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Le théâtre burundais en hibernation

Au moment où la 3ème édition du festival de théâtre Buja Sans Tabou est sur le point de commencer, il est opportun de se demander où en est ce genre littéraire. Cet événement est un véritable coup de projecteur sur cet aspect de la culture qui connait des difficultés depuis quelques années. Burundi Eco s’est entretenu avec Eric Manirakiza, un des rares encadreurs d’une troupe de théâtre.

Eric Manirakiza, enseignant au lycée du Saint Esprit et encadreur d’une troupe théâtrale : « On a du mal à recruter les acteurs. On ne sait pas pour quelle raison, mais ce problème est plus prononcé chez les garçons. On ne parvient pas à trouver des acteurs qui ont du talent »

Le théâtre burundais a connu un déclin depuis que le Burundi a plongé dans une crise socio-politique. De notre temps, quand on était encore au Lycée, le théâtre avait une grande place dans les événements culturels. Il était présent dans presque tous les établissements scolaires du pays. Avec la crise, il y a eu un désintérêt. Progressivement, les jeunes ont délaissé le théâtre au profit d’autres types de divertissement moins exigeants. Aujourd’hui les écoles qui disposent de troupes de théâtre sont peu nombreuses, indique Eric Manirakiza, enseignant de français au Lycée du Saint Esprit et un des rares encadreurs de troupe de théâtre. Les raisons qui peuvent expliquer ce déclin sont nombreuses, dit-il.

Le théâtre est pourtant important pour la société

Le théâtre a une valeur didactique pour la société. Il purifie en quelque sorte l’esprit. On peut dire tout au théâtre. On joue un rôle. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on portait un masque au théâtre autrefois. Aujourd’hui, c’est le costume qu’on endosse pour incarner un personnage. On n’a pas besoin de prendre des gants car on ne parle pas en son nom mais à la place de quelqu’un d’autre. Les gens apprennent beaucoup en s’amusant.  D’ailleurs certains disent que le théâtre est comme un miroir qu’on promène à travers la société. Cette dernière apprend sans y être obligée, c’est important

Les raisons à l’origine du déclin du théâtre

La diminution des écoles à régime d’internat, une des causes

Le nombre de Lycée à régime d’internat diminue de plus en plus parce que maintenant on privilégie le régime d’externat. Or c’est dans les écoles à régime d’internat que les élèves ont assez de temps pour se consacrer aux activités parascolaires. Cela n’est pas de nature à faciliter le travail des clubs de théâtre. Les élèves externes n’ont pas assez de temps pour préparer des pièces de théâtre. Ils n’évoluent plus dans un cadre qui facilite ce genre d’organisation. Les collèges communaux ou municipaux ne peuvent plus bien encadrer les jeunes parce qu’ils sont dispersés. Ils vont à l’école, étudient et rentrent à la maison. Il n’y a plus de temps pour faire du théâtre, déplore M. Manirakiza

Le niveau de la langue française a baissé

L’autre problème est que le niveau de formation a baissé. Les élèves ont un niveau trop bas en français alors qu’il faut être à l’aise dans les langues pour faire du théâtre. C’est un vrai défi. Quand nous constituons la troupe théâtrale, nous ne pouvons pas recruter les plus faibles. Nous prenons les meilleurs, mais actuellement même ceux qui paraissent être les meilleurs ont un niveau de français qui laisse parfois à désirer.

Pas d’encouragement pour l’encadreur d’une troupe

L’encadreur d’une troupe de théâtre qui est en même temps enseignant n’est aucunement encouragé. Il ne perçoit que le salaire de la fonction publique comme les autres alors qu’il fournit beaucoup d’efforts pendant plusieurs mois pour préparer la troupe en plus de son travail habituel. Le théâtre exige beaucoup pour arriver au produit fini. On travaille durement pour être applaudi sur scène. Parfois quand les autres sont en vacances, nous continuons à travailler. Mais on ne reçoit absolument rien comme encouragement. A peine, on donne 2000 FBu de déplacement à l’encadreur le jour de préparation. C’est peu par rapport aux besoins. On se donne à fond, mais il n’y a pas de gratification. Imaginez-vous un enseignant qui travaille pendant les vacances de Noël et de Pâques pour préparer une pièce que la troupe présentera pendant les grandes vacances alors que ses collègues sont en vacances. Il ne se repose pratiquement pas durant toute l’année. En retour, qu’est-ce qu’il a pour tous ces efforts fournis ? Rien, déplore amèrement M. Manirakazi

L’enseignant préfère aller voir ailleurs

Certains préfèrent donner des cours particuliers ou des cours du soir pour compléter leur salaire. Au théâtre, ils savent qu’ils n’y gagneront rien. Ils ne viennent pas. La relève n’est plus assurée. On est en train de vieillir. Qui seront là après notre départ ? se demande M. Manirakiza. Au Lycée du Saint Esprit où je travaille, nous ne sommes que deux. Nous ne voyons pas qui prendra la relève quand nous ne serons plus là, ajoute-t-il.

On a du mal à recruter les acteurs

Nous éprouvons quelques difficultés à recruter les acteurs. On ne sait pas pour quelle raison, mais ce problème est plus prononcé chez les garçons. On ne parvient pas à trouver des acteurs qui ont du talent. C’est difficile d’avoir une troupe complète, c’est-à-dire deux acteurs par rôle. Les jeunes sont motivés, mais on sent que ce n’est plus comme dans les années passées. Il faut travailler beaucoup avec les jeunes parce que parfois ils ne sont pas bien outillés, se lamente l’encadreur.

Il faut faire quelque chose

Manirakiza propose qu’on forme des encadreurs dans toutes les écoles du pays. On devrait également voir comment les encourager à travers une prime particulière ou en leur payant des heures supplémentaires. S’il n’y a pas de contrepartie, les enseignants n’y trouveront pas d’intérêt et ne viendront pas nombreux. Ceux qui seraient formés iraient former les élèves à leur tour. Il faut qu’il y ait un programme d’encadrement culturel des jeunes dans les établissements scolaires.

Il faut qu’on mette en place des pépinières du théâtre dans les écoles. On doit organiser des compétitions culturelles entre les écoles où les meilleurs seraient récompensés. Il faut vraiment qu’il y ait continuité en ce qui concerne le théâtre. Inciter les écoles à organiser les activités culturelles pourrait aider à redynamiser le théâtre au Burundi, estime M. Manirakiza.

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