Au Burundi, la gouvernance économique pose problème. Elle est émaillée de moult embûches comme le montre Léonce Ndikumana, professeur émérite à l’université de Massachussetts sise aux Etats Unis d’Amérique dans ce numéro
Lors du débat organisé par la BRB sur le financement du développement du Burundi, Léonce Ndikumana, expert en économie et professeur émérite à l’université de Massachussetts sise aux Etats Unis d’Amérique déplore que le Burundi soit confronté à la mauvaise gouvernance économique. A titre illustratif, il fait savoir qu’il y a un grand écart entre les marchés de change officiel et parallèle. « Cela est lié aux restrictions de vente des devises appliquées par la Banque centrale», précise- t- il. Quand il y a trop de conditions pour vendre les devises, ceux qui en ont besoin se rabattent sur le marché parallèle. C’est ce calvaire qui prévaut au Burundi. Les bureaux de change sont fermés depuis un certain temps. Alors puisque la Banque centrale n’est pas à mesure de satisfaire toute la demande en devises, une grande partie de ceux qui en ont besoin font recours au marché parallèle. On se fixe un rendez vous avec ceux qui en disposent et on se croise à un endroit x ou y pour s’approvisionner en cette denrée qui est devenue rare depuis un certain temps. Et, jusqu’à maintenant, le marché parallèle se taille la part du lion. Selon Ndikumana, les statistiques montrent qu’actuellement plus de 74% des importations sont financées par le marché parallèle. De plus, la fixation du prix des devises par la Banque centrale fait que le marché parallèle émerge davantage. En principe, Ndikumana fait remarquer que le marché de change est influencé par les fondamentaux de l’offre et de la demande ainsi que par la gouvernance.
Léonce Ndikumana, expert en économie et professeur émérite à l’université de Massachussetts sise aux Etats Unis d’Amérique : «On ne va pas avoir le développement grâce seulement à la prière. Il faut travailler».
Quid des conséquences du déséquilibre du marché de change ?
Cet expert fait savoir que le déséquilibre du marché de change a beaucoup de conséquences néfastes sur l’économie. Cela entraîne la fraude sur les importations. La Banque centrale a des difficultés pour bien suivre s’il n’y a pas de magouilles lors des importations. L’opérateur économique peut s’arroger le droit d’importer des véhicules Mercedes au lieu des matériaux de construction qui faisaient l’objet de la demande des devises. De plus, il peut déclarer de fausses quantités ou faire tout pour faire une mauvaise facturation afin de payer peu d’impôts. Il y a aussi la corruption. Ce qui handicape l’efficacité du contrôle de change et facilite la fuite des capitaux.
Selon toujours lui, certains cadres de l’Etat ne savent pas ce qu’ils font. Ils contribuent même à l’évasion fiscale. Il cite l’exemple d’un cadre qui a chassé les gens qui venaient payer les frais de transfert des vehicules sous prétexte qu’ils contribuaient à ce que son fameux bureau soit envahi par la chaleur. De plus, cet expert en économie reproche au Burundi d’être le pays le plus gentil en arguant qu’il accorde des exonérations sur une longue échéance aux différentes sociétés qui les sollicitent. «Imaginez une société qui a 15 ans ou 25 ans d’exonérations de payer les impôts», s’inquiète- t- il. Selon lui, ces exonérations plongent le pays dans une pauvreté criante, car ce sont des taxes qui échappent au trésor public. Et d’ajouter la politique de revoir à la hausse les taxes et les impôts. Selon lui, cela conduit à l’évasion fiscale et au renforcement du commerce illégal. Une autre anomalie est liée aux longues procédures qui s’observent dans le paiement des frais pour certains documents. On t’envoie d’abord dans les banques pour payer et apporter les bordereaux. Il donne l’exemple du paiement des frais du test Covid-19 et du passeport.
Notons que Ndikumana invite les décideurs à ne pas croiser les bras pour redynamiser le développement du pays. Il s’inquiète du fait qu’un jour sur la question de la pénurie du carburant et des devises, une autorité lui a dit qu’il fait ce qu’il peut et qu’il prie Dieu pour que ces pénuries se résorbent. D’après Ndikumana, Dieu aime tout le monde, mais aide celui qui s’aide en premier. Si les décideurs ne s’impliquent pas énergiquement pour inverser la tendance, il se demande alors si on va imprimer les devises ou extraire le carburant quelque part. «On ne va pas avoir le développement grâce seulement à la prière. Il faut travailler. Et dire que telle institution financière n’aime pas le Burundi n’est pas une bonne solution, car les institutions comme le FMI, la Banque Mondiale ou la BAD ont des règles d’engagement sur lesquelles elles se basent pour coopérer avec les pays. Elles n’ont pas été faites pour le Burundi seulement, mais pour tous les pays du Monde. Les documents de projets, les accords et les signatures qu’elles demandent, elles le font pour tous les pays. Ce n’est pas sur le favoritisme ou le degré d’amitié qu’elles se basent. C’est une question de coopération au développement», conclut- il.