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Les abandons scolaires, l’autre défi du système éducatif

Depuis que la mesure de rendre la scolarité primaire gratuite et celle instaurant l’Ecole Fondamentale (ECOFO) ont été prises, l’affluence vers les salles de classe  ne cesse d’augmenter. Paradoxalement, le nombre d’abandons scolaires augmente lui aussi. Burundi Eco fait le point sur cette question

Selon les chiffres disponibles au Bureau de la Planification et des Statistiques de l’Education (BPSE), le nombre d’élèves  pour les 3 premiers cycles du fondamental est passé de 1.585.539 en 2007 à 2.313.818 en 2016. Parallèment 204 095 élèves ont abandonné l’école en 2016, soit un taux d’abandon de 15,1% alors qu’en 2015 il était  10,4 %, soit une augmentation d’à peu près 5% en une seule année. Ces chiffres qui viennent d’être évoqués montrent à suffisance que le phénomène des abandons scolaires prend de plus en plus d’ampleur alors que l’Etat a consenti beaucoup d’efforts pour scolariser le plus grand nombre d’enfants en âge d’aller à l’école. Pourquoi cette contradiction ?

David Ninganza, directeur du centre de protection de l’enfant et chef du programme protection, prévention et plaidoyer à la SOJPAE : « A cause des menstruations, les filles s’absentent au moins 40 jours chaque année scolaire. Il y va sans dire que cela favorise l’échec scolaire et, partant, les abandons scolaires »

Plusieurs causes à l’origine de ce phénomène

Dans certaines  provinces, le taux d’abandons est plus fort que dans d’autres. A Muyinga ou à Cibitoke où l’exploitation aurifère est une réalité, le nombre d’élèves de l’ECOFO qui ont quitté le banc de l’école est respectivement de 23547 et 11026. Ils  sont nombreux à préférer ikarayi (instrument qui sert à tamiser l’or) que ikaramu (stylo). Par contre à Mwaro, avec 4782 cas contre 5743 pour Bujumbura-Mairie, les abandons scolaires sont relativement moins importants.

De la même façon, les provinces frontalières de la Tanzanie connaissent un pic d’abandons scolaires pendant la période de récolte du tabac. Les enfants délaissent l’école pour se rendre dans ce pays afin d’aider leurs parents à gagner un peu d’argent en récoltant le tabac. Malheureusement, quand ils reviennent, la réintégration s’avère être un parcours du combattant. Et, pour cause, la seule commission de réintégration se trouve à Bujumbura, c’est-à-dire à des centaines de km de chez eux. Ils jettent l’éponge à cause de cela, déplore David Ninganza, directeur du centre de protection de l’enfant et chef du programme protection, prévention et plaidoyer à la SOJPAE.

Les menstruations y ont leur part aussi

Selon toujours M. Ninganza, les menstruations sont responsables d’un grand nombre de cas d’abandons scolaires. Les jeunes filles de l’intérieur du pays n’ont pas de serviettes hygiéniques. Ce qui fait qu’elles restent à la maison durant la période des règles. Chaque mois elles perdent au moins quatre jours, car elles sont obligées de rester à la maison.

Ainsi, elles s’absentent au moins 40 jours chaque année scolaire. Il y va sans dire que cela favorise l’échec scolaire et, partant, les abandons scolaires. Par ailleurs, quand une fille oublie ses dates et qu’elle tâche, c’est l’opprobre sur elle. Elle est couverte de honte et préfère abandonner l’école que de subir les railleries des garçons. « Je ne comprends pas comment les organismes qui interviennent dans le secteur de l’éducation distribuent du matériel scolaire aux nécessiteux et oublient de donner des serviettes hygiéniques aux jeunes filles. C’est injuste pour elles », s’insurge M. Ninganza. Pire encore, quand la jeune fille reste à la maison à cause des règles et que son  père lui demande pourquoi, quand elle essaie d’en parler, le père est désemparé. Il ne sait pas quoi faire. Une voile de tabous couvre la période des règles des élèves jeunes filles au niveau familial. Il faut que cela change si on veut lutter efficacement contre les abandons scolaires, renchérit M. Ninganza

Les grossesses en milieux scolaire, ce monstre qui guette les jeunes filles

Les données recueillies  à la direction générale de l’enseignement fondamental et fournies par un cadre de Forum for African Women Educationalists (FAWE) indiquent que, pour l’année scolaire 2015-2016,  2.208 cas de grossesses en cours de scolarité ont été enregistrés dans les écoles secondaires publiques. Parmi ces cas, 1519 concernaient l’ECOFO tandis que 689 concernaient les établissements du cycle post fondamental. Selon les sources concordantes, ces chiffres seraient en dessous de la réalité, car les parents des victimes préfèrent parfois passer sous silence ces cas ou transiger avec les responsables de ces grossesses qui sont souvent leurs  encadreurs des élèves. Cela parce que parfois ces responsables terrorisent les victimes d’une manière ou d’une autre.

Le cas de D.I du  lycée de Bisoro

Dans certains cas, le traitement qui est réservé aux cas de grossesses en milieu scolaire décourage les victimes.  Le cas de D.I du lycée de Bisoro de la DPE de Mwaro, est illustratif. Selon les informations fournies par David Ninganza de la SOJPAE, le directeur de cette école était accusé d’avoir engrossé cette élève. L’affaire était déjà pendante devant la justice. Le témoin à charge n’était autre que le directeur de l’internat de cet établissement. Pourtant, ce directeur est resté dans son fauteuil comme si de rien n’était. Certes il  n’était pas encore reconnu coupable par le tribunal, mais il  aurait dû être provisoirement suspendu de ses fonctions, le temps que la justice face la lumière sur cette affaire.  Pire encore, il a renvoyé la victime au 2ème trimestre pour indiscipline comme cela peut être constaté sur le bulletin de cette élève que M. Ninganza a présenté au reporter de Burundi Eco.  Il a relaté par la suite  plusieurs cas où les responsables sont des éducateurs. Les grossesses sont en passe de devenir un fléau en milieu scolaire, a déploré M. Ninganza.

D’autres causes sont à la base  de ce phénomène

Selon les recherches menées par le BPSE, la pauvreté est également une des causes majeures des abandons scolaires. Les parents des élèves qui abandonnent l’école disent qu’ils sont incapables d’assurer certains frais demandés par les écoles pour le fonctionnement de l’école, les petites réparations, l’achat du matériel scolaire, etc.  Il y a aussi l’échec scolaire. En 2011, une étude de ce même bureau sur les causes de la déperdition scolaire montre que parmi les principales causes citées par les élèves qui avaient abandonné l’école, il y avait l’échec scolaire. Par ailleurs, le manque de textes contraignant les parents à faire inscrire les enfants à l’école et à les y maintenir jusqu’ à un certain âge et les faibles perspectives d’un emploi rémunéré sont aussi citées comme causes des abandons scolaires.

Dans les zones d’exploitation aurifère les élèves sont nombreux à préférer ikarayi (instrument qui sert à tamiser l’or) à ikaramu (stylo)

Quelques pistes de solutions

Il faut que les parents assument pleinement leur rôle. Le parent ne doit pas être informé seulement. Un conseil national des parents est plus que nécessaire. Ce conseil serait  intégré au système éducatif en place et devrait jouer un rôle actif, pas seulement consultatif.

Les parents et les éducateurs doivent collaborer pour rendre l’encadrement des élèves plus efficace. En fait, c’est l’intervalle de temps compris entre l’école et la maison qui pose problème. Il ne faut pas s’étonner si un(e) élève qui a quitté l’école à 13h pour arriver à la maison à 18h a des problèmes, souligne M. Ninganza.  Ce laps de temps est responsable de beaucoup d’abandons scolaires. Par  ailleurs, les parents doivent se mettre à jour en ce qui concerne les nouvelles technologies de l’information. Les élèves trompent leur vigilance facilement.

Un âge scolaire minimum obligatoire (ASMO)

Le gouvernement devrait instaurer un ASMO. C’est tout à son honneur la mesure de rendre la scolarité gratuite. Mais il devrait aller plus loin et la rendre obligatoire. La gratuité devrait être accompagnée de l’obligation pour inciter les parents à envoyer leurs enfants à l’école.  Pourquoi personne ne s’indigne de la situation de ces jeunes enfants domestiques (ababoyi et abayaya) en âge de scolarisation qui viennent travailler en ville pour des miettes alors que le gouvernement fait des efforts pour qu’ils soient scolarisés ? Ce sont eux qui gonflent le chiffre des abandons scolaires en réalité, fait savoir M. Ninganza.

Les cantines scolaires, une idée salvatrice

Les cantines scolaires sont d’une grande utilité. Là où il y en a, les élèves sont motivés et ils apprennent bien leurs leçons. Il y a des enfants qui passent toute la journée  à l’école sans manger. Ils sont enclins à abandonner l’école quand ils n’en peuvent plus. La cantine scolaire gratuite est une bonne solution. Malheureusement, ces cantines ne sont présentes que dans cinq ou six  provinces. Même dans ces provinces, ce sont seulement quelques communes qui sont concernées. Ces cantines ont  un impact positif sur le taux de réussite, a indiqué Me Jean Samandari, représentant de la coalition Bafashebige.

Le gouvernement a compris l’importance des cantines scolaires. C’est sûrement pour cette raison qu’il y a alloué une somme de plus de 2,6 milliards de FBu dans le budget général de l’Etat pour   l’exercice    2018-2019. Quoique  cette somme reste  insuffisante pour couvrir tous les besoins du pays, cela montre qu’il a déjà pris conscience du problème épineux des abandons scolaires.

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