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Le lac Tanganyika ne décolère pas

La montée des eaux du lac Tanganyika persiste.  La date du 20 février 2021 reste gravée dans la mémoire des propriétaires des maisons et les gestionnaires des plages riveraines. La perte est colossale. Le ministère en charge de l’environnement tranquillise la population. Il s’agit de vents violents qui ont fait qu’il y ait de fortes vagues dans le lac et les effets ont été pervers pour les riverains.  «Leta Mvyeyi» et les  amis de la nature demandent le strict respect de la loi

La montée des eaux du lac Tanganyika constitue aussi une menace aux propriétaires des maisons et des plages riveraines à Kajaga.

Nous sommes mardi le 23 février 2021. A 14 h30 min, un reporter de Burundi Eco part pour le lac Tanganyika.  On arrive à la plage dénommée Nyabugete Beach situé dans le quartier Nyabugete de la commune Muha.  Pas de bruits des vagues. Le silence absolu y règne en maître. Pas de clients.  Le constat est que cette plage est menacée par la montée des eaux du lac Tanganyika. «Une grande partie de notre plage a été envahie par les eaux du lac Tanganyika. La situation s’est aggravée samedi le 20 février 2021.  C’était vers 15 h. Des vagues hallucinantes se sont manifestées.  C’était effroyable, car on n’était pas habitué à ce phénomène. C’était une sorte de tsunami.  Tout le monde cherchait où se cacher», relate une jeune serveuse rencontrée à cette plage.  Selon elle, les eaux du lac se sont accaparées d’un linéaire estimé à entre 5 m et 6 m à Nyabugete Beach.

Ce jour,  la situation n’a pas été également bonne pour les habitants du quartier Kibenga de la commune Muha. Suite aux terrifiantes vagues de samedi le 20 février 2021, les avenues et les infrastructures riveraines du lac tanganyika ont été assiégées par les eaux.  Pendant notre visite, certaines maisons étaient encore sous l’eau. Les habitants avaient vidé les lieux. Henri  Bisombe, habitant le quartier Kibenga   s’inquiète du fait que sa maison risque d’être inondée par les eaux du lac Tanganyika malgré qu’il ait respecté le code de l’eau qui dit qu’il ne faut pas  construire dans les 150 m à partir du niveau le plus élevé du lac Tanganyika. « J’ai construit à plus de 200 m du lac Tanganyika. Les services de l’Etat m’ont dit que je me suis conformé à la loi et m’ont accordé l’autorisation de bâtir», indique Bisombe. Cependant, Bisombe se lamente du fait que sa maison risque d’être détruite par les eaux du lac Tanganyika. Il demande à «Leta Mvyeyi» de penser à l’indemnisation des victimes de  la montée des eaux du lac Tanganyika.

Kibenga menacé par le débordement des eaux du lac Tanganyika

Ir Gilbert  Nkezabahizi, rencontré à Kajaga abonde dans le même sens.  Les services de l’Etat qui ont laissé  les gens construire à cet endroit les  ont trompés.  Selon lui, le sol est sablonneux à cet endroit. L’eau s’infiltre facilement. De surcroît, le sol est plat.  Pas de pente. Il se trouve sur le même niveau que le lac Tanganyika. Pour ces raisons, il informe qu’il fallait aller au delà de 150 m à Kibenga.  Les 150 m qu’il faut respecter pour construire des maisons sur le littoral du lac Tanganyika ne sont pas suffisants.  Selon toujours lui, les études sur lesquelles on s’est basé pour mettre en place le code de l’eau de 2012 n’ont pas été suffisamment approfondies.  Raison pour laquelle il demande à l’Etat qui a accordé des parcelles à cet endroit d’être prêt à indemniser les victimes.

De même pour les habitants des autres quartiers comme Kinindo Ouest qui sont en train de vivre le même calvaire.  Les parcelles leur ont été accordées par les services de l’Etat.  Cet ingénieur s’inquiète du fait que les habitants de ces quartiers sont dans une désolation inouïe. La nappe phréatique se trouve à une profondeur estimée entre 1,20 m et 1,50 m. Y construire des puits perdus est déjà impossible. On peut essayer pour les fosses septiques. Nonobstant, la construction d’une fosse septique durable à Kibenga n’est pas à la portée de toutes les bourses. C’est un mythe de Sisyphe pour les personnes ayant à faibles revenus.  «Ces derniers jours, j’ai construit une fosse septique vidangeable de trois chambres pour un des habitants du quartier Kajaga. Je l’ai construit en béton armé pour pouvoir résister aux eaux du lac Tanganyika», laisse entendre Nkezabahizi. Et de marteler que les fosses septiques en briques se détruisent facilement. Les conséquences sont fâcheuses. Selon lui, la maison devient une proie facile de l’humidité et s’ensuit son effondrement.  Pour ceux qui ont opte pour la stratégie d’installer les toilettes à l’étage, cet ingénieur fait savoir que c’est leur façon de se débrouiller pour pouvoir protéger leurs maisons de l’humidité. Sinon, ce n’est pas bon pour l’hygiène et l’assainissement.

Les paillottes de l’hôtel Safari Gate assiégées par les eaux du lac

Le restaurant de l’hôtel Safari Gate dénommé «les paillottes» n’est pas aussi épargné par la montée des eaux du lac Tanganyika. Jusqu’à maintenant, une grande partie de ce restaurant est sous l’eau. Le propriétaire et le personnel  de ce restaurant sont dans une désolation innommable. Il risque d’etre quasiment  assiégé par les eaux du lac.  Pendant notre visite, le constat a été que beaucoup d’efforts ont été déployés pour le protéger. Des digues de protection en sacs de sable ont été mises en place. Elles forment une ceinture tout le long du lac pour empêcher les eaux  du lac à l’envahir.  Néanmoins, les eaux de ce réservoir d’eau douce ne reculent pas. 90% des paillottes sont déjà sous l’eau. Les toilettes et 90% des infrastructures aussi.

Kajaga : Les maisons et les plages riveraines du lac assiégées par les eaux 

La montée des eaux du lac Tanganyika constitue aussi une menace aux propriétaires des maisons et des plages riveraines à Kajaga. Les fortes crues de samedi le 20 février 2021 constituent pour ces derniers un cauchemar. La plupart des avenues sont inaccessibles suite à la montée des eaux du lac. On cite à titre illustratif Cap Town Beach, Sun Beach, etc.  Pour les autres plages encore fonctionnelles, les gestionnaires ont débloqué des moyens financiers colossaux pour empêcher les eaux d’envahir leurs plages. C’est à titre illustratif  «Ucca Beach». On a construit des digues de protection  en pierres le long du lac.  Cependant,  cette plage est inondée malgré tous les efforts consentis.

Les paillottes de l’hôtel Safari Gate assiégées par les eaux du lac.

Quid de l’origine de la montée des eaux du lac ?

Pour Dr Déo Guide Rurema, ministre de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Elevage, ce n’est pas une montée des eaux du lac Tanganyika au vrai sens du terme. Il s’agit de vents violents qui ont fait qu’il y ait de terrifiantes vagues dans le lac Tanganyika et que des dégâts matériels soient enregistrés. Les premières victimes sont les propriétaires des  constructions anarchiques situées sur le littoral du lac Tanganyika.  Il leur demande de respecter la loi.   Il l’a évoqué même dans le communiqué du 22 septembre 2020. Il a annoncé qu’il est strictement interdit de vendre ou d’acheter les domaines publics hydrauliques du littoral du lac Tanganyika. Il a demandé aux propriétaires des infrastructures  construites dans ces domaines de les détruire eux-mêmes. On a aussi suspendu toutes les activités qui s’y déroulent sans respect de la loi ou autorisation. Et un délai d’un mois a été donné aux propriétaires des maisons construites anarchiquement pour déboulonner les clôtures installées dans cette zone. Via ce communiqué, ledit ministère a promis la mise en place d’une équipe d’experts pour élaborer un plan d’aménagement intégré du littoral du lac. En attendant, il a également suspendu l’octroi des certificats de conformité environnementale des travaux dans ce secteur. Nonobstant, personne n’a démoli sa maison prétextant que c’est l’Etat qui a induit les acquéreurs en erreur

L’origine de la montée des eaux du lac selon Mbonerane

Ces derniers mois, l’environnementaliste et ami de la nature Albert Mbonerane  a tenté d’expliquer ce qui est à l’origine de la montée des eaux du lac. Les pluies torrentielles liées au changement climatique entraînent  l’érosion du sol. La forte pluviométrie favorise les crues des affluents du lac Tanganyika. Et d’ajouter que l’exutoire du lac Tanganyika, la Lukuga qui aurait été bouchée par les alluvions n’est pas à écarter. De par le passé,  Mbonerane fait remarquer que la vie du lac a été caractérisée par une élévation cyclique de son niveau. La première montée des eaux du lac a eu lieu en 1878 à l’époque où deux explorateurs Livingstone et Stanley étaient en visite dans la sous-région. Le niveau du lac a encore monté en 1938. A cette période, il y avait peu d’habitations au niveau du littoral du lac. Les dégâts étaient de faible importance. La dernière crue du lac Tanganyika  date du lendemain de l’indépendance du Burundi en 1963. L’eau a monté jusqu’au niveau des bâtiments de la radio-télévision nationale. Les officiels de l’époque cités par l’ambassadeur Mbonerane affirment que la partie qui va de l’avenue du Large jusqu’à la chaussée d’Uvira en passant par le rond-point dit Chanic étaient sous l’eau. La RN3 qui relie la ville de Rumonge à la capitale économique était impraticable à certains endroits. Une étude de simulation d’une remontée des eaux du lac faite au lendemain des catastrophes de Gatunguru a montré qu’autour de 5000 ménages seraient touchés si jamais le niveau du lac revenait au niveau où il était en 1963-1964.

Le code de l’eau doit être respecté

Pour se protéger contre les dégâts induits par la montée des eaux du lac Tanganyika, cet environnementaliste demande  à la population de respecter le Code de l’eau promulgué en 2012.  L’article 5 établit la zone tampon dans les 150 m à partir du littoral du lac Tanganyika. Malheureusement, la lecture qu’on fait de cette disposition est fausse, indique M. Mbonerane. En principe, les 150 m ne devraient pas être comptés à partir du bord du lac. C’est plutôt compte tenu de la géomorphologie de l’espace, à partir du niveau le plus élevé de la dernière crue. Ce qui n’est pas le cas puisque certaines constructions ont été érigées jusque dans l’eau.

En outre, les affluents ne sont pas protégés. Des tonnes d’alluvions et de déchets se déversent dans le lac. L’agriculture agresse la santé des rivières. Suite à l’érosion, les rivières charrient les alluvions jusqu’au lac Tanganyika. En conséquence, la sédimentation accélérée rétrécit de plus en plus l’espace occupé par les eaux. Ce qui cause en partie la montée des eaux. Quand l’environnement se révolte, il n’y a pas d’armes pour y faire face. Si la terre nous parle, Mbonerane nous demande d’écouter ce qu’elle nous dit pour survivre. Pour le cas précis, le lac réclame ses droits.

Cet ami de la nature considère que la montée des eaux du lac est un clin d’œil à l’ endroit de la population riveraine. Il demande à la population  de se ressaisir pour bien cohabiter avec le lac Tanganyika. Cela pour l’intérêt de tout le monde et surtout des générations futures. Le gouvernement devrait consentir pas mal d’efforts pour protéger les bassins versants du lac Tanganyika. En ce sens, les zones tampons doivent être respectées au niveau des affluents du lac Tanganyika. Il importe également d’aménager des courbes de niveau sur les terrains à forte pente. De cette manière, Mbonerane conclut en précisant qu’on aura protégé à la fois les rivières et la biodiversité du lac Tanganyika.

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