Les commerçants du poisson au marché dit « Cotebu » témoignent que leur métier boîte suite à la production du Mukeke qui a baissé ainsi que la dépréciation du BIF. Pour essayer de combler le vide, ils se rabattent sur les tilapias de Kirundo. Toutefois, l’offre est toujours inférieure à la demande et les prix ne cessent de grimper
Les prix sont les mêmes pour les tilapias et le Mukeke au 14 juin 2021 à 10 heures au marché Ngagara II dit « Cotebu ». « Ils varient entre 50 mille et 20 mille voire 10 mille FBu pour le même tas de tilapias en provenance de Kirundo et le même tas de Mukeke, espèce prisée du lac Tanganyika. Ceux-ci sont au nombre de six », indique Pancrace Bitayadida, commerçant de poisson avant de rappeler que les prix sont également fixés en fonction de la taille du poisson.
Ce quadragénaire précise qu’il a commercé à exercer le commerce du poisson dans les années 1990 quand il était âgé de 17 ans. «La quantité de poisson vendue à 50 mille FBu était vendue dans le temps à 15 mille FBu», témoigne M.Bitayadida.
Tout un circuit !
Le prix du poisson est difficile à fixer, signale Diomède Nimubona, commerçant des poissons au marché « Cotebu ». Pour lui, beaucoup d’acteurs interviennent dans ce secteur.
« Les patrons-pêcheurs possèdent des bateaux et emploient les pêcheurs », explique-t-il. Ces patrons-pêcheurs, continue M.Nimubona fixent le prix eux-mêmes des poissons au site de débarquement des bateaux conformément aux dépenses engagées. Cela après marchandage.
« Ceux qui se sont approvisionnés au site de débarquement des bateaux acheminent à leur tour leurs cargaisons au marché de Cotebu. Ils fixent à leur tour les prix des poissons conformément également aux dépenses engagées. Nous les détaillants ici au marché « Cotebu », nous nous approvisionnons auprès de ces derniers. Toutefois, cela n’empêche pas que les patrons-pêcheurs nous approvisionnent aussi », fait-il remarquer.
Selon M.Nimubona, les détaillants de poissons au marché « Cotebu » fixent eux aussi les prix des poissons. « Nous fixons ces prix en tenant compte du prix de revient, des dépenses engagées pour payer les stands, la taxe, la restauration journalière et les déplacements », martèle-t-il.
Le prix du poisson sur le marché n’est pas fixe et résulte de la discussion entre les acteurs de la filière pêche.
Vers l’impossibilité de la diminution des prix du poisson
Le manque des devises a occasionné la dépréciation de la valeur de la monnaie burundaise. Ainsi, dans les années 1990, il était facile de changer 1 dollar américain pour 1000 FBu. Actuellement, la valeur du dollar par rapport à la monnaie locale a doublé sur le marché officiel et a triplé sur le marché noir.
Ce qui figure parmi les causes de l’augmentation des prix. Ceci n’épargne pas le prix du poisson.
Les poissons sont chers, reconnait Emmanuel Mpitabavuma, vice-président de l’Association des Vendeurs de Poissons (COVEPOBU).
« Au site de débarquement de Gitaza par exemple à une trentaine de kilomètres de Bujumbura, au 14 juin 2021, un seau de Ndagala s’achètait à 148 mille FBu. Celui des « Nyamunyamu » s’achètait entre 140 mille et 150 mille FBu », informe-t-il.
Le coût du transport d’un seau de poisson est estimé à 5000 FBu et celui de l’embarquement et du débarquement des poissons s’évalue à 2 000FBu. Tout cela est tenu en compte pour fixer le prix de vente du poisson, souligne M.Mpitabavuma.
Quant aux tilapias de Kirundo, il rappelle que ceux-ci sont venus compléter le Mukeke du lac Tanganyika. Leur prix varie entre 8 500 FBu et 9 000 FBu par kilogramme. « Le Mukeke est devenu rare », s’inquiète-t-il avant de témoigner que sa production a baissé.
M.Mpitabavuma évoque les causes profondes de la diminution de la production du poisson. Il avoue qu’avant la crise, la pêche du poisson dans le lac Tanganyika était faite par les Grecs et d’une façon industrielle. Les filets carrelets et les lampes Anchor qu’ils utilisaient permettaient la prise de beaucoup de gros poissons, rappelle-t-il.
« Aujourd’hui, la pêche pratiquée reste archaïque. C’est rare que les filets utilisés atteignent les 200 mètres dans la profondeur du lac. Par contre, ceux utilisés par les Grecs atteignaient plus de 1000 mètres. Cependant, il arrive que des poissons meurent de vieillesse sans avoir été pêchés », regrette M.Mpitabavuma.
Un autre défi qui lui tient à cœur est relatif à la pêche des alevins. « Si on parvenait à préserver 1kg d’alevins, une fois arrivé à maturité, ce kilogramme peut être consommé par 1 million de personnes », fait-il savoir.
Et de déplorer : « Et pourtant, ceux qui pêchent ces alevins passent dans les sites de débarquement et le font au vu et au su des associations des pêcheurs ».
La loi du 30 novembre 2016, portant organisation de la pêche et de l’aquaculture stipule en son article 40 qu’il est interdit de pratiquer la pêche dans les zones de frayère ou de détruire les alevins et les pétits de toutes les espèces dans les eaux territoriales burundaises.
La loi préconise aussi des sanctions. L’article 52 fait savoir qu’est passible d’une peine d’emprisonnement de six mois à un an et d’une amende de 500 mille FBu à 1 million 500 mille FBu ou de l’une de ces peines seulement quiconque se livre à la pêche dans les zones de frayère.
L’article 53, lui, avise que quiconque détient, transporte, vend ou achète les alevins où les petits de toutes les espèces de poissons est passible d’une peine d’emprisonnement de trois mois à six mois et d’une amende de 200 mille FBu à 500 mille FBu ou de l’une de ces peines seulement.
M.Mpitabavuma demande le respect de la zone tampon et exige aux propriétaires des usines de ne pas déverser les déchets industriels polluant le lac Tanganyika pour ne pas polluer ce grand réservoir d’eau douce. Il propose la mise en place d’un ministère ayant seulement la pêche dans ses attributions. « C’est un secteur qui, une fois bien exploitée, peut générer une production à consommer localement et à exporter sans engager trop de dépenses. Il suffit de protéger les lacs », conclut-il.