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Le sucre, une denrée rare dans la capitale économique

Le sucre se raréfie sur le marché. Cet article est le grand absent sur les étagères des boutiques de la capitale économique. Les commerçants détaillants et les consommateurs remuent ciel et terre pour trouver ce produit, si stratégique. Les autorités rassurent que la quantité produite par la Société Sucrière du Moso (Sosumo) est amplement suffisante

Le tarif officiel fixe un sac de 50 kilos à 111.500 FBu dans les entrepôts de la Sosumo. Les commerçants qui s’approvisionnent directement dans les entrepôts de la Sosumo doivent revendre le sac de sucre à 114 000 FBu tandis que pour un détaillant, un sac de 50 kilos ne doit pas dépasser 117 000 FBu. Le prix d’un kilo de sucre est de 2 340 FBu, a rappelé l’ADG de la Sosumo lors d’un point de presse tenu le 3 février 2020.

Le commerce du sucre devient un véritable casse-tête dans la capitale économique. Le produit se raréfie dans la plupart des magasins de la ville de Bujumbura

A la même occasion, il a annoncé une batterie de mesures pour mettre fin à la spéculation rampante. La Sosumo a décidé de limiter la quantité livrée à ses clients. Ceux qui ont droit à des quantités supérieures à quatre tonnes devront s’approvisionner en deux temps par quinzaine. Les commerçants des provinces de Bujumbura, Bururi, Bubanza, Cibitoke et Rumonge faisaient exception à la règle. Qu’en est-il de la situation actuelle, 3 mois après cette mesure ?

Une spéculation qui tend à se généraliser   

Dans la plupart des quartiers de la capitale économique Bujumbura, le sucre reste introuvable. Les commerçants qui en disposent fixent les prix comme bon leur semblent. De Kanyosha en passant par Nyababiga et Mutanga Nord jusqu’à Mutakura, les consommateurs se lamentent. Ils ne savent pas à quel saint se vouer ! A Mutanga Nord, les commerçants vendent le sucre aux connaissances. « Un kilo de sucre est vendu à 2 500 FBu. Mais si le commerçant constate que le visage ne lui est pas familier, il dit catégoriquement que cette denrée n’est pas disponible. Il faut être un habitué des langages codés pour s’approvisionner en sucre. Même quand on envoie un domestique, il rentre bredouille sans aucun cristal de sucre », se désole une trentenaire rencontrée devant une boutique.

La situation semble pareille au quartier Nyakabiga à une exception près. Pour avoir du sucre, on est obligé d’acheter un autre produit. Dans les quelques alimentations et/ou boutiques qui commercialisent encore ce produit, le prix oscille entre 2 600 FBu et 3 000 FBu. Il est en de même au quartier asiatique. A Kanyosha, un habitant qui a requis l’anonymat témoigne du manque criant du sucre. « Le sucre est quasi-inexistant dans les alimentations de notre quartier. Le sucre est livré à compte-gouttes. Le client doit acheter d’autres produits pour avoir du sucre à 2 500 FBu le kilo », déplore-t-il avant d’ajouter que les différentes mesures prises pour juguler ce phénomène semblent être sans effet.

Mutakura fait face à une pire pénurie le sucre

A Mutakura, le commerce du sucre est assimilable à celui des stupéfiants. Vendre le sucre c’est comme si on commercialisait de la marijuana ou de la cocaïne ou encore du boost, regrettent les commerçants du Nord de la capitale économique.

Les commerçants communiquent de moins en moins sur la disponibilité de ce produit de peur d’être arrêtés par les forces de l’ordre qui rôdent autour du quartier pour traquer les trafiquants du sucre. Dans au moins trois boutiques visitées, aucun kilo de sucre sur les rayons. Les boutiquiers confirment qu’il y a une pénurie de sucre depuis des mois. Si jamais le sucre est disponible, le kilo s’achète à 4 000 FBu. Un commerçant confie qu’il s’est approvisionné à Nyakabiga un seul sac de 50 kg à 150 000 FBu. « J’ai dû passer par un intermédiaire-une connaissance -pour avoir cette infime quantité. Les grossistes du sucre vont jusqu’à exiger la preuve de paiement de la taxe municipale pour se rassurer que le coli ne tombe pas dans de mauvaises mains », insiste notre interlocuteur.

Le régulateur serait-il dépassé

Le ministère en charge du commerce a dans ses attributions la fixation et le contrôle des prix des produits stratégiques dont le sucre. Le décret n°100/096 du 08 août 2018 portant réorganisation du ministère du commerce, de l’industrie et du tourisme en son article 1 stipule que le ministère en charge du comme a entre autres missions principales celle d’assurer la régulation et le contrôle des prix de certains produits stratégiques. En outre, elle doit assurer autant que possible l’application des taux de marges agrées pour limiter les spéculations des entreprises en situation de monopole ou d’oligopole.

La porte-parole du ministère a invité les citoyens, y compris les professionnels des médias à dénoncer les spéculateurs. Elle s’est contentée de fournir des chiffres sur les amendes perçues par ledit ministère. « Nous avons déjà collecté autour de 10 millions de FBu issues des amendes liées au non respect des prix. On enregistre actuellement 80 commerçants qui sont tombées dans les mailles du filet après les travaux d’inspection »

Une situation récurrente 

Les conclusions de l’enquête de la commission parlementaire de la Bonne Gouvernance et de la Privatisation menée en 2017 relèvent un déséquilibre entre l’offre et la demande du sucre. Les membres de la commission ont indiqué que le problème réside dans la quantité produite par la Sosumo qui est inférieure à la demande. La production annuelle du sucre oscille entre 20 000 et 23 000 tonnes. Par ailleurs, la Brarudi à elle seule utilise autour de 4 000 tonnes par an. La même commission précise que le tonnage octroyé aux provinces est proportionnel à la population qui réside dans cette province.

La chute de la production est à l’origine de l’augmentation des prix du sucre sur le marché. Depuis 2016, la production est en chute libre. Elle est passée de 23 656 tonnes en 2016 à 18 574 tonnes en 2019.

Le Burundi connait une pénurie chronique de sucre. Le nombre de consommateurs ne cesse d’augmenter alors que la production stagne. Le projet de redynamisation et d’extension de la Sosumo tarde à se concrétiser.

Quel est le nœud du problème ?

La production du sucre évolue en dents de scie. D’après les données compilées par la Banque centrale, la production du sucre affiche une courbe sinusoïdale. Ainsi, la production reste instable. Elle est passée de 21 713 tonnes en 1998 à 14 314 tonnes en 2009. Depuis 2016, la production est en chute libre. Elle est passée de 23 656 tonnes en 2016 à 18 574 tonnes en 2019. Or, les consommateurs ne cessent d’augmenter avec l’extension des centres urbains et péri-urbains, l’implantation des unités de transformation des fruits en jus, les boulangeries, les pâtisseries, les fabricants de beignets, etc. la Sosumo ne peut pas satisfaire toute la demande. Pour satisfaire la demande, le gouvernement a autorisé les opérateurs économiques à importer le sucre. A titre d’exemple, la Sosumo a vendu 26.155,35 tonnes de sucre dont 23 117,25 tonnes de sucre produit par la Sosumo et 3 038,100 tonnes de sucre importé au cours de l’exercice 2016-2017.

Les statistiques de l’Office Burundais des Recettes sur le commerce extérieur montrent que les importations du sucre affichent une régression. Le pays a importé le sucre pour une valeur de plus de 8,9 milliards de FBu au second trimestre 2019 contre des quantités de sucre d’une valeur de plus de 12,5 milliards de FBu à la même période en 2018, soit une régression de 28,8%. Ces données confirment que l’importation du sucre est en nette diminution. Une situation qui risque de s’aggraver avec la pandémie actuelle de Coronavirus et surtout les mesures de rationnement du flux de marchandises qui affecte le commerce extérieur.

20 millions USD pour redynamiser la Sosumo

La Sosumo fait actuellement face à des problèmes structurels et conjoncturels. En août 2018, le directeur du département de l’agriculture Salvator Sindayihebura a fait savoir que l’espace cultivé se rétrécit. « Sur une propriété de 5 800 ha dont dispose la Sosumo, seulement 3 360 ha sont exploités. De plus, les engins ne parviennent plus à broyer toute la quantité de canne à sucre produite par campagne. Pour cause, la capacité installée de cette usine qui est de 55 tonnes de canne à sucre par heure, soit 1 250 tonnes de canne à sucre/jour », a expliqué M. Sindayihebura en marge de la visite du Deuxième Vice-Président de la République à la Sosumo.

Pour augmenter la production, Jean-Marie Niyokindi, ministre du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme fait remarquer que pas mal de conditions doivent être réunies. Ce sont notamment l’extension des champs de canne à sucre, le recours aux techniques agricoles modernes, le renforcement des capacités du personnel. Pour ce faire, le ministre Niyokindi a présenté devant la chambre basse du parlement un projet de loi portant changement du mode de gestion et de la structure du capital social de la Société Sucrière de Moso (SOSUMO).

L’objectif visé était pourtant de produire au moins 35 mille tonnes de sucre par an pour satisfaire la demande intérieure. Ainsi, le gouvernement a besoin d’une somme de 20 millions USD pour rendre la Sosumo plus rentable. Il fait appel aux investisseurs privés sous forme de partenariat public-privé pour recapitaliser cette entreprise dont l’Etat est actionnaire majoritaire à côté de la Brarudi et de l’Interbank.

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