La population urbaine ne cesse d’augmenter. Cette situation influe sur la problématique de gestion de l’habitat urbain. L’urbanisation doit respecter les normes de construction et environnementales. Cependant, les constructions anarchiques gagnent du terrain. Cela alors que, récemment, un plan directeur « Bujumbura, vision 2045 » a été mis en place. Les pouvoirs publics sont appelés à mettre en application toutes les mesures nécessaires pour lutter contre les constructions qui ne respectent pas les normes urbanistiques.
La population urbaine en Afrique connait un rythme de croissance très élevé. D’après les experts de l’Agence Française de Développement (AFD), les grandes villes africaines connaissent une augmentation moyenne de 1000 habitants par jour. Ce phénomène prend de l’ampleur du moment que la croissance urbaine est déconnectée de la croissance économique. Le Burundi n’échappe pas à cette réalité. La population urbaine ne cesse de croître. En 1914, Usumbura, actuelle ville de Bujumbura, comptait moins de 4 000 habitants dont la majorité était des étrangers. Actuellement, la population urbaine avoisine un million d’habitants établis sur une superficie de 87 km².
Cela impacte la gestion de l’habitat urbain. L’espace réservé à la construction se rétrécit et les habitants se rabattent sur les parcelles se trouvant dans des zones non viabilisées. Ce qui rend la tâche difficile aux pouvoirs publics de suivre de près la construction dans ces zones. La ville grignote petit à petit sur les terres arables. Les quartiers périphériques ne cessent de s’agrandir alors que d’autres naissent. Les constructions y sont érigées dans un désordre parfait. Suite à la pression démographique, les constructions anarchiques prolifèrent un peu partout dans la ville de Bujumbura. Les gens n’hésitent pas à construire dans des zones inconstructibles au mépris des normes urbanistiques.
Pourquoi ces constructions anarchiques ?
D’après Jean Marie Sabushimike, professeur de l’Université du Burundi dans la faculté des Lettres et Sciences Humaines, département de Géographie, les constructions anarchiques en périphérie des villes s’expliquent par le manque de planification urbaine sur une longue durée. « Si on observe des constructions dans une anarchie très visible, cela veut dire que ces personnes ignorent complètement les règles de l’urbanisme. Et cela est imputable à l’absence du plan local d’urbanisme», déplore-t-il.
Pour remédier à cette situation, Pr. Sabushimike n’y va pas par quatre chemins. Il revient aux pouvoirs publics de renverser la tendance actuelle. Ce sont eux qui devraient effectivement appliquer le plan local d’urbanisme. Chaque commune urbaine devrait se doter d’un plan d’urbanisme local et l’ensemble des plans locaux pourrait constituer le schéma d’aménagement directeur de la ville de Bujumbura. Cela exige de bien connaître ces zones d’abord de façon approfondie et envisager ensuite le plan global sur le long terme. Cela pourrait corriger tous les défauts que nous observons aujourd’hui sur le plan urbanistique et sur le plan environnemental.
C’est la population qui en pâtit
L’absence des canalisations expose les habitants au risque d’inondations en cas de fortes pluies. Les eaux pluviales ne peuvent pas couler. Elles sont bloquées par les constructions qui ne prévoient pas de système d’évacuation des eaux. Ce qui provoque des écroulements de maisons.
La rédaction de Burundi Eco a effectué une visite dans les quartiers de Gishosha rural, Gikungu rural, Muyaga et Kibenga. La voirie y est presqu’inexistante. Les rues serpentent entre les constructions et se terminent par des impasses. D’autres se faufilent entre les habitations. Dans les quartiers périphériques de la zone Gihosha, ce sont des ponts de fortune en planches ou des tuyaux d’eau de la Regideso qui servent de voies de communication pour passer d’un quartier à l’autre. Il y est difficile de s’orienter car il n’y a pas d’adresse. Pire encore, la mobilité devient un casse-tête pour les riverains de ces quartiers. Aucun véhicule assurant le transport en commun n’y circule. Seuls les véhicules des particuliers et quelques taxis s’aventurent dans les rues en terre battue en mauvais état pour relier ces quartiers au reste de la ville. Les frais de transport sont extrêmement élevés. A Kibenga, la situation est presque la même. Les canalisations des eaux slaloment entre les habitations. A certains endroits, les eaux usées se déversent dans d’étroites canalisations des eaux de pluie sommairement aménagées. Certains équipements de la Regideso sont implantés dans les parcelles des particuliers.
Les constructions anarchiques menacent aussi la biodiversité du lac Tanganyika
La zone tampon n’est plus respectée. Sur le littoral du lac Tanganyika, les constructions y sont érigées sans le moindre souci de protéger l’environnement. La distance de 150 m exigée pour construire sur les rives du lac n’est pas respectée dans certains endroits. A ce sujet, le géographe Sabushimike nuance ses propos. « Les constructions anarchiques sont condamnables dans la mesure où elles perturbent la zone tampon. Il serait préférable d’y ériger des plages, bien structurées avec des espaces touristiques bien aménagés, des bars restaurants, des hôtels au lieu d’une occupation en désordre des rives du lac Tanganyika.
Il faut protéger l’écosystème du lac
Pourtant, dans les autres villes, certaines constructions sont érigées jusque sur l’eau. Pr. Sabushimike réplique que dans ces pays il n’y a pas de faune ni de flaure à protéger. S’il n’y a pas d’êtres vivants qu’on dérange, on peut même construire des ouvrages flottants sur l’eau. Ce qui n’est pas le cas sur les rives du lac Tanganyika. Il y a des défis liés à l’environnement. C’est pourquoi on devrait éviter les constructions anarchiques que ce soit en ville ou en milieu rural sur le littoral du lac Tanganyika.
Jean Marie Sabushimike rappelle que les zones tampons sont des zones écologiques d’une très grande importance pour notre parc zoologique. C’est l’espace de pâturage pour les hippopotames qui sont actuellement gênés par l’agression humaine de leur habitat. L’occupation désordonnée du littoral du lac Tanganyika entraine des conséquences fâcheuses. Il cite la diminution des produits halieutiques qui est en nette relation avec la mauvaise gestion du littoral.
Selon toujours lui, certaines constructions nécessitent d’être délocalisées pour sauvegarder l’équilibre entre l’aménagement du territoire et l’écologie des sites menacés. Cela dans le but de protéger les hippopotames, les crocodiles, des poissons ; bref la faune aquatique. C’est pourquoi une étude de l’impact environnemental est exigée dans le cas de la viabilisation d’un nouvel espace de vie.
Quid du sort des constructions anarchiques ?
Avant de bâtir, toute personne devrait avoir l’aval des services de l’urbanisme. Ce sont ces seuls services qui délivrent les autorisations nécessaires après avoir épuisées toutes les procédures nécessaires. C’est ici où réside le problème. Les gens ignorent cette étape et font ce qu’ils veulent. L’administration à la base ne nous aide pas beaucoup. Elle devrait systématiquement vérifier si les constructions dans sa zone de compétence ont toutes les autorisations nécessaires, indique Ir. Emmérence Ntahonkuriye, directrice générale de l’Urbanisme et de l’Habitat. Les administratifs à la base doivent être vigilants et coopérer avec les services de l’urbanisme. Ceux qui s’obstinent à construire illégalement en zone urbaine s’exposent à des sanctions, indique Ir. Ntahonkuriye. Elle rappelle que l’urbanisme a la prérogative de décider de la destruction des bâtiments ne remplissant pas les normes urbanistiques. Ils devront les détruire tôt ou tard. Tant pis pour ceux qui ne veulent pas respecter la loi, regrette la DG de l’Urbanisme et de l’Habitat.
Mais ici il faut faire une nuance. Ceux qui ont construit dans les quartiers périphériques (Gihosha Rural, Gasenyi etc) n’intéressent pas l’urbanisme, car ces zones sont en dehors des délimitations légales de la mairie de Bujumbura. Ces constructions relèvent d’un autre service. Cependant, il faut faire attention car, selon le prescrit de l’article 57 du code de l’urbanisme, même les quartiers construits à l’intérieur d’un périmètre urbain sans lotissement préalable font l’objet d’opérations d’urbanisme conformément au schéma directeur de l’aménagement et de l’urbanisme.
Comment se fait une bonne procédure de viabilisation ?
Quand l’urbanisme identifie un terrain pour la construction d’un nouvel espace de vie, il soumet en aval le projet au ministère de l’Agriculture qui vérifie si le terrain n’appartient pas à une zone agricole. Ensuite, la requête est soumise au ministère qui a l’environnement dans ses attributions. Ce dernier étudie l’impact environnemental du projet. Enfin, le projet est confié au Comité Foncier National pour autorisation. C’est à ce moment-là que l’urbanisme se saisit du projet à proprement parler. Il peut donc procéder au lotissement du terrain. Si le terrain appartient à l’Etat, l’urbanisme procède directement au lotissement. Si par contre le terrain appartient aux particuliers, une convention s’établit entre le ministère ayant en charge les terres dans ses attributions et les particuliers. Ces derniers apportent le terrain et l’urbanisme apporte la technicité. Ir Ntahonkuriye souligne que la viabilisation est du seul ressort de l’Etat. Aucun particulier ne peut opérer une viabilisation. Mais l’urbanisme, organe de l’Etat, peut faire appel à des entreprises possédant l’expertise nécessaire (publiques ou privées) pour procéder à la viabilisation. A ce sujet, l’article 43 du code l’urbanisme dit qu’un lotissement est viabilisé lorsqu’il est raccordé à un réseau d’eau. L’urbanisme nomme des fonctionnaires dirigeants qui suivent au quotidien l’évolution de la viabilisation. A côté du raccordement au réseau d’eau et d’électricité, la viabilisation concerne aussi les routes, les canalisations des eaux pluviales et des eaux usées et les équipements téléphoniques.
Le code de l’urbanisme prévoit de bons instruments
Les aménagements urbains devraient se faire selon les prévisions du code de l’urbanisme. Celui-ci prévoit trois instruments principaux, à savoir : les schémas directeurs de l’aménagement et de l’urbanisme qui intègrent et ordonnent les objectifs de l’Etat en cette matière. Il s’agit aussi des plans locaux d’aménagement qui s’appliquent aux centres urbains ou à des agglomérations ayant un intérêt commun, mais aussi des plans particuliers d’aménagement qui reprennent, précisent et complètent à plus grande échelle les dispositions des deux schémas qui viennent d’être cités. Ces instruments sont là et ne demandent qu’à être utilisés.
Le plan directeur « Bujumbura, vision 2045 », une solution ?
Doit-on raser les constructions anarchiques déjà existantes pour y ériger des bâtiments qui remplissent les conditions urbanistiques conformément à ce plan? C’est une épineuse question. Pour résoudre ce puzzle, il ne faut pas en créer d’autres qui pourraient être bien pires. Par exemple il faut éviter les solutions radicales comme l’expropriation. Le plan directeur « Bujumbura 2045 » offre une ébauche de solution. C’est un plan qui est évolutif. Selon la DG de l’Urbanisme et de l’Habitat, il pourrait résoudre le problème des constructions anarchiques.
Des innovations pour compléter le plan directeur « Bujumbura, vision 2045 »
Des innovations, dans le cadre de ce plan vont sûrement permettre de résoudre ce problème. Ir. Ntahonkuriye est une ancienne ambassadrice du Burundi au Kenya. Elle s’était inspirée du plan de développement des quartiers pauvres de la ville de Nairobi et avait contribué à l’initiation d’un projet pilote de réhabilitation du quartier populaire de Buyenzi il y a quelques années. Ce projet prévoyait la construction en hauteur, le propriétaire gardant le 1er et le 2ème niveau, les autres niveaux (3ème ou 4ème) revenant au promoteur immobilier. Il devait être étendu aux quartiers populaires de Bwiza, Nyakabiga etc. Les plans avaient été déjà élaborés, mêmes les maquettes sont toujours présentes au bureau de l’urbanisme. Pourquoi le projet n’a-t-il pas été mené à terme ? Ir. Ntahonkuriye n’en sait rien car, entretemps, elle avait été appelée à occuper d’autres fonctions. Ce sont de tels projets innovant qui, une fois intégrés dans le plan directeur de développement de la ville, pourraient aider à résoudre le problème des constructions anarchiques, fait-elle savoir.
Un débat pluridisciplinaire est nécessaire
Il faut un débat scientifique pluridisciplinaire qui impliquerait les agronomes, les urbanistes, les géologues, les géographes, les économistes, les démographes, etc. pour en finir avec cette question des constructions anarchiques, préconise M Sabushimike.
Point n’est plus besoin de démontrer la nécessité d’un aménagement urbain responsable. Les pluies torrentielles récentes ayant occasionné des dégâts terribles nous l’ont durement rappelé. Après avoir fait face à l’urgence pour sauver la situation, les pouvoirs publics devraient consolider les instruments déjà en place ou les ajuster en fonction des besoins. Ils devraient en outre contraindre les récalcitrants à respecter les normes urbanistiques en vigueur. C’est à ce prix que les villes burundaises pourront offrir un cadre de vie agréable permettant un développement durable.