La ville de Bujumbura est en pleine extension. De nouveaux quartiers naissent en dépit des normes urbanistiques en vigueur. Clovis Iriho, doctorant en socio-anthropologie à l’Université du Burundi livre son analyse sur les problèmes d’urbanisation et l’occupation anarchique du territoire. Il dégage également des pistes de solutions pour faire de la ville de Bujumbura un habitat sûr, résilient et durable.
Bujumbura est la grande ville, et depuis 2018, la capitale économique du Burundi. Localisée au Nord-Est du Lac Tanganyika, elle a été fondée en 1896 par les Allemands pour des raisons administratives du territoire. Son histoire rapporte que la commune urbaine a, jusqu’au début de la décennie 80, occupé une partie de l’actuelle commune Mukaza.
Cependant, dès l’aube du 21ème siècle, elle connaît une extension spectaculaire. Dans la périphérie, la ville continue de consommer avec avidité les espaces tandis qu’à l’intérieur les espaces vides ont complétement disparu. Toutefois, cette urbanisation est soumise à plusieurs facteurs tant géomorphologiques qu’urbanistiques. La combinaison de ces facteurs inquiète quant à l’avenir de la ville. Entre urbanisation et urbanité, comment comprendre l’extension de la ville de Bujumbura dans un contexte où son site fait face à des défis qui le rendent instables ?
Cet article est le résultat des observations réalisées entre février et avril 2023 dans cinq nouveaux quartiers du nord-est. Il s’agit de : Mugoboka, Gikungu, Gihosha, Muyaga et Nyabagere. Dans ces quartiers, on observe l’occupation rapide du territoire alors que les normes d’urbanisation ne sont pas prises en compte. Aussi, des catastrophes constituent une menace réelle sur ces constructions érigées sur des sites à haut risque. Ainsi cet article a pour objectif de plaider pour la prise des mesures qui peuvent rendre la ville de Bujumbura un milieu de vie sûr et durable.
Contraintes du site de la ville
La ville de Bujumbura se trouve dans la plaine du Lac Tanganyika qui est à l’Ouest, tandis qu’à l’Est se trouvent des contreforts (les Mirwa) qui la dominent. « Au début, la ville s’est installée sur la terrasse lacustre comprise entre la Ntahangwa au Nord et la Muha au Sud, aux environs de la courbe de niveau 800 mètres. Par la suite, l’extension s’est poursuivie vers le lac Tanganyika à l’Ouest et sur les premières pentes du Mumirwa, versant du graben. » (Sirven, 1984). Aujourd’hui, la ville a largement dépassé ces frontières. Elle est de ce fait traversée par des rivières à cours instable qui provoque des « bad lands ».
Une ville en proie aux catastrophes naturelles
Malgré sa croissance rapide, son site pose quelques problèmes. Ce sont notamment les variations du niveau du Lac Tanganyika comme la montée brusque de 1962 à 1964 et celle de 2020 à 2021. Cependant, les paramètres de ces phénomènes ne sont que partiellement connus (Sirven, 1984, Bidou, et al. 1991).
En outre, le contrôle des rivières qui traversent la ville reste problématique. Nous avons expérimenté les effets des inondations des rivières comme Gasenyi en mars 2014 et ses dégâts matériels et humains sur Gatunguru et les environs, Nyabagere en 2019, Cari au Quartier Nyabagere en décembre 2019 et bien d’autres. La grande Ntahangwa ne cesse pas d’agrandir son lit en faisant tomber ses bords, provoquant des dégâts matériels tout au long de son parcours. Aussi, même s’il est beaucoup au Nord, nous ne pouvons pas oublier la Rusizi, l’affluent le plus turbulent du lac. Des milliers d’individus, notamment du site de Gatumba sont aujourd’hui victimes de sa crue et sont obligés d’abandonner leurs biens et se déplacer vers d’autres quartiers ou dans des camps de déplacés.
Au début, ces différents obstacles n’avaient pas entravé la croissance urbaine de la ville : ils l’avaient simplement orientée dans la direction Nord-Sud (Sirven, 1984, Bidou, et al. 1991). Aujourd’hui, elle semble les affronter sans toujours avoir la capacité de les maîtriser. La ville s’agrandit dans tous les sens, mais dans une situation de vulnérabilité.
Enjeux des quartiers spontanés
Les problèmes que présente le site sont aggravés par le manque d’anticipation de l’extension de la ville. Cela provoque la naissance d’une forme d’habitat informel. Ce dernier est le résultat de l’agrégation des constructions sur des sites qui ne sont ni lotis, ni viabilisés. Ces derniers sont au départ des terres agricoles ou occupés par des individus avec de faibles revenus. Après, d’autres personnes qui ont des moyens financiers négocient une part ou la totalité du terrain avec les propriétaires. Ces derniers sont éjectés systématiquement vers d’autres lieux, non encore atteints par la ville, où ils créent à leur tour un habitat autonome.
Une fois la parcelle acquise, ils se mettent directement à construire sans qu’il y ait des travaux préalables en matière d’aménagement du territoire. C’est un phénomène nouveau car Sirven écrit en 1984 que Bujumbura est « un site plus favorable, une immigration moins importante, et l’héritage d’une capitale bien structurée, font que le gouvernement du Burundi n’a pas à faire face au déferlement de l’habitat spontané… » (Sirven, 1984). Cette situation avait été contrôlée jusqu’à la décennie 80, tant que les migrations rurales n’étaient pas importantes et subites. Même les quartiers qui sont nés dans ces conditions à l’extérieur de la commune urbaine ont été restructurés après leur intégration à la ville. C’est le cas de Musaga, attaché à la capitale en 1982.
Dans le processus d’occupation du site, les individus viennent à des périodes différentes. Celui qui vient le premier commence sa construction tandis que les parcelles environnantes sont toujours libres. En occupant les parcelles au fur et à mesure que les nouveaux acquéreurs arrivent, tous les espaces non bâtis finissent par disparaître. Ce système d’urbanisation et d’occupation de l’espace sur des sites non aménagés engendre des défis que ce soit au niveau urbanistique et social.
Des quartiers spontanés non conformes aux normes urbanistiques
Les quartiers spontanés présentent donc des caractéristiques particulières par rapport à l’organisation de la ville. Dans ces quartiers, il s’observe un manque ou étroitesse des routes, parfois en zigzag et difficilement praticables. Les routes sont obtenues par le dialogue et les conventions entre les voisins. La non viabilisation entrave la promotion des services sociaux. La fourniture d’eau et d’électricité y est difficile. Normalement, la distribution de ces services suit les routes. Comment faire dans des quartiers spontanés où les voies décrivent des zigzags ? Malgré ces difficultés, les services de distribution se contentent de suivre le problème.
Il se remarque également une hétérogénéité souvent à l’origine des conflits dans le voisinage. Cette hétérogénéité des individus traduit aussi celle des conditions. Dans ce contexte, les différends sont fréquents entres les voisins.
Le risque des catastrophes plane toujours sur les habitations. Comme le but principal est d’avoir une maison dans le quartier, les gens construisent dans des espaces qui sont susceptibles de s’effondrer ou d’être ravagés par des pluies torrentielles. Certains occupants n’ont même pas peur d’ériger des maisons en étages sans études préalables du sol. Cela augmente la vulnérabilité au risque de glissement de terrain.
.La sensibilité au risque et à l’esthétique n’est pas donc une faculté développée pour ériger des quartiers sûrs dans les extensions de la ville. De tous ces défis donc, nous aboutissons à des quartiers qui vont mal vieillir avec la ville aussi.
Que faut-il donc faire ?
La croissance de la population urbaine va de pair avec les besoins en logement. Cependant, dans la ville de Bujumbura, le manque d’une politique claire sur terrain en matière d’urbanisation entrave ce besoin. Tous les individus se mettent à se débrouiller pour se trouver un logement dans le cadre familial. Ce qui est à la base de l’extension rapide et incontrôlée.
Le Gouvernement se doit donc d’encourager des projets de construction des maisons qui peuvent héberger le grand nombre d’individus. Ceci prouve que le projet des logements sociaux devrait avoir une plus haute priorité. En effet, les défis liés à la surconsommation du territoire non aménagé engendrent d’autres catastrophes matérielles et humaines, sans oublier l’influence accrue sur le changement climatique. Dans les Objectifs du Développement Durable (ODD) énoncés par l’ONU, les villes et les établissements humains sont ciblés dans le but de les rendre inclusifs, sûrs, résilients et durables. Cela n’est atteignable que par une urbanisation encadrée, tenant compte des enjeux et défis qui peuvent se présenter.
Si vivre dans la plaine de Bujumbura est perçu comme un luxe pour certains, c’est un grand risque pour plusieurs individus qui vivent au sein de l’habitat spontané. Les mesures de réaménagement de certains quartiers périphériques doivent être prises afin de garantir la durabilité de la ville. En plus, considérant l’instabilité du site dans son ensemble, il est impératif d’encourager les jardins dans toute la ville au lieu des pavés. Cela limiterait les facteurs de ruissellement et d’érosion en favorisant l’infiltration. Les espaces verts contribuent aussi à réduire les risques de réchauffement climatique sachant que la température dans la plaine qu’occupe la ville varie entre 25 et 33° C.
Clovis Iriho