Site icon Burundi Eco

Ce qu’il faut savoir sur la genèse des quartiers dits « swahilis »

Dans les agglomérations, il existe des quartiers réputés swahiliphones.  A travers le pays, il est rare qu’on n’y trouve pas un quartier dit « swahili » surtout aux chefs-lieux des provinces. Sur les traces de la création de ces quartiers pendant la période coloniale

Dans son article intitulé «Pour mieux connaître les Swahilis du Burundi et comprendre leurs revendications», Me Ali Mbongo distingue trois groupes qui composent la minorité swahilie du Burundi. Le premier groupe est composé d’« Arabes » (ils ont quasiment perdu leur identité d’origine) descendants des « premiers colons » venus d’Asie comme commerçants, réfugiés politiques ou religieux, arrivés sur la côte du lac Tanganyika au cours du 19ème siècle.

Le deuxième groupe est composé de métis ayant le sang arabe. Quant au dernier groupe, ce sont les Africains des tribus côtières ou de l’intérieur établis dans la plaine de l’Imbo. Ils ont adopté un mode de vie swahili et ont perdu leur affiliation tribale.

Dans sa thèse de doctorat de 1982 intitulé « Recherches sur le swahili du Burundi : les nominaux », Alain Benabou fait savoir que vers 1848, les esclavagistes arabes pénètrent au Burundi à partir de leur comptoir d’Ujiji (Tanzanie). Ils amènent avec eux des milliers de porteurs originaires de la côte orientale qui parlent swahili. Nombreux d’entre eux étaient musulmans. Et le terme « swahili » est parfois employé pour caractériser un « islamisé ».

Les Allemands face aux Swahilis

L’arrivée des colonisateurs allemands en 1896 est aussi marquée par un mouvement migratoire venu de la Tanzanie avec des « Askaris » (soldats africains). Pourtant, seuls les Africains (noirs) sont appelés «Swahilis», et le reste sont appelés «Warabu». «A la fin de la première décennie du 20ème siècle, la population musulmane, composée de « Wagoma » de Tanzanie, « Wabwari », « Wamasanze », « Wavira » du Congo, sera déjà en train de délaisser les langues tribales pour adopter le Kiswahili, et opérer progressivement un mariage de leurs coutumes en les adaptant à l’Islam », lit-on dans « Bujumbura Centenaire, 1987-1997 : Croissance et défis » dont la production a été coordonnée par le géographe Sylvestre Ndayirukiye.

En 1940, les Swahilis ont démenagé vers Buyenzi en provenance de Kabondo.

Sous l’occupation allemande, les Swahilis habitaient Kajaga et surtout dans les environs du fameux « marché Mukaza » dans un village dénommé « Makangira ». Les habitants de la localité étaient diversifiés : les Asiatiques et divers Africains. A l’époque allemande, le swahili était une langue officielle. Pour ce faire, les Allemands utilisaient les Swahilis comme leurs auxiliaires, notamment les interprètes et les ouvriers. En plus de cela, ils étaient des commerçants ambitieux. Ce qui fait que l’influence musulmane n’était pas négligeable, surtout dans les centres à caractère commercial.

Une surveillance déguisée

En 1916, après le départ des Allemands, le Burundi passe sous l’autorité belge. A travers tout le Burundi, les Belges ordonnent la concentration des musulmans dans des cités bien précises. L’administration s’opposera à l’installation des Swahilis au-delà des chefs-lieux administratifs, loin du contrôle de l’autorité. Il fut créé des quartiers exclusivement swahilis dans différentes localités du Burundi en vue de limiter l’influence musulmane dans le milieu rural. Le principe n’était autre que de regrouper les musulmans auprès de l’autorité européenne. « En 1924, on a regroupé ces swahilis dans le village actuel [Rumonge]. Ils étaient dispersés dans les régions côtières et principalement à Murembwe, Kwiteba, Kigwena », décrit Claude Gakumba dans son mémoire de licence de 1987 intitulé « L’Islam au Burundi de 1896 à 1986 ».

Et Adiel Kabayiza, à travers son mémoire de licence intitulé «L’administration belge face à l’évolution démographique dans les Centres extra-coutumiers d’Usumbura (1949-1960)», il fait savoir qu’en 1927, les Asiatiques de Bujumbura se plaignaient auprès des autorités belges du manque d’hygiène et de l’insécurité causée par les Noirs. Il fallait, selon eux, écarter les Noirs.

Par la suite, une cité réservée aux Asiatiques et aux Noirs d’un certain niveau social fut créée. Et, en 1928, avait eu lieu le premier déplacement des Noirs (Swahilis) pour les installer à Kabondo près du lac Tanganyika. Mais ce mouvement n’a duré que moins de 15 ans. En 1940, à cause du caractère malsain de la localité, les Swahilis ont été déménagés définitivement pour un Centre Extra-Coutumier (CEC) de Buyenzi dit «village des Swahilis».

Ce n’est pas tout !

A part Bujumbura, des cités exclusivement swahilies ont été créées dans différents centres du pays dans la même logique de séparer les Swahilis du reste de la population. Même à l’heure actuelle, il y a encore des quartiers dits «swahilis» dans les provinces comme Gitega, Muramvya, Muyinga, Makamba, Ngozi, Rumonge, Rutana, etc.

L’isolement des Swahilis du reste de la population était fait non seulement pour restreindre leur influence dans le monde rural, mais aussi pour les suivre de près. La présence des Swahilis dans différents centres du Burundi s’explique en partie par la concentration forcée faite à l’époque afin d’éviter la propagation de la religion musulmane en cas d’un éventuel contact entre ceux-ci et le monde rural.

Contrecarrer l’influence de l’Islam

Mgunwa Anzuruni, un septuagénaire natif de Buyenzi précise : «Pour freiner l’exode rural, mais aussi empêcher une probable conversion des Burundais à l’Islam, l’administration exigeait aux personnes souhaitant résider ou séjourner dans une cité swahilie, des documents qui n’étaient pas du tout gratuits, entre autres une attestation d’identité et un permis de séjour».

A l’époque coloniale, selon toujours M. Anzuruni, les Swahilis vivaient exclusivement du commerce. Il y avait une certaine distance entre eux et le monde rural. Ce dernier appelait des Swahilis ou simplement les habitants d’un milieu urbain «Abasilimu», synonyme de «civilisés» ou «évolués», donc c’était comme il y avait un «fossé» entre ces deux mondes.

Quitter la version mobile