Le système éducatif Burundais connait pas mal d’embûches. Les réformes initiées jusqu’à présent n’arrivent pas à redresser la situation. Témoignage d’un enseignant en fonction qui tire la sonnette d’alarme sur la dégradation de la qualité de l’enseignement
Le débat sur la qualité de l’éducation reste d’actualité.Un enseignant croisé sur notre chemin lors de notre campagne de diffusion du dossier pédagogique sur la pêche peint un tableau sombre du système éducatif. Il s’inquiète du fait que ces milliers de médecins, de journalistes, de cadres du pays, de procureurs, d’enseignants, d’ingénieurs, d’économistes en herbe… ont un niveau relativement faible. Pour lui, le Burundi aura toujours besoin de son élite intellectuelle pour un développement durable. « D’où la nécessite d’investir davantage dans les programmes d’éducation pour promouvoir une éducation de qualité », conclut-il avant de dénoncer ceux qui investissent dans les écoles privées pour générer des profits au lieu de miser sur la qualité de l’éduction.
Un enseignement de base rigoureux
Auparavant, il y avait un système scolaire très sélectif, raconte-t-il. C’étaient uniquement les élèves brillants ayant réussi au concours national avec une bonne note qui fréquentaient le cycle secondaire.
Il s’agissait d’une sélection très sévère tendant à limiter le nombre d’élèves à accueillir à l’internat. Ainsi, beaucoup d’écoliers reprenaient la sixième année deux ou trois voire six fois d’affilée non pas parce qu’ils étaient moins intelligents, mais parce que les places étaient limitées dans les écoles secondaires à régime d’internant. A titre illustratif, au cours de l’année scolaire 1990-1991, sur 89.675 écoliers de 6ème primaire, il y a eu en réalité autour de 9.687 élèves qui sont passés en 7ème, soit un taux d’accès global en 7ème année de 10,8%, apprend-on d’une étude diagnostique réalisée en 2001 sur le système éducatif burundais
Les principales réformes de l’éducation initiées ces derniers temps affectent la qualité de l’éducation.
Insuffisance des écoles à régime d’internat
A l’époque, il y avait peu d’écoles à régime d’internat. Ceux qui ont fait la vieille école en savent plus. Ils devraient parcourir de longues distances à pied pour rejoindre les internats le dimanche soir. C’était un parcours de combattant. Les moyens de transport n’étaient pas très développés. Heureusement, avant la crise, l’humilité des Burundais était au beau fixe. On était logé et nourri par un inconnu quand on voyageait.
Sans toutefois perdre de vue sur notre point de départ, en l’occurrence la dégradation de la qualité de l’enseignement au Burundi, ce passage démontre à juste, combien dans le temps la scolarisation des enfants était un véritable casse-tête. L’introduction des collèges communaux a permis de déceler le goulot d’étranglement que constituait le passage du primaire au secondaire. «En 1991, les élèves de la 7ème année dans les collèges communaux et les écoles secondaires privées représentaient 42,4% de l’ensemble des effectifs de 7ème année de tout lepays, contre 25% l’année précédente», détaille Pr Fidèle Rurihose, consultant qui a réalisé une étude intitulée « Système éducatif burundais : crise, tâtonnements et incohérences » commanditée par l’OAG.
Coco : remèdes ou placebo ?
Pour réduire le taux de redoublement, le gouvernement a instauré le système des collèges communaux (COCO). Notre interlocuteur souligne que ces établissements (qui vont de la 7ème à la 10ème) étaient d’une importance capitale. Ils accordaient la chance à un grand nombre d’écoliers de poursuivre les études. Les premières promotions passaient avec succès. Le système des collèges ouvre un boulevard pour les écoliers qui étaient bloqués en 6ème année. Les premiers collèges communaux étaient très bien organisés et ils recevaient des écoliers ayant un bon niveau.
Petit à petit, la situation s’empire. Les collègues communaux commencent à accueillir des écoliers avec un niveau moyen ou relativement faible. Vous verrez des écoliers admis au collège avec 30-40% au Concours national. De là, il est difficile pour les enseignants de dispenser des leçons à des élèves qui ont presque le même niveau. La révision des leçons s’avère difficile. Les élèves rentrent à la maison tous les soirs en ordre dispersé. Ils n’auront pas le temps de faire des exercices ensemble. Et celui ou celle qui souhaiterait des explications complémentaires ou de faire un exercice avec son camarade n’aura pas cette chance car ils ne vivent pas ensemble. Il en est de même pour les lycées communaux d’où proviennent la plupart des enseignants du primaire et de l’école fondamentale plus tard. Certes, le taux brut de scolarisation a considérablement augmenté, mais le niveau des lauréats chute vertigineusement.
Des conditions d’apprentissages précaires ?
Ce juriste de formation reconverti en enseignant dénonce également les mauvaises conditions d’apprentissage. Il est inconcevable d’établir un classement de toutes les écoles dans les concours ou les examens d’Etat alors que les conditions d’apprentissage ne sont pas les mêmes.
Les principales réformes de l’éducation initiées ces derniers temps affectent la qualité de l’éducation. L’introduction du système BMD dans l’enseignement supérieur risque d’envenimer la situation. Les rapports de stage réalisés en fin de cycle n’ont rien de comparables avec les mémoires de fin d’études. Ces travaux permettaient aux étudiants de renforcer les compétences, de faire une bonne planification. C’était un véritable travail de recherche qui mettait les étudiants à rude épreuve. On se servait de ce qu’on a appris.
Il remet en question la pédagogie d’intégration en lieu et place de la pédagogie par objectif. Cette dernière n’a pas été évaluée pour identifier les défis et proposer des pistes de solutions. « Nous sommes contraints d’adhérerà cette nouvelle politique de peur de perdre notre emploi, car si nous demandons des éclaircissements, nous sommes mal perçus par nos collègues ».
Des réformes à tâtons
D’après l’étude susmentionnée, le système éducatif burundais a connu plusieurs changements vraisemblablement aléatoires et rarement évalués au niveau de chaque niveau de l’enseignement. Au niveau de l’enseignement secondaire, il y a eu la suppression des diplômes d’enseignement (D4) au profit des Ecoles de Formation des Instituteurs (EFI), eux-mêmes supplantées par les Lycées Pédagogiques cycles courts (D6). Et les Ecoles Normales ont été remplacées par les Lycées Pédagogiques cycles longs, ces derniers venant àleur tour d’être détrônés pour réinstaurer les Ecoles Normales.
Pour l’enseignement supérieur, on note la fusion de l’ENS et de l’Université Officielle du Burundi (UOB) pour former l’université du Burundi ;la création d’un Institut de Pédagogie (IP) au sein de l’Université, Institut qui formait sur 2 ans des enseignants duCycle Inférieur des Humanités ; le remplacement de l’IP par unInstitut de Pédagogie Appliquée (IPA) à deux cycles, le 1ercycle (3 ans) ayant pratiquement les mêmes finalités quel’ancien IP et le second cycle (5 ans) formant des cadres enseignants de niveau licence pouvant donner cours dans toutes les classes des Humanités. Et, actuellement, le système de baccalauréat qui perdure. L’étude conclut que la qualité de l’enseignement a fortement baissé ces dernières années. Plusieurs raisons conjuguées sont à la base de cette baisse de la qualité de l’enseignement. Ce sont entre autres: le système de double vacation, la surpopulation de certaines classes, la désaffection de la carrière enseignante publique et son corollaire: le recours croissant à des enseignants non qualifiés. Ces défis identifiés en 2001 par le consultant Pr Fidèle Rurihose restent d’actualité.
En janvier, le chef de l’Etat soulignait l’impact de la guerre civile sur le système éducatif burundais. D’après lui, l’éducation a été hypothéquée par les crises répétitives qu’a connues notre pays. Il y avait plus d’objectivité dans l’évaluation des apprenants. Certains de ces derniers proliféraient des menaces à l’ endroit des enseignants pour avancer de classe. Ce que nous voyons aujourd’hui est le résultat d’une longue crise qu’a traversée le pays, a-t-il martelé.