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Lydia Nsekera, sportive dans l’âme

Elles sont nombreuses les femmes qui sont parvenues à s’imposer dans des domaines que les hommes considèrent comme leur chasse-gardé. Lydia Nsekera  représente dignement ces femmes qui se sont faites un nom, pas parce qu’elles sont des femmes, mais parce qu’elles sont capables d’égaler les hommes et parfois même de les surpasser. Au-delà de ce personnage charismatique du monde sportif, découvrez la personnalité forte de cette dame d’une simplicité exemplaire

Lydia Nsekera est née le 20 avril 1967 à Bujumbura. Elle fait ses études primaires au Stella Matutina et continue l’école secondaire au Lycée Clarté Notre Dame de Vugizo qu’elle quitte parce qu’elle ne voulait pas devenir none à la place de sa tante maternelle qui venait de décéder. Elle termine l’école secondaire au Lycée du Saint Esprit et fait la faculté d’Economie à l’Université du Burundi. Elle travaille ensuite dans une entreprise de commercialisation des produits pétroliers qu’elle quitte pour rejoindre la Brarudi en tant qu’auditeur interne en 1994. De ce passage à la Brarudi, elle gardera un sens aigu du travail et de la rigueur qui lui sera très utile pour la suite de sa carrière. Un bon matin, Lydia l’indomptable démissionne de la Brarudi en 2001 pour se consacrer à la gestion du garage de son mari qui était entretemps tombé malade. C’est ce garage qui est son gagne-pain jusqu’à maintenant, bien sûr à côté de ses activités dans le domaine sportif. Actuellement, elle est présidente du Comité National Olympique (CNO) et membre du comité exécutif de la FIFA (devenu conseil de la FIFA  depuis 2016). 

Lydia Nsekera, présidente du CNO et membre du conseil de la FIFA : « Si vous faites une fixette sur votre condition de femme dans vos relations avec les collègues, vous échouez à coup sûr. Ce qu’il faut faire c’est être décomplexée, agir avec conviction et détermination à la réalisation de vos objectifs »

La fibre sportive, elle la tient de son père

Mme Nsekera a baigné dans le sport depuis son enfance. Son père Serges Rwavyuma était propriétaire de l’équipe de football Burundi Sport Dynamique alors que sa mère pratiquait le Volleyball. Dans les années 1972, quand le pays était en pleine crise, elle se rappelle que son père a amené les joueurs dormir à la maison pour les protéger. Plus tard, en 1977, son père est incarcéré. Il lui écrit alors une lettre pour lui demander de veiller sur ses frères. Cette lettre, elle la garde encore près de son lit. Il passera tout le règne de Bagaza dans les geôles de Mpimba. Elle  lui apportait régulièrement Jeune Afrique et d’autres journaux à Mpimba, partageant quelques moments de lecture et de convivialité qui ont forgé sa personnalité. Leurs conversations tournaient essentiellement autour du football pour éviter de parler des choses douloureuses. Ils parlaient aussi de l’histoire du Burundi. Elle pense encore à son oncle maternel Herménégilde Baranyanka alias Poupous qui vient de disparaître. Il était un grand fan du Brésil de Garincha Elle avait des discussions très  animées avec lui parce qu’elle était plutôt fan de l’Allemagne de Rummenigge. A l’université, celle qui jouait plutôt au basket dans sa jeunesse séchait souvent  ses cours pour assister  à un bon match de football.  

C’est son mari qui lui a mis le pied à l’étrier 

De tempérament plutôt calme,  Mme Nsekera ne s’emporte que devant un match de foot. Elle cassait tellement les pieds à son mari que ce dernier décida un jour de lui trouver un endroit où elle pourrait crier autant qu’elle veut avec des gens qui partagent sa passion. Le beau-frère n’étant autre que Léopold Gisage, le président de la FFB de l’époque, elle rejoint cette institution pour s’occuper du football féminin. Le 1er jour est extrêmement délicat. La plupart des gens parlaient le Swahili, langue dont elle ne comprenait aucun mot. Ils parlaient également des histoires bizarres de sorcellerie et de pouvoirs occultes. Le soir, quand son mari lui demande comment a été la 1ère journée, elle lui répond que tout devrait bien marcher, mais qu’il va falloir  apprendre le Swahili. Cela ne devrait pas être compliqué vu que tous les employés du garage de son mari parlaient tous cette langue. Pour les histoires d’envoûtement et de sorcellerie, elle décida tout bonnement de les ignorer. Si elle est parvenue à persévérer c’est parce qu’elle avait une vraie passion pour le sport. 

Ses valeurs personnelles lui ont servi de bouclier

Si elle a bénéficié du coup de pousse du destin, ce n’est pas cela qui lui a procuré le charisme et la reconnaissance de ses pairs. C’est sa force de caractère et les valeurs auxquelles elle croit dur comme fer qui lui ont ouvert les portes de la réussite dans un domaine où, on l’imagine, les hommes étaient au départ très perplexes devant cette femme décomplexée. « Quand je fais une chose, j’essaie de la faire le plus correctement possible. Mon secret pour la réussite c’est la discipline, la rigueur, la détermination dans le travail », a indiqué celle qui préfère un simple plat de riz et d’isombe (feuille de manioc) alors qu’elle est capable de s’offrir n’importe quel met exquis. 

La femme doit avoir confiance en soi 

« En tant que femme, quand vous êtes dans un poste de responsabilité, il faut avoir toujours en tête que vous y êtes en tant que responsable et agir en tant que tel et non en tant que femme. Si vous faites une fixette sur votre  condition de femme dans vos relations avec les collègues, vous échouez à coup sûr. Ce qu’il faut faire c’est être décomplexée, agir avec conviction et détermination à la réalisation de vos objectifs.  La société burundaise est en train d’évoluer. Quand on sait que vous êtes capable, on vous fait confiance même quand vous êtes une femme. Je suis la preuve vivante de ce que je viens de dire. J’ai gagné les élections à la FFB, à la FIFA, au CNO, etc. Quand ils savent ce que vous valez, les hommes vous élisent même s’ils ont la tendance d’être plus exigeants envers les femmes. C’est pourquoi quand vous êtes responsable et femme, il faut faire très attention », a fait savoir Mme Nsekera dont la première activité récréative est la musique. Il suffit de quelques pas de danse pour qu’elle retrouve le sourire même quand elle est en colère.

Si Lydia Nsekera a bénéficié du coup de pousse du destin, ce n’est pas cela qui lui a procuré le charisme et la reconnaissance de ses pairs. C’est sa force de caractère et les valeurs auxquelles elle croit dur comme fer qui lui ont ouvert les portes de la réussite

Nsekera est consciente que les défis persistent

Tout n’est pas rose pour la femme, loin s’en faut. Celle qui a fortement contribué à l’organisation du championnat national de football féminin sait que la femme ou la fille doit faire face à de nombreux défis pour réussir. Elle a même raconté une anecdote qui montre suffisamment les désagréments auxquels fait face la femme. Pendant plus de 5 ans, elle ne s’est jamais rendue au stade pour assister à un match de football qui est pourtant une vraie passion pour elle. Et pour  cause, lors d’un match des éliminatoires de la CAN en 1994, quand le Burundi a marqué un but, un zaïrois (sic !) qui se trouvait derrière elle en a profité pour l’embrasser à l’improviste. Cela l’a mise mal à l’aise à tel point qu’elle n’a jamais remis les pieds au stade. Elle n’y retournera qu’en 2000 quand elle pouvait s’offrir un ticket de la tribune d’honneur. En revanche, elle a aidé plusieurs  filles à se lancer dans le sport autant qu’elle pouvait. Quand elle a rejoint la FFB, il n’y avait qu’un seul club de football féminin, à savoir Etoile filante de Kinama. Elle a encore de la peine à cause de la disparition inopinée de l’arbitre Christine Nifasha qui est tombée au stade.   Elle avoue qu’elle est très fière  des filles comme Daniella Nimenya, coach de l’équipe nationale féminine. « Si elles veulent aider vraiment d’autres filles, les femmes ne doivent pas seulement faire du sport. Elles  doivent s’impliquer dans l’encadrement du sport. On sait très bien qu’il y a des dérapages quand ce sont les hommes qui encadrent les femmes ou les filles », a souligné la présidente du CNO. Elle se dit déterminée à mettre en place un code d’éthique pour juguler les cas de dérapages qui sont monnaie courante même dans d’autres pays. « C’est un combat qu’on devra gagner pour le bien de nos jeunes sportives », a ajouté celle qui s’est découvert récemment une passion pour le bouling.  

Nsekera, au four et au moulin

De son passage à la tête de Fédération de Football du Burundi (de 2004 à 2013), sa fierté est la qualification de l’équipe nationale du Burundi à la CHAN 2014. Celle qui figure dans les annales de la FIFA comme la première femme à avoir  intégré le comité exécutif de cette organisation  ne se laisse pas griser par le succès. Elle est au four et au moulin. Outre son poste dans l’instance mondiale du football, elle s’occupe de la gestion quotidienne de son garage et d’Athlético  Olympique, son club de football. Actuellement, ce dernier est en mauvaise posture en Primus League, le championnat national. Avec une modeste 13ème place et 29 points au compteur, il est proche de la zone de relégation. Pourtant, cela n’entame en rien sa conviction. Elle reste sereine et espère que son club ne descendra pas en 2ème division. Et si cela devait arriver, « ce ne sera pas la fin du monde », déclare-t-elle du tic au tac. Si elle devait tout recommencer, y  aurait-il quelque chose qu’elle ne répèterait pas ou qu’elle ferait autrement ? Droite dans ses bottes, sans ciller, Mme Nsekera affirme d’une voix ferme qu’elle ferait exactement la même chose.  Elle n’a horreur que d’une chose, la malhonnêteté ou la trahison. Evidemment, dans sa carrière, certaines personnes l’ont déçue. Si quelqu’un trahit sa confiance, elle n’hésite pas à le rayer de la liste de ses amis même si elle ne le fait pas de gaieté de cœur bien sûr.  Elle est exigeante envers les autres comme elle l’est avec elle-même.   C’est ce prix-là qu’elle paie pour rester fidèle à ses convictions. 

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