La rareté du coton fibre, le manque de techniciens chevronnés, la concurrence déloyale, l’inadéquation formation-emploi, etc. plombent l’industrie textile. Pourtant, le Burundi était sur le bon chemin avec la mise en place du Complexe Textile de Bujumbura (COTEBU) autour des années 1980, mais le secteur reste toujours au stade embryonnaire. Il faut l’implication de toutes les parties prenantes pour redynamiser ce secteur pourvoyeur d’emplois et de devises
Dans une interview accordée au journal Burundi Eco, Hon. Claver Nduwimana, couturier de formation et fondateur du Centre de Formation Professionnelle en Techniques de Coupe et Couture (CFPTCC) revient sur les contraintes de l’industrie textile burundaise. Pour lui, le métier de couturier est florissant. La plupart de ceux qui le pratiquent ont de bonnes conditions de vie. Ils parviennent à s’acheter des moyens de déplacement, des parcelles etc. il fait allusion à la prolifération des ateliers de confection des habits dans la capitale économique. Néanmoins, le secteur de l’industrie textile baigne dans beaucoup de défis, déplore-t-il.
Des débuts timides de l’industrie textile
L’idée de créer une usine textile au Burundi date de la création de la Burundi Textile (BURUTEX), une entreprise destinée à produire des textiles à partir du coton produit localement. Cette entreprise n’a pas fonctionné. Ce projet textile a été réduit à néant par les détournements, explique l’historien Jean Pierre Chrétien dans Burundi : Vingt ans de métier d’historien en Afrique. En date 1972, le gouvernement a reçu de la part de la Chine un crédit sans intérêt d’un montant de 55 millions de Yuans, soit près de 2,5 milliards de FBu de l’époque. Deux ans plus tard, un accord sur la construction d’une usine textile à Bujumbura a été signé. Les travaux de construction de cette usine débutent en 1976 pour se terminer en 1980. Ainsi naquit le Complexe Textile de Bujumbura (COTEBU). Cependant, l’entreprise n’a pas survécu à la guerre civile. Elle a fermé ses portes avant d’être relancée par d’autres opérateurs économiques en 2010 sous le nom d’Afritextile.
D’après Hon. Nduwimana, la démocratisation de l’Afrique en général et du Burundi en particulier a joué un rôle prépondérant dans le développement de l’industrie textile. Le Burundi est parmi les premiers pays qui ont intégré le processus démocratique. Ce qui a favorisé l’afflux des investisseurs étrangers à la recherche des opportunités d’affaires. Et l’industrie textile fait ses premiers pas, car ce secteur a été ciblé comme porteur de croissance. Le Burundi regorgeait de beaucoup d’opportunités dans le secteur de l’industrie textile.
Le pays produisait les meilleures fibres de coton au monde. D’ailleurs, lors d’une compétition dans le secteur de l’industrie textile qui a eu lieu en 1982 à Madrid en Espagne, le Burundi a été classé 1er, car la qualité des tissus confectionnés par le COTEBU est hors du commun. Ce qui lui a valu une médaille d’or. Et Hon. Nduwimana de préciser que c’est à partir de là que les usines de confection et de couture ont commencé à être créées.
Un projet ambitieux tombé à l’eau
Des techniciens blancs ont dispensé des formations sur la confection et la couture des habits. La création de la Compagnie de Gérance du Coton (COGERCO) constitue également un atout. Elle s’occupait de la valorisation de la plantation du coton jusqu’à la production du coton fibre, éclaircit-il. Le Burundi disposait des fibres de qualité supérieure. Et c’est pour cela qu’un projet d’appui à la confection des habits a été initié. Avec ce projet, on est parvenu à atteindre une performance de 15 min par chemise contre 5 min en Europe. L’objectif était d’exporter les habits, car il y avait une loi sur la zone franche qui facilitait l’exportation. Néanmoins, ce projet n’a pas duré longtemps suite à la guerre civile. «Et actuellement, puisqu’on est incapable de mettre en place une usine de confection, nous produisons des habits taillés sur mesure sur commande. La production des prêts-à-porter n’est pas possible, car on risque de ne pas rencontrer les goûts des clients », confie- t- il.
Manque de personnel qualifié
C’est un secteur qui est confronté à beaucoup de défis. Il n’a pas de personnel qualifié. Hon. Nduwimana indique qu’en principe tout secteur devrait avoir des hauts cadres, des cadres moyens et des agents d’exécution. Selon lui, le capital humain pose problème dans l’industrie textile. Le personnel n’est pas formé. Il n’a pas de compétences suffisantes. La raison de cette situation est qu’il n’y a pas d’écoles pour former les couturiers, précise Hon. Nduwimana.
Ceux qui se lancent dans le peu d’écoles disponibles sont des jeunes qui ont été vomis par l’enseignement général. On suppose qu’ils sont paresseux et qu’ils n’ont pas d’autres choix sauf celle de s’orienter dans les centres d’enseignement des métiers. Il s’inquiète du fait que l’industrie textile est mal organisée comme dans d’autres secteurs. Raison pour laquelle il y a beaucoup de jeunes chômeurs. «Ici chez nous, on enseigne pêle-mêle. Dans les autres pays, tout est planifié. On forme ceux dont le pays a besoin», déplore- t- il. Les autorités banalisent l’enseignement technique. L’enseignement des métiers est considéré comme un domaine fourre-tout pouvant accueillir les candidats faibles des autres filières de formation.
Quand la friperie phagocyte l’industrie textile
Les confectionneurs des habits éprouvent d’énormes difficultés à écouler leurs produits. « Le marché a été envahi par les opérateurs économiques étrangers qui ne cessent pas d’inonder le marché avec des vêtements de seconde main. Ce qui fait qu’on ne trouve pas de clients. Par conséquent, la plupart des usines de confection et de couture ont mis la clé sous la porte », s’inquiète Hon. Nduwimana. Cette situation se présente ainsi alors que les normes internationales interdisent le port des habits issus de la friperie.
Tout commence avec la dérogation accordée à certaines Ongs caritatives pour qu’elles puissent collecter des habits usagés dans les pays développés afin de les distribuer aux nécessiteux dans les pays africains. Depuis cette période, les gens mal intentionnés ont commencé à vendre ces habits. Et, partant, le commerce des fripes devient un véritable business. Et c’est la raison pour laquelle l’industrie textile n’a pas pu se développer au Burundi. Il s’agit purement et simplement d’une concurrence déloyale, car ces habits de seconde main ne coûtent pas cher.
Un financement du secteur très limité
Les professionnels du secteur ont également des difficultés à accéder au financement pour pouvoir créer des usines de confection et de couture de grande taille. Cela étant, les pays membres de l’East African Community (EAC) avaient pris la décision de renforcer les industries textiles des pays respectifs. En 2015, les présidents des pays membres de l’EAC ont adopté un processus graduel sur trois ans afin d’éliminer les importations de vêtements et de chaussures d’occasion et ceci dans l’objectif de promouvoir les industries textiles, vestimentaires et du cuir de la région.
Cette démarche était censée rendre les usines textiles et de cuir de l’EAC autosuffisantes pour approvisionner les marchés locaux et internationaux, y compris le marché de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) qui avait gardé la fenêtre ouverte aux exportations africaines sur le marché américain. C’est ainsi qu’en 2016, le sommet des chefs d’Etat de l’EAC tenu à Arusha en Tanzanie a décidé d’interdire l’importation vêtements usagés et des produits en cuir. Une mesure qui devait entrer en vigueur en 2019. Il est reproché à ces produits de déstabiliser les industries textiles locales.
Ainsi, l’une des stratégies a été la surtaxation des vêtements d’occasion et l’investissement dans le secteur des textiles. En Tanzanie par exemple, le pays a mis en place un plan d’industrialisation qui prévoit la formation des jeunes au métier de couturier et la création d’industries textiles. L’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie soutiennent l’idée selon laquelle l’industrialisation reste un pilier stratégique de d’intégration au sein de l’EAC. En ce sens, le secteur textile et la fabrication de chaussures devraient être une priorité.
Le Burundi traine les pieds
Suite à la crise socio-politique qu’a traversée notre pays, la mise en œuvre de cette résolution se fait attendre, déplore Hon. Nduwimana. C’est une grande perte pour la jeunesse burundaise, car la promotion de l’industrie textile peut créer des milliers d’emplois. «Nous disposons d’une seule société dans le secteur textile qui est l’Afritextile. Néanmoins, actuellement, elle ne produit que des pagnes alors qu’auparavant, elle confectionnait aussi les habits des militaires, du corps de la police nationale et les uniformes des élèves», s’inquiète-t-il.
Sous d’autres cieux, on investit dans l’industrie textile. En France par exemple, il indique qu’on forme autour de 50 000 docteurs dans la confection des habits. Ces derniers sont là pour veiller à ce que leur pays ne soit devancé par les autres.
Une lueur d’espoir se profile à l’horizon
Il se réjouit du fait que l’Etat demande aux jeunes de se créer des emplois via les secteurs porteurs de croissance comme l’agriculture et l’élevage. Il y a même injecté des fonds à travers les coopératives collinaires. Selon lui, la promotion de l’enseignement des métiers en général et de l’industrie textile en particulier est aussi une nécessité. Hon. Nduwimana le dit ainsi, car il s’observe que l’enseignement des métiers est en train de se dégrader. «Nous valorisons beaucoup plus la littérature car elle ne fatigue pas. L’enseignement des métiers est presque relégué aux oubliettes», se lamente- t- il.
Tout de même, il existe des signes précurseurs qui montrent que l’industrie textile a de beaux jours devant elle. Ce sont notamment l’effervescence des stylistes, l’engouement des jeunes à se familiariser avec le métier. Malgré tout, il reste du chemin à faire pour promouvoir l’industrie textile. Pour gagner ce pari, Hon. Nduwimana invite les pouvoirs publics à s’investir davantage dans l’élaboration des politiques de vulgarisation de la culture du coton, la redynamisation de l’Afritextile, et la mise en œuvre des politiques visant à promouvoir les produits textiles locaux.
La couture, un métier en vogue
En plein centre-ville de Bujumbura, Hon. Claver Nduwimana, sexagénaire a implanté un centre de formation sur les techniques de coupe et de couture. Ce centre accueille les jeunes diplômés et les non diplômés qui souhaitent apprendre le métier. Le journal Burundi Eco retrace le parcours professionnel hors du commun de ce passionné du métier de couture
La prolifération des ateliers de couture est un bon signe que le secteur est prometteur. Désormais, la reconversion professionnelle est un impératif pour faire face au chômage. Détrompez-vous, pédaler la machine à coudre n’est plus l’apanage des candidats malheureux du système éducatif. Le secteur regorge d’énormes opportunités. Il suffit de s’impliquer. C’est du moins la conviction de l’honorable Claver Nduwimana qui exerce ce métier depuis 38 ans.
Claver Nduwimana, plus qu’une inspiration ?
Hon. Claver Nduwimana est lauréat de l’école de couture de Kiganda située dans la province Muramvya. Il a été sénateur élu dans la circonscription de Muramvya lors de la législature 2015-2020. Il est considéré comme le porte-voix de l’industrie textile au Burundi.
Après ses études secondaires, il a directement été embauché à ladite école comme enseignant. Ce passionné du textile embrasse le métier en 1983. A l’époque, il bénéficiait d’une journée de récupération par semaine, soit 4 jours par mois, mais les recettes issues de la couture dépassaient de loin son salaire mensuel. Ainsi, il propose à la direction de l’école de travailler avec ses élèves dans les enceintes de l’école, mais l’idée a été vite rejeté sous prétexte que la réglementation en vigueur ne l’autorise pas.
Par la suite, il s’est orienté vers le secteur privé. Il a été embauché dans un atelier de confection et de couture. Son challenge était de doubler la capacité de production de cette usine. Hon. Nduwimana a gagné le pari. Il a été promu avec un salaire d’un licencié. Il migra vers un autre atelier de confection des maillots de sport et les sous-vêtements. Son expérience avérée lui permettait de toucher l’équivalent d’un docteur mais suite à la guerre civile de 1993, toutes les activités ont été paralysées.
Apprendre à voler de ses propres ailes
Pour garder la tête au-dessus de l’eau, il a eu l’idée de créer son propre atelier de couture. En 1995, il a acheté sa propre machine à coudre et l’a installé chez lui. Il exerçait ce métier chez lui. Néanmoins, le travail n’a pas bien marché, car il ne s’impliquait pas assidûment dans son travail. Il partageait un verre avec ses voisins à n’importe quelle heure de la journée. Et le rendement était médiocre. Hon. Nduwimana s’installe au centre-ville pour travailler dans de bonnes conditions en vue d’augmenter le rendement.
L’Union fait la force, dit-on. Pour décoller, il s’est associé avec trois couturiers pour créer une usine de confection en bonne et due forme. Après trois ans, ils ont pu acheter 43 machines à coudre. « Cela m’a poussé à conclure que c’est une bonne chose de travailler en association », renchérit-il. Juste après, ils ont séparé leurs parts dans leur association suite à un malentendu sur le leadership au niveau de l’association. Il est parti avec 14 machines à coudre.
Plus qu’un centre de perfectionnement, une école
C’est à partir de ce moment qu’il a mis en place un centre de formation professionnel dans l’optique de contribuer au développement de l’industrie textile. Ce centre de formation a pour objectif de former les techniciens du textile. « Je forme ceux qui fructifient immédiatement les connaissances acquises. La formation modulaire dure 6 mois. La théorie et la pratique vont de pair. Il s’agit d’une théorie appliquée», fait remarquer Hon. Nduwimana.
Il se réjouit du fait que les jeunes détenteurs des diplômes universitaires commencent à embrasser la carrière de couturier. A titre illustratif, le centre de formation professionnel qu’il représente dispose de 32 apprenants. Parmi ces derniers, 17 ont terminé les études universitaires dans différentes facultés. Selon lui, ce sont des avancées significatives dans l’industrie textile, car c’est la première fois qu’un effectif pareil de lauréats universitaires apprend le métier de couture. Et le fait que l’Etat a accepté de valider les compétences des formés en couture constitue aussi une avancée.