Beaucoup de pays africains viennent de connaitre une cinquantaine d’années d’aide au développement, entamée au lendemain des indépendances. Depuis, plus de 500 milliards de dollars ont été injectés en Afrique sous forme d’aide. Paradoxalement, l’effectif des pauvres a augmenté, faisant à terme de la pauvreté un phénomène essentiellement africain. De quoi remettre en question cette politique de développement à l’occidentale
Le 20 janvier 1949, on découvre dans le discours du président américain Harry Truman le concept d’aide au développement. Ce concept désigne l’ensemble des dons, des prêts d’argent et même l’annulation des dettes des pays en voie de développement pour favoriser leur croissance économique. C’était au lendemain de la seconde guerre mondiale. La situation politico-économique mondiale a connu de profondes mutations. On assistait alors à un déclin progressif des empires coloniaux en même temps qu’à la bipolarisation de l’atmosphère politique marquée par la puissance hégémonique des Etats-Unis. Les pays industrialisés entrèrent dans la phase de reconstruction d’après-guerre avec des taux de croissance économique record. Parallèlement à cet essor, les nouveaux pays indépendants ont du mal à s’insérer dans l’économie mondiale. La plupart de ces nouvelles économies stagnaient. D’autres régressaient. Elles enregistraient des taux de croissance négatifs. Plusieurs auteurs ont alors essayé d’expliquer leurs difficultés de croissance.
Mahamat Saleh Annadif, ancien ambassadeur de l’Union Africaine à Bruxelles : « Dans notre manière de collaborer avec les Européens, il y a quelque chose qui mérite d’être changé ».
Cependant, l’efficacité de l’aide au développement fait débat depuis les années 70 débouchant même à un débat sur la conditionnalité et les politiques d’ajustement structurel menées à l’époque par le FMI et la Banque Mondiale. Mais ce qui est en cause et dénoncé par les critiques de l’aide au développement est sa structure et sa nature si coûteuse pour les bénéficiaires.
D’où proviennent les aides au développement ?
Qui donne l’aide publique au développement ? Celui qui donne, comment il donne ? Comment il détermine le montant à donner ? Comment cette aide est-elle donnée ? Dieudonné Nyunguka, économiste et ancien cadre de la Banque Mondiale tente une explication : « L’aide au développement peut provenir du secteur public ou privé. Tout en soulignant que l’aide au développement est destinée aux pays en voie de développement qui sont aujourd’hui au nombre de 148 dont le Burundi ». Elles se sont traduites par un empilement d’aides budgétaires massives et de programmes sectoriels variés, d’une profusion de projets et « micro-projets ».
Ainsi, il faut distinguer les canaux à travers lesquels ces aides passent. Il s’agit de l’aide bilatérale et de l’aide multilatérale. L’aide bilatérale provient des pays développés à travers leurs agences. On peut citer les Etats-Unis d’Amérique à travers l’USAID, la France à travers l’Agence Française de Développement, le Japon à travers le JICA, … L’aide multilatérale provient des grandes institutions internationales dont le FMI, la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement… Ensuite il y a les Nations Unies qui ont a plus de 200 agences de développement, notamment le PNUD, la FAO, le FNUAP, UNICEF, … Il faut parler des fondations privées comme la fondation Bill Gate, la fondation Mandela…
Cependant, l’aide bilatérale domine dans l’ensemble des aides allouées au développement. En fait, ce sont des prêts remboursables à n périodes bonifiés ou subventionnés. Le taux d’intérêt est trop petit par rapport aux taux du marché.
Une aide mal définie et mal orientée
Plus de 60 ans après les indépendances des pays africains, l’aide au développement est critiquée sur ses priorités et sur sa performance. Depuis 1970, plus de 500 milliards de dollars ont été octroyés et ils étaient destinés à l’infrastructure, à l’éducation et à la santé, mais ils tardent à produire des résultats significatifs. Un fait édifiant est celui d’entre 1970 et 1998 quand l’aide était à son haut plus niveau, le taux de pauvreté en Afrique s’est accru. Il est passé de 11 à 66%. Le constat est si amer que l’écrivain zambien Zambisa Moyo pense que l’Afrique est tombée dans une dépendance. Cette relation de dépendance fait que qu’il y a toujours un dominé et un dominant. « Cette aide a rendu le continent encore plus pauvre », dit-elle. Pourtant, la plupart des pays africains ont des prévisions de croissance très positifs. Selon l’économiste, la mauvaise gestion de ces aides et l’investissement dans des secteurs non prioritaires par les bailleurs seraient les causes de l’échec de la politique de développement à l’occidentale. Il y en a qui accusent l’aide au développement d’être la cause du syndrome de dépendance. La mauvaise gestion des fonds venant des aides qui sont injectés dans des choses qui ne génèrent pas de revenus fait que les Etats se retrouvent dépendants de l’extérieur, c’est-à-dire que certains pays comptent toujours sur l’aide en croisant les bras sachant que les aides seront toujours disponibles. C’est un cercle vicieux.
La face cachée de l’aide au développement
Ainsi, si certains voient l’aide au développement comme un frein au développement, d’autres vont encore plus loin et dénonce un fonds de commerce non clarifié et, selon eux, par souci de préserver leurs intérêts économiques. « Les gouvernements riches mettent en avant leur générosité tout en aidant simultanément leurs entreprises à piller les ressources de l’Afrique subsaharienne, les compagnies communiquent sur leur responsabilité sociétale alors qu’elles rapatrient leurs profits via les paradis fiscaux, les riches philanthropes donnent de l’argent aux Africains, tandis que leurs sociétés opérant sur le continent pratiquent l’évasion fiscale », écrivent les auteurs du rapport « Honest accounts ? The true story of Africa’s billion dollar losses » publié en 2014. Ces auteurs sont 13 ONGs africaines et britanniques. Le rapport précise que chaque année 134 milliards de dollars entrent en Afrique sous diverses formes et 192 milliards de dollars en sortent, pour un résultat négatif de 58 milliards.
Selon l’économiste, la recherche de l’influence diplomatique, la recherche des intérêts économiques notamment des marchés ou des débouchés serait la face cachée de ces aides.
Faut-il rompre avec l’aide au développement ?
Il y a un débat autour de l’aide au développement, des experts se tyrannisent. Ils ne voient pas du tout cette problématique du même œil. Oui, il y a des aides qui tombent mais la pauvreté sévit toujours. Pour Nyunguka, la solution n’est pas de se débarrasser de la dette extérieure, du moins dans l’immédiat. Cela étant, il explique qu’il y a des pays qui s’en sont bien pris et que l’aide au développement a donné des fruits.
En Afrique, le nombre de pauvres a augmenté, faisant à terme de la pauvreté un phénomène essentiellement africain. (Source : World Bank PovcalNet)
« Même si nos pays en voie de développement se débarrassaient de la dette extérieure, ce n’est pas évident que ces pays parviendraient à booster leurs économies », explique Nyunguka. Il indique que généralement les pays en voie de développement sont en déficit budgétaire. Ils risqueraient de virer vers l’accroissement de la dette intérieure une fois qu’ils se débarrasseraient de la dette extérieure. Ce qui n’est pas sans conséquence également.
C’est le cas du Burundi qui, selon l’OLUCOME, avait en 2019 une dette publique qui s’élevait à 2 753.5 milliards de FBu bu contre 2 426.1 milliards de FBu en 2018. Selon toujours l’Olucome, la cause majeure de cette dette publique est la crise d’avril 2015 qui a détérioré les bonnes relations qui existaient entre le Burundi et ses partenaires. Pour la dette extérieure, les nouveaux tirages ont porté sur la dette provenant de l’OPEP (11 390.69 milliards de FBu), de la BADEA (7 437.94 milliards de FBu), d’Exim Bank (3 379.21 milliards de FBu), du fond Koweît (12 414.2 milliards de FBu) et du fonds Saoudien (6 632. 6 milliards de FBu). (Voire l’article de la page suivante).
« Nous avons constaté qu’après 60 ans d’indépendance, nous voyons que l’Afrique est l’un des continents qui demeurent toujours sous-développés malgré les potentielles richesses qu’il regorge (…). Dans notre manière de collaborer avec les Européens, il y a quelque chose qui mérite d’être changé », disait Mahamat Saleh Annadif, ancien ambassadeur de l’Union Africaine à Bruxelles lors d’une interview accordée à la chaîne VoxAfrica.
Pas de solutions miracles
Si ça ne marche pas, c’est une défaillance de la part des dirigeants africains, dit l’économiste. « Il ne faut pas accuser les bailleurs, le partenariat se négocie », ajoute-t-il. Comme le dit l’expert, il n’y a pas de solutions miracles. Tout est une question de choix et d’analyse. Il met en cause la façon dont le pays utilise l’aide, la responsabilité ou la conscience des dirigeants.
Dans d’autres pays, le ministère des Finances est doté d’une cellule de coordination des aides. Les partenaires qui fournissent l’aide au développement sont orientés par cette cellule qui identifie les priorités du pays et les besoins de la population vulnérable.
En 2015, les Nations Unies et les dirigeants du monde se sont réunis pour revoir les objectifs du millénaire pour le développement. Faut-il mettre à terme l’aide publique au développement et trouver une alternative au développement à l’occidentale ?