Au moment où la vision du gouvernement est de faire du Burundi un pays émergent en 2040, les experts pensent que le chemin est encore long vu les défis auxquels fait face le secteur privé. Pourtant, le pays regorge de potentialités incommensurables. Les détails dans ce numéro
Hicham El Moussaoui, expert en économie et professeur d’université de nationalité marocaine : « D’après l’indice d’émergence en Afrique, le Burundi occupe la 46ème place sur 54 pays. »
D’après l’indice d’émergence en Afrique, le Burundi occupe la 46ème place sur 54 pays, soit un score de 38%, confie Hicham El Moussaoui, expert en économie et professeur d’université de nationalité marocaine lors du débat organisé le 13 septembre 2023 par le Centre for Development Enterprises great lakes( CDE great lakes) en collaboration avec l’Agence de Développement du Burundi (ADB) et la Chambre Fédérale du Commerce et d’Investissement du Burundi (CFCIB) sous le thème « secteur privé, levier d’émergence économique du Burundi ». Ce qui fait qu’il est dans le groupe des pays qui sont très en retard sur la question d’émergence.
Les raisons de ce sous-développement enregistré par le Burundi sont multiples. Selon Moussaoui, le Burundi a des problèmes au niveau du système politique. L’instabilité politique y règne en maître de façon récurrente.
Et d’ajouter la faible capacité des institutions de pouvoir gérer le pays d’amont en aval car, au niveau du capital humain, la qualité n’est pas bonne.
Selon toujours Moussaoui, les inégalités sociales sont légion. L’accès aux services de base tels que l’eau, l’électricité, l’éducation, etc pose encore problème.
Placer le secteur privé au cœur du processus d’émergence
Selon Moussaoui, il faut que le secteur privé soit au cœur du processus d’émergence du pays pour inverser la tendance. Au lieu de soutenir les entreprises publiques, il faut plutôt soutenir les privés. C’est‐à‐dire que les petites et moyennes entreprises doivent disposer d’un climat d’affaires dans lequel elles peuvent s’exprimer librement.
La diminution de la pression fiscale et l’amélioration de la qualité des prestations de l’administration (la qualité de la gouvernance), notamment la lutte contre la corruption doivent aussi être prises en compte, suggère-t-il.
De plus, investir dans le capital physique est une nécessité, car il doit y avoir par exemple des infrastructures de qualité. A titre illustratif, sur les 12000 km de routes dont dispose le pays, seulement 7% sont goudronnées.
L’investissement dans le capital humain n’est pas épargné, indique l’expert. Le pays doit former le personnel pour bien servir le pays et attirer les investisseurs étrangers.
La qualité de l’éducation doit être prise en compte d’amont en aval conformément au besoin du marché, poursuit-il. Par exemple, il explique que si le pays veut développer le secteur agricole, il faut créer des lycées agricoles.
Il indique que c’est cette stratégie que les Asiatiques ont initié pour accéder au développement. Ils ont créé des écoles spécialisées dans l’agriculture. Ils ont financé la recherche dans ce secteur. S’il y a une sècheresse prolongée, on développe des variétés qui s’y adaptent.
Débat organisé le 13 septembre 2023 par le Centre for Development Enterprises great lakes( CDE great lakes) en collaboration avec l’Agence de Développement du Burundi (ADB) et la Chambre Fédérale du Commerce et d’Investissement du Burundi (CFCIB) sous le thème « secteur privé, levier d’émergence économique du Burundi ».
Parallèlement, Moussaoui souligne qu’il faut améliorer le cadre légal et règlementaire pour attirer les investissements étrangers. Dans ce sens, on profite de l’expérience des autres pays. De plus, c’est le cadre légal et réglementaire qui tranquillise les investisseurs étrangers que leurs affaires seront protégées.
Bref, avec le capital physique, le capital humain et le capital institutionnel, on converge vers l’émergence du pays.
Il faut un secteur privé compétitif
Denis Nshimirimana, secrétaire général de la CFCIB voit qu’il faut un secteur privé compétitif pour que le Burundi soit un pays émergent en 2040. Et cela est une équation à plusieurs inconnues. D’abord le secteur privé doit être au centre de cette vision, éclaircit-il.
Denis Nshimirimana, secrétaire général de la CFCIB : « Il faut un secteur privé compétitif pour que le Burundi soit un pays émergent en 2040. »
«Ailleurs, le secteur privé emploie plus de 80% de la population. Ici chez nous, c’est l’inverse. Nous avons un secteur public qui accapare tout. Il est pratiquement le seul employeur », déplore-t-il. Et de renchérir qu’il est donc impossible de réaliser cette vision sans que le secteur privé se développe.
Quid des défis à relever ?
Selon l’investisseur Victor Girukwishaka, les facilités accordées par les services de l’Etat tel que l’ADB pour investir au Burundi sont visibles. Les investisseurs bénéficient des exonérations. Cependant, les défis restent nombreux.
Il n’y a pas de devises suffisantes pour importer les machines ou les matières premières. Girukwishaka confie que le pire est que certaines banques étrangères qui opèrent au Burundi exigent le remboursement des crédits accordés en ces devises même.
Selon lui, cela constitue un grand fardeau pour les investisseurs, car ils n’en ont pas. La raison est que les produits qu’ils vendent sont payés en FBu.
Pourtant, cet investisseur indique que pour éviter qu’ils soient étiquetés de clients débiteurs défaillants par les banques, ils sont contraints de rembourser ce crédit en devises. Dans ce cas, ils font recours au marché de change parallèle. Et là-bas, le coût des devises constitue un casse-tête, car il est très élevé.
Selon toujours cet opérateur économique, le taux d’intérêt appliqué par les banques est très élevé. Ailleurs, les investisseurs bénéficient des crédits à un taux d’intérêt de 3% ou de 4%.
Pire encore, ils ne bénéficient pas de crédits à long terme et tout cela ne permet pas aux opérateurs économiques d’être compétitifs.
Le difficile accès à l’énergie aggrave la situation. La quantité d’énergie générée par la Regideso reste insuffisante. Les industriels font alors recours à l’utilisation du carburant pour alimenter les groupes électrogènes.
Toutes ces déconvenues font que le coût de production soit élevé. Ce qui fait que les produits soient chers. Par conséquent, les investisseurs tombent en faillite, car ils manquent de clients. C’est la raison pour laquelle la plupart des sociétés sont morts prématurément.
Les administratifs ajoutent le drame au drame
De plus, les opérateurs économiques qui investissent à l’intérieur du pays rencontrent moult couacs causés par les administratifs. Selon lui, c’est déplorable de t’empêcher de t’atteler à tes activités alors que les services habilités t’ont donné tous les documents exigés.
Vu l’ampleur des malheurs que ces administratifs causent à celui qui veut investir à l’intérieur du pays, Girukwishaka voit qu’un investisseur étranger ne peut pas tenir face à toutes ces tracasseries.
C’est pour cela qu’il demande à l’ADB d’effectuer des descentes sur terrain pour sensibiliser ces administratifs dans l’objectif de combattre ces défis liés à la bonne gouvernance.
Boaz Nimpe, secrétaire général de l’association des banques et établissements financiers argue que les taux d’intérêt appliqués par les banques commerciales sont élevés, car ces dernières s’approvisionnent en l’argent à des taux élevés. Nimpe explique que c’est du business. Les banques commerciales ont aussi besoin de dégager des bénéfices.
Boaz Nimpe, secrétaire général de l’association des banques et établissements financiers : » Les taux d’intérêt appliqués par les banques commerciales sont élevés, car ces dernières s’approvisionnent en l’argent à des taux élevés. »
Concernant les crédits à court terme, Nimpe fait savoir que les banques utilisent des dépôts des clients dont ils ont toujours besoin. Ce sont des dépôts à court terme. Raison pour laquelle les crédits offerts sont des crédits à court terme.
L’effet d’éviction empire la situation
Pourtant, Nimpe indique que l’effet d’éviction est un autre défi majeur pour le secteur privé burundais. C’est un phénomène économique qui se caractérise par une baisse des investissements privés provoquée par une hausse des dépenses publiques. Les financiers appuient en grande partie le secteur public.
Selon lui, il faut que les banques financent en priorité le secteur privé pour booster l’économie. Selon toujours lui, la volatilité du marché de change est un autre défi à l’émergence du pays. Il n’est pas stable. Et Nimpe d’ajouter la dévaluation de la monnaie locale à hauteur de pas moins de 40% qui a été opérée ces derniers jours par la Banque centrale.
Quid des potentialités à exploiter ?
Malgré tous ces défis, Olivier Suguru, président de la CFCIB rappelle qu’il est urgent d’accélérer le développement du Burundi pour atteindre la vision du gouvernement d’avoir un pays émergent d’ici 2040.
Selon lui, les potentialités à exploiter pour gagner ce pari sont immenses. Le terrain est inexploité. En termes clairs, il reste vierge et cela dans tous les domaines de la vie économique, précise-t-il.
L’Agribusiness
Il cite à titre illustratif le secteur de l’Agribusiness. Le Burundi bien que petit est abondamment arrosé avec 8 mois de pluies sur les 12 mois de l’année. A cela s’ajoute des possibilités d’irrigation incommensurables permettant aux Burundais de cultiver et de produire toute l’année. «Nous devons nous atteler à bien cerner les chaines de valeur porteuses de croissance. Et ce sont ces dernières qui vont être des supports de la transformation agroalimentaire», précise-t-il.
Le secteur minier
Selon Suguru , le deuxième secteur qui peut rendre le pays émergent dans une courte période une fois bien exploitée est celui des mines. La carte géologique qui est à notre portée montre toute une panoplie de minerais dont recèle notre pays entre autres l’or, le coltan, le fer, le nickel, les terres rares, etc.
Olivier Suguru, président de la CFCIB : « Il est urgent d’accélérer le développement du Burundi pour atteindre la vision du gouvernement d’avoir un pays émergent d’ici 2040.
Selon lui, les potentialités à exploiter pour gagner ce pari sont immenses. »
Suguru fait savoir que le nouveau code minier a été promulgué. Il se réjouit qu’il a subi des tamisages suffisamment réfléchis pour éviter des contrats lacunaires comme ceux qui ont prévalu dans le passé et qui étaient en défaveur des intérêts de l Etat et du peuple Burundais. A cette occasion, il demande à l’Etat d’accélérer la mise en place des textes de sa mise en application et la fiscalité minière afférente à ce code.
Le secteur industriel
Le troisième secteur qu’il faut exploiter pour booster l’économie du pays est le secteur industriel, indique Suguru. «Le Burundi importe presque tout. Même le stylo qui est utilisé par plus de 3 millions d’écoliers et l’allumette utilisée par plus de 2 millions de ménages. Le label made in Burundi est presque invisible et introuvable sur les marchés, dans les boutiques et dans les magasins. C’est un secteur encore à l’état embryonnaire », s’inquiète-t-il.
Selon lui, c’est un secteur qui demande beaucoup d’investissements au moment où le pays connait une grave pénurie de devises.
Pourtant, Suguru fait remarquer que les sources de financement sont aux côtés de ceux qui désirent y investir. Il cite à titre illustratif l’engagement de la Banque Mondiale, du Fonds Monétaire International «FMI» et de la Banque Africaine pour le Développement «BAD».
Pour le secteur privé, l’engagement de l’IFC, une branche de la BM est une réalité pour soutenir le secteur privé. Il invite alors les investisseurs Burundais à viser loin et à rêver grand, car l’IFC soutient généralement les grands projets de plusieurs millions de dollars. La BAD a aussi annoncé l’ouverture d’une fenêtre de financement du secteur privé.
Pour Suguru, il ne reste que d’en profiter rapidement. Selon lui, la nouvelle planification sur les zones économiques spéciales, les parcs industriels et les zones industrielles est déjà un pas à saluer. Il ne reste que les séances de vulgarisation de ce document.
Le tourisme
Le quatrième secteur à développer pour rendre le Burundi un pays émergent est le tourisme, affirme Suguru. Plus de 200 sites touristiques ont été recensés mais, malheureusement, ils ne sont pas aménagés. Et, pour valoriser ce secteur, Suguru a confirmé que la CFCIB accepte solennellement de contribuer à l’organisation des Etats Généraux du tourisme.
Dans ce sens de valoriser le secteur touristique, Suguru suggère la révision de l’arsenal juridique, car il y a des lois lacunaires qu’il faut modifier. Et d’ajouter le fait de confier l’aménagement et la gestion des sites touristiques aux privés sur base des contrats gagnant-gagnant.
Selon toujours Suguru, la mise en place d’un cadre de dialogue public‐privé est une urgence dans l’optique de créer un environnement favorable aux affaires, car c’est seulement ce dernier qui peut attirer les investissements étrangers.
Le commerce transfrontalier
De surcroît, la promotion du commerce transfrontalier avec tous les pays voisins est une autre voie pour faire du Burundi un pays émergent, laisse entendre Suguru. Et de se réjouir que certaines infrastructures de facilitation dudit commerce ont été mises en place.
Ce sont entre autres la réhabilitation du port de Bujumbura, la construction du port de Rumonge, la construction du poste frontière à arrêt unique de Gatumba‐Kavimvira, la construction et le bitumage de la route gatumba‐ vugizo (Burundi) jusqu’ à la frontière de Kiriba (RDC) et la construction d’un pont sur la Rusizi à Buganda ainsi que la construction d’un poste frontière à cet endroit.
Et d’ajouter la construction d’un tronçon de route et d’un pont sur la Rusizi reliant Rugombo et Kamanyola, la construction d’un poste frontière à arrêt unique à Mugina et la mise en place d’un terminal frigorifique à l’aéroport international Melchior Ndadaye. Ce qui va faciliter l’exportation des produits périssables tels que la viande, les légumes et les fruits.
Suguru signale aussi que les Burundais doivent savoir que l’intégration régionale et continentale n’exclut pas la concurrence. Leurs stratégies doivent donc déboucher sur la construction d’une économie compétitive à l’échelle régionale, continentale et mondiale.
Il leur rappelle que la ZLECAf est dans leurs murs. Néanmoins, il craint qu’il y a risque d’être noyé et englouti par les autres pays membres de cette zone s’ils ne s’entrainent pas à mener cette bataille économique rapidement.
Chantal Nijimbere, ministre en charge du commerce : « Les potentialités sont légion pour rendre le Burundi un pays émergent en 2040. »
Notons que Marie Chantal Nijimbere, ministre en charge du commerce affirme que les potentialités sont légion pour rendre le Burundi un pays émergent en 2040. Selon elle, l’intégration à la ZLECAf permet au Burundi de profiter d’un marché de 1,42 milliards de consommateurs qui représentent plus de 2700 milliards de USD de PIB.