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Couvre-feu imposé aux filles : « Les administratifs devraient plutôt lutter contre toute discrimination »

L’éducation et la scolarité préoccupent autant les parents que toute la communauté. Quand les administratifs s’en mêlent pour lutter contre les grossesses dans le milieu scolaire, les décisions peuvent prendre une autre tournure. Les récents communiqués des communes Muyinga et Nyabiraba interdisant tout mouvement de jeunes filles qui se baladent avec les garçons après 18 heures inquiètent les parents et certains défenseurs des droits des filles

« Compte tenu des cas d’abandons scolaires suite aux grossesses non désirées et au comportement indigne des jeunes filles, nous avons décidé d’interdire tout mouvement de jeunes filles qui se baladent avec les garçons après 18 heures », peut-on lire dans le communiqué sorti par Philippe Nkeramihigo, administrateur de la commune Muyinga qui annonce en outre que quiconque passera outre cette mesure sera sévèrement sanctionné. Un mois plus tard, Ferdinand Simbananiye, administrateur de de la commune Nyabiraba prend la même mesure, mais sans beaucoup de détails.  Jusqu’ici, aucune victime de ces mesures n’est à signaler. Les parents des élèves jeunes filles de ces localités craignent quant à l’interprétation et à la mise en application de cette mesure et disent qu’ils ne savent pas qui serait chargé de surveiller les mouvements de leurs enfants. Une situation qui prend de l’ampleur et qui risque de discriminer, marginaliser les jeunes filles dans la société burundaise si d’autres communes venaient à obliger les jeunes filles à se terrer dans leurs ménages après 18 heures.

Mme Marie Emerusabe, coordinatrice nationale de l’AFJB : «Il y a risque d’abus dans la mise en exécution de cette mesure sans oublier les cas de corruption qui peuvent se cacher derrière»

Un administrateur n’a pas les prérogatives de prendre de telles mesures

Selon Marie Emerusabe, coordinatrice nationale de l’Association des Femmes Juristes du Burundi (AFJB), une mesure juridique ne peut être prise que par des autorités compétentes. Quand un administrateur prend une décision, il faut qu’il soit en accord avec les membres du conseil communal et le gouverneur. « Si cela n’est pas le cas, c’est une décision unilatérale et contraire à la norme juridictionnelle », indique Mme Emerusabe. En plus, la constitution burundaise stipule clairement en son article 33 que tous les citoyens Burundais ont le droit de circuler librement sur tout le territoire national. « On peut se demander pourquoi seules les jeunes filles pourraient être privées de ce droit », s’interroge-t-elle.

Par exemple, on sait que dans les campagnes les jeunes filles doivent faire d’autres travaux les obligeant à sortir même le soir : puiser de l’eau, chercher du bois de chauffage, faire la vaisselle… Souvent, les écoles de l’intérieur du pays se trouvent à des kilomètres à la ronde des habitations. « Il y a risque d’abus dans la mise en exécution de cette mesure sans oublier les cas de corruption qui peuvent se cacher derrière », s’inquiète Mme Emerusabe. Aussi, c’est une mesure qui peut encourager les violeurs (opportunistes) soi-disant chargés de l’appliquer. « Des manquements dont on ne pourra peut-être pas connaître les auteurs si une fois ils se produisaient dans ces localités », ajoute-t-elle.

On devrait s’attaquer plutôt aux causes qu’aux conséquences

« Un cas familial ne peut pas devenir pénal », rétorque Mme Emerusabe. L’éducation de l’enfant en général et de la fille en particulier revient d’abord à la famille. L’administration, quant à elle, devrait conscientiser et moraliser la communauté.  

Les filles sont les premières victimes des violations des droits de l’enfant et subissent en général une double discrimination de par leur âge et de par leur sexe. Elles sont souvent traitées comme des êtres inférieurs aux garçons. La société les habitue à passer en dernier. Ce qui met en doute leur confiance en elles-mêmes et leur capacité à exploiter leur potentiel en tant qu’êtres humains.

Des questions restent encore sans réponse.  Une jeune fille se situe à quelle tranche d’âge ? Qui sera chargé de surveiller de l’applicabilité de cette mesure ? Une fois une fille attrapée, où va-t-elle être acheminée ?  Autant de questions qui entourent la mesure interdisant les filles tout mouvement au-delà de 18 heures. Quant à son applicabilité, des inquiétudes persistent.

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