce sont des domaines d’intervention qui doivent prendre en compte la dimension foncière.

L’objectif fondamental poursuivi était également de réaliser des modèles applicables  qui puissent être repris par d’autres programmes et partenaires. Il faut prendre en compte le fait qu’on utilise des outils informatiques performants et originaux et qu’hélas, toutes les communes ne disposent pas de tout l’outillage informatique nécessaire. Heureusement, les services fonciers développés avec l’appui de la Suisse peuvent aussi fonctionner manuellement. Soyons réalistes, la Suisse n’a ni la taille, ni les ressources, pour développer un tel programme à l’échelle nationale. L’objectif est de mettre à disposition des autorités locales, des ministères de tutelle, mais aussi des partenaires qui souhaitent soutenir cette approche, des outils pouvant être développés dans d’autres communes puis à l’échelle du pays tout entier.

B.E. : La Suisse a une grande expérience en matière de décentralisation administrative. Cette expertise vous a-t-elle guidée dans vos programmes d’appui au Burundi ?

E.P. : La Suisse accorde une grande importance à la gouvernance locale, à la responsabilité au niveau local, communal, provincial. Avec ces pouvoirs et responsabilités décentralisés, les autorités locales peuvent ainsi développer une responsabilisation citoyenne et un devoir de redevabilité. C’est de notre point de vue une dimension essentielle, à soutenir et encourager. Nous considérons en effet qu’un pays doit amener ses citoyens à jouer un rôle actif dans l’élaboration et la gestion de projets liés à l’éducation, à l’économie, à l’infrastructure, aux services à la population. Bref, il s’agit de la politique locale et citoyenne chère à la Suisse, le premier maillon de la démocratie et de la gestion participative.

                                                                                                                      Propos recueillies par

                                                                                                                           Bella Sonia Ndamiye

A propos de l'auteur

Bella-Sonia Ndamiye.

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