Suite à un événement traumatisant, un ressentiment puis des discours de vengeance peuvent surgir. Une réaction naturelle selon un expert en justice transitionnelle, mais qui constitue un frein à la réconciliation dans une société post-conflit
« De manière générale, la vengeance est une volonté de restaurer un équilibre ébranlé en répondant à une offense par une contre-offense », indique Pascal Ntakirutimana, expert en justice transitionnelle. Il ajoute qu’au-delà de cela, c’est un acte d’origine émotionnelle justifiée par la frustration ou la haine d’une catégorie de personnes qui a causé un tort directement ou indirectement. Et cette vengeance est étroitement liée aux émotions négatives telles que la colère, la rage ou l’humiliation et elle évolue autour de l’honneur, de la recherche de la justice, de l’équité et de l’équilibre du pouvoir, explique-t-il.
Le désir de se venger est une réaction naturelle qui se manifeste après un évènement traumatisant, selon l’expert. Et les discours qui ressortent de ce désir s’expliquent par le besoin de sortir un esprit de l’injustice. « Les gens se sentent dans l’injustice, dans l’humiliation et de là ils essaient de chercher l’honneur, la réputation de leurs groupes ».
Et pourtant, ce désir et ces discours sont dangereux
Ntakirutimana rappelle que la société burundaise est segmentée, composée de plusieurs catégories sociales. Le plus souvent dans une telle société marquée par plusieurs conflits, les discours de vengeance se caractérisent de manière générale par des accusations en miroir entre ces différentes catégories de groupes. « Ici chez nous, les Hutus et les Tutsis s’accusent mutuellement d’avoir subi une injustice de la part de l’autre groupe. Donc, la grande caractéristique du discours de vengeance, ce sont ces accusations réciproques entre les différentes catégories sociales », donne-t-il en exemple.
Ces accusations ne sont pas néanmoins sans conséquences pour une société post-conflit comme le Burundi. Une société qui a besoin de rétablir les relations entre les différentes catégories sociales. Le langage de vengeance compromet ainsi la quête de la réconciliation et remet en cause la volonté de vivre ensemble.
Pire encore, l’expert en justice transitionnelle explicite que selon le principe de réciprocité et de solidarité, le discours de vengeance devient en fait comme un système de régulation des conflits et qu’au final il débouche sur des violences de masse. « En d’autres termes, les membres de la société touchés par la vengeance peuvent aller, à leur tour, organiser une contre vengeance et là, la vengeance devient un cercle vicieux. Et si la vengeance devient un cercle vicieux, la société devient violente et la réconciliation impossible »
« Surmonter à tout prix les désirs de vengeance »
Au nom du bien vivre ensemble et d’une paix durable, le meilleur exercice à faire est de savoir maîtriser ses émotions. Pour cela, l’expert conseille une thérapie : « Il faut aller au-delà de nos émotions de base en essayant par exemple d’écrire ce que nous ressentons. Cela nous permet de les accepter et de les clarifier ». Sinon, il propose que ce qui est ressenti soit discuté avec les autres, des personnes de confiance qui peuvent écouter sans juger ou encore il faut initier des activités qui permettent de faire sortir la colère. Cet exercice permettra ainsi d’éviter des discours diabolisant ou des accusations en miroir entre les groupes mais au-delà de cela il peut soulager, affirme-t-il.
Mais également comme le souligne Ntakarutimana, pour éviter la prolifération des discours de vengeance, le gouvernement doit initier une justice transitionnelle efficace et indépendante. Dans cette même logique, il conseille au gouvernement d’initier un cadre de débat et de dialogue qui permet à la population de surmonter ses émotions et ses désirs de vengeance.