Les colonisations allemande et belge ont laissé des traces profondes dans l’histoire du Burundi. Entre résistance et soumission, réformes et répressions, ces périodes ont redéfini les structures sociales, économiques et politiques du pays. Lors d’un atelier organisé par le Sénat, le professeur Léonidas Ndayizeye de l’Université du Burundi a présenté les résultats de ses recherches sur les conséquences socio-économiques de la colonisation.
Malgré différents points négatifs de la colonisation, Pr. Léonidas Ndayizeye reconnaît qu’elle a laissé certaines réalisations notables dont l’introduction du premier système éducatif, en collaboration avec les missionnaires. (Photo :RTNB)
L’occupation étrangère du Burundi a été marquée par l’arrivée des explorateurs comme Stanley et Livingstone en 1871, suivis des missionnaires en 1879. Les Allemands ont foulé le sol Burundais en 1896. Ils y restaurant jusqu’au lendemain de la première mondiale en 1916. Les Allemands passent le relais aux Belges qui gouvernent le pays de 1916 à 1962. C’est cette première période qui a retenu l’attention du professeur Léonidas Ndayizeye, enseignant à l’Université du Burundi. Il a présenté les résultats de son analyse en marge d’un atelier portant sur la période coloniale allemande et la réforme administrative de 1925. L’atelier a eu lieu le 28 janvier 2025 à Bujumbura.
La domination étrangère et ses effets pervers
La colonisation allemande a eu un impact profond sur les structures sociales et économiques traditionnelles du Burundi. Elle a perturbé la manière dont les Burundais exploitaient leurs terres et géraient leurs ressources. L’exploitation des terres et des forêts était favorable aux intérêts économiques allemands.
Le système fiscal mis en place par les Allemands visait à extraire les richesses pour le bénéfice de l’empire. En conséquence, des résistances locales se sont formées, mais elles ont été durement réprimées, déplore ce chercheur.
Sur le plan politique, l’occupation allemande a eu des conséquences néfastes qui ont profondément façonné le Burundi. Les Allemands ont gouverné le Burundi pendant 13 ans, de 1903 à 1916. La période précédant cette domination, entre 1896 et 1903, a été marquée par la résistance du roi Mwezi Gisabo. Mais le 6 juin 1903, Mwezi Gisabo a été contraint de se soumettre via le traité de Kiganda. Il sera obligé de verser une amende de 424 têtes de bétail. Or, dans la culture burundaise de l’époque, la vache avait une valeur symbolique et économique importante. Ce qui représente une grande humiliation pour un roi considéré jusque-là comme sacré. « En partant de l’hypothèse discutée, nous estimons qu’avec 424 vaches, le Burundi disposerait aujourd’hui de 55 574 528 vaches, dont 52 428 800 femelles et 3 145 728 mâles », explique le professeur Ndayizeye.
De plus, le roi Mwezi Gisabo a été contraint d’accepter la domination allemande, notamment en facilitant l’action dite « civilisatrice » de la mission chrétienne de Mugera, anciennement un foyer de la croyance burundaise. Il devait garantir la liberté de culte et favoriser le passage des caravanes. Il était également obligé de fournir gratuitement des travailleurs pour la construction de la route Bujumbura-Mugera. Le roi a aussi dû accepter la souveraineté de l’Allemagne, ce qui a conduit à la remise d’une lettre de protection et d’un drapeau allemands. En conséquence, il ne pouvait plus contrôler la région de Bukeye, attribuée à Kirima, ni celle de Muramvya, donnée à Maconco. Ces deux régions étaient administrativement placées sous la dépendance des Allemands.
L’autre face de la médaille
« Il serait réducteur de dire qu’aucune œuvre n’a été réalisée par l’administration coloniale allemande », souligne le professeur Ndayizeye. Il reconnaît que les Allemands ont introduit l’alphabétisation, la construction d’écoles et d’hôpitaux, ainsi que l’introduction de cultures industrielles comme le café, le thé et le coton. Cependant, comme le précise l’enseignant, toutes ces initiatives étaient exclusivement destinées à servir les intérêts des colonisateurs.
Malgré leur ingérence dans les affaires internes du pays, les Allemands ont laissé certaines réalisations notables. Ils ont introduit la monnaie dans les échanges commerciaux, notamment la roupie d’argent et le Heller de cuivre. Des projets d’infrastructures routières et ferroviaires ont été planifiés, bien que leur mise en œuvre ait été incomplète. Le développement du commerce a été stimulé par l’importation de cotonnades et l’exportation de peaux brutes.
Dans le secteur agricole, les Allemands ont introduit la pomme de terre, de nouvelles cultures maraîchères et fruitières ainsi qu’une politique de reboisement. Ils ont également implanté des cultures commerciales d’exportation comme le café et le thé. Du côté social, ils ont contribué à l’éradication de certaines épidémies, telles que la variole et la maladie du sommeil. Ils ont introduit le premier système éducatif, en collaboration avec les missionnaires.
Quid de la colonisation belge ?
Sous l’administration belge, l’impôt colonial reposait sur la notion de « homme adulte valide » (HAV). Ainsi, les chefs étaient évalués en fonction du nombre de leurs contribuables. Par exemple, en 1934, le chef Baranyanka était responsable de 18 000 HAV, selon le professeur Ndayizeye. De plus, l’impôt de capitation, les cultures de rente et les châtiments corporels imposés à la population rurale ont conduit à de vastes migrations vers les pays voisins.
L’histoire a montré que la colonisation avait un objectif clair, bien que non déclaré : celui d’enrichir les pays colonisateurs en spoliant les ressources des territoires occupés, tant sur le plan des terres, des richesses minières que de l’exploitation des populations locales. Les inégalités économiques, la dépendance à certaines cultures de rente, les divisions ethniques et l’héritage d’une économie tournée vers l’exportation des produits de base persistent encore aujourd’hui. Ce qui nécessite une réflexion profonde pour parvenir à un développement économique durable.