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Filière café : L’Etat veut reprendre les commandes du secteur

La privatisation du secteur café n’a pas produit les résultats escomptés. Pour ce faire, l’Etat a décidé à se réengager dans la filière. Ainsi, une stratégie de redressement, de redynamisation et de pérennisation de la filière café a été présentée au début de ce mois devant le conseil des ministres. Elle vise notamment la restructuration de tout le secteur

La culture du café a été introduite au Burundi en 1920. Depuis lors, elle constitue le principal secteur pourvoyeur de devises. Selon un communiqué lu par le porte-parole du gouvernement Prosper Ntahorwamiye, la filière café était en grande partie privatisée jusqu’en 1976 mais malheureusement la production ne s’est pas accrue. Un avis partagé par les experts qui ont mené une étude sur la filière café qui alertent sur la régression de la productivité.

Le secteur café est le principal pourvoyeur des devises mais les petits exploitants profitent moins de cette manne

Des mesures pour inverser la tendance

La filière café au Burundi a atteint un point critique de son développement. La privatisation du secteur et une certaine libéralisation du marché ont réussi à attirer des investissements d’origine nationale et internationale dans les opérations de transformation du café. Le nombre de stations de lavage est passé de 133 en 2008 à 267 dix ans plus tard. Le nombre d’usines de déparchage et de conditionnement a également plus que doublé au cours de la même période, passant de quatre à neuf. Toutefois, cette croissance de la capacité de traitement n’a pas été accompagnée d’une augmentation conséquente de la production du café. Au contraire, celle-ci est en déclin structurel depuis plus de 20 ans et ne montre aucun signe d’amélioration malgré l’afflux de nouveaux investissements dans le secteur, déplorent les auteurs de l’étude diagnostique de la filière café commanditée par l’USAID.

De 1976 à 1991, poursuit le même communiqué, l’Etat du Burundi a dû prendre des initiatives pour redresser la situation. Suite aux efforts du Gouvernement, la production du café a augmenté et la croissance économique en a profité. En 1991, l’Etat du Burundi s’est désengagé de la filière café. Entre autres objectifs visés : l’augmentation des revenus des caféiculteurs, l’accroissement de la compétitivité de la filière café ainsi que la valorisation le patrimoine de l’Etat.

Pourquoi l’Etat veut revenir sur sa décision ?

Les rapports d’évaluation de la politique de désengagement de l’Etat ont dégagé des lacunes par rapport au processus de privatisation de la filière café. Ainsi, la conception de cette politique n’a pas tenu compte du rôle primordial de l’Etat. En plus, l’absence de son intervention dans l’un ou l’autre maillon de la filière café a été source d’énormes défis. L’autre défi est lié au cadre légal sur lequel repose la privatisation de la filière café. Ce dernier est régi par plusieurs textes non clairs et souvent contradictoires. Quant au cadre institutionnel de libéralisation-privatisation de la filière est instable voire non fonctionnel, lit-on dans le communiqué.

D’après la même source, les résultats de la politique de désengagement de l’Etat dans la filière café ont été décevants, car la productivité et la qualité du café ont continué à diminuer. Les résultats de l’étude susmentionnée ne prouvent pas le contraire. « Etant donné que le café fournit environ 80 % des recettes en devises du Burundi, la baisse de sa production contribue également aux difficultés macro-économiques actuelles dues à la rareté des devises et à l’augmentation de l’écart entre la trésorerie et les taux de change bancaires officiels », confirment les auteurs.

Le réengagement de l’Etat dans la filière est imminent

La baisse de la production du café révèle la persistance d’un problème structurel et menace la viabilité du secteur dans son ensemble. En effet, la baisse des volumes affaiblit la rentabilité par unité des transformateurs et des exportateurs.

Face à cette situation, l’Etat se trouve dans l’obligation de se réengager dans la filière pour intervenir, coordonner et faire le suivi de tous les maillons de la filière café, a martelé le porte-parole du gouvernement. Il est impératif de prendre les mesures juridiques et organisationnelles nécessaires afin d’assurer le développement durable de la filière café dans toutes ses composantes, à savoir sa production, sa transformation et sa commercialisation. Après l’adoption de la stratégie de redressement, l’étape suivante consiste à mettre en place de nouveaux textes qui réengagent l’Etat dans cette filière.

L’infertilité des sols et le vieillissement des vergers caféicoles entrainent la chute de la production

Un processus de privatisation clôturé en queue de poisson 

Le principal obstacle au redémarrage du processus de privatisation, selon les auteurs de l’étude, semble être l’incapacité du gouvernement et des partenaires d’intégrer les parts réservées aux coopératives caféicoles. Il a été décidé de réserver 25% des actions dans les lots des stations de lavage aux coopératives agricoles (en 2008). Dans le second tour de la privatisation en 2012, une exigence similaire a été incluse avec 30% des actions réservées.

Aucun de ces accords n’a été mis en œuvre et l’Etat a exercé ses droits de préemption pour prendre le contrôle des actions plutôt que de les céder au prix convenu aux investisseurs des stations de lavage de café sélectionnés dans le processus de privatisation, rappelle l’étude. L’autre défi qui empêche un mouvement vers l’avant est l’absence de coopératives locales solides capables de servir en tant que partenaires de l’actionnariat. Des doutes planent quant à la capacité des coopératives de trouver les montants d’achat convenus pour assurer la continuité.

Pour relancer le processus de privatisation et passer au-dessus de la dernière bosse, les auteurs proposaient de franchir le principal obstacle institutionnel à l’achèvement de la privatisation : résoudre les questions litigieuses entourant la participation des agriculteurs aux opérations de privatisation.

La caféiculture exige un travail fastidieux allant de l’entretien des vergers jusqu’au traitement des cérises en passant par la récolte qui se fait habituellement à la main

La filière café fait face à d’énormes défis

Les intervenants dans le secteur café reconnaissent que le secteur café fait face à de nombreuses contraintes sur tous les maillons de la chaine. Le pouvoir d’achat des caféiculteurs reste limité. Les caféiculteurs sont incapables d’acquérir des intrants agricoles (fertilisants), du matériel végétal et d’embaucher une main d’œuvre salariée. A cela s’ajoutent une faible fertilité des sols, le vieillissement du verger caféicole, la mauvaise application des techniques culturales (tailles, paillage, fertilisation, désinsectisation …), les perturbations climatiques (grêle, sécheresse, pluies irrégulières) et les insectes ravageurs.

Le retour des pouvoirs publics dans le secteur café apportera-t-il des solutions à toutes ces contraintes ? Certaines d’entre elles sont incontrôlables surtout la fixation du prix du café qui dépend des cours du café sur marché international et le coût des intrants. Pourtant, le prix dérisoire du café cerise a été cité comme la principale cause de l’abandon de la culture du café au profit des cultures vivrières jugées plus rentables. Il est encore trop tôt pour évaluer la stratégie de redressement de la filière café d’autant plus qu’elle n’est pas encore opérationnelle. Wait and see !

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