Considérée à juste titre comme un repère pour toute société, la tradition ne fait pas toujours bon ménage avec les droits de la personne humaine. La tradition burundaise constitue-t-elle une menace pour les droits des femmes ? Burundi Eco s’est entretenu avec Me Alphonsine Bigirimana de l’association des femmes juristes
Chaque coutume a ses bizarreries. Chaque tradition a ses absurdités. Souvent utiles, certaines pratiques traditionnelles permettent de pérenniser l’identité d’une société donnée. Elles la différencient autant qu’elles la particularisent des autres. Parfois superflues, d’autres coutumes persistent alors qu’elles ne servent à rien. Elles devraient être abolies, à fortiori, celles qui violent les droits de la personne humaine. Pourtant elles continuent à être pratiquées alors qu’elles n’apportent aucune valeur ajoutée à la société. Le Burundi ne fait pas exception. Certaines pratiques traditionnelles violent les droits des femmes. D’autres favorisent tout simplement les violences basées sur le genre (VBG).
Me Alphonsine Bigirimana de l’association des femmes juristes : « La sexualité est un domaine où la femme Burundaise subit des violences inouïes au nom de la tradition »
La mentalité d’une société est souvent véhiculée à travers les proverbes et les dictons. Dans la tradition burundaise, il y a des proverbes qui démontrent le caractère discriminatoire de certaines pratiques traditionnelles. C’est l’avis de Me Alphonsine Bigirimana.
Exemples de proverbes/dictons discriminant les femmes
« Inkokokazi ntibika isake iriho » (La poule ne peut pas chanter en présence du coq)
Ce dicton signifie que dans la tradition burundaise, la femme n’a rien à dire devant son mari. Cela peut être à la base de beaucoup de violations des droits des femmes. Il ôte à la femme tout droit de regard sur la gestion du ménage, déplore Me Bigirimana. Cette idée est renforcée par d’autres proverbes qui infantilisent la femme.
« Umugore n’umwana » (la femme est un enfant)
Ce dicton atteste suffisamment cette tendance manifeste à sous-estimer les droits de la femme dans le Burundi traditionnel. Elle n’était jamais considérée comme mûre. Au contraire, elle était cette éternelle enfant incapable de prendre une décision réfléchie toute seule.
La tradition est pleine de ce genre de proverbes qui contribuent à rabaisser la femme. Certains proverbes dévalorisent carrément la femme.
« Umugore n’akarago kabaraye » (La femme est la natte du voyageur/pèlerin).
D’autres proverbes la dénigrent totalement et doutent de sa moralité. C’est le cas des proverbes qui qualifient la femme d’ « ikinyenzi makwakwa » ou de « karaba dukakane » pour dire que la femme n’est là que pour dilapider les biens de son mari, s’insurge Me Bigirimana.
Quelques exemples des pratiques qui favorisent les VBG
« Ugutera intobo » (avoir les relations sexuelles avec sa belle-fille)
Ce cas illustre les violences physiques qu’endurait la femme burundaise dans le temps, mais qui persistent même actuellement dans certains coins du pays, selon Me Bigirimana. Si elle refuse, elle subit des conséquences d’ordre économique. Par exemple, on peut lui retirer la propriété qu’elle cultive ou l’aide financière qu’elle reçoit. Parfois on fait des montages contre elle pour inciter son mari à la répudier. La sexualité est un domaine où la femme Burundaise subit des violences inouïes au nom de la tradition, indique-t-elle. Des cas pareils, elle en reçoit dans le cadre des cliniques juridiques. Ce ne sont pas des cas fictifs, assure-t-elle.
« Gukanda umuvyeyi » (imposer des rapports sexuels à la femme qui vient de mettre au monde)
C’est un des pratiques horribles que subit la femme dans son intimité. Alors que le corps de la femme n’est pas encore remis des séquelles de la maternité, son mari peut exiger d’avoir des rapports sexuels avec elle. Si elle n’est pas d’accord, le mari lui fait comprendre subtilement qu’il pourrait aller voir ailleurs si elle continue à refuser ses avances. Cette pratique est consécutive à une autre appelée « kubangura » (avoir des rapports sexuels avec la femme qui va accoucher). On prétend que faire l’amour à ce moment-là facilite le travail pendant l’accouchement. En réalité, cela constitue une souffrance épouvantable pour la femme, s’insurge Me Bigirimana
« Gucura/kwinjirira » (marier la veuve au petit/grand frère du mari)
Quand le mari décède, la famille oblige la veuve à vivre avec son petit/grand frère. Cela viole les droits de la femme dans la mesure où on ne lui laisse pas le choix sous prétexte que c’est le frère qui s’occuperait bien des enfants du défunt. Mais quand elle refuse, la belle-famille menace de confisquer le patrimoine que le mari lui a laissé. A cet effet, rappelons que la veuve n’a pas le droit de se remarier alors que le veuf se remarie bien après le décès de sa femme. Quand elle choisit de se remarier, la femme est obligée de laisser ses enfants et tous les biens communs dans la famille du défunt.
Toutes ces pratiques traditionnelles sont à la base de beaucoup de violences commises à l’endroit des femmes, dont les violences physiques. Ce n’est pas normal que des pratiques d’un autre âge continuent à violer leurs droits les plus élémentaires. Les mentalités doivent évoluer pour éviter tous ces calvaires à la femme. Au cas contraire, le législateur, plus éclairé et plus en phase avec le droit moderne, doit se saisir et édicter des normes qui protègent la femme contre les abus issus de la tradition.