Le niveau du lac Tanganyika monte du jour au lendemain. La menace est imminente pour de nombreuses habitations érigées le long du littoral. Les infrastructures socio-économiques sont en proie à des inondations. Les riverains tentent tant bien que mal de freiner les eaux. Reportage
Ce jeudi 8 avril 2021, un reporter du journal Burundi Eco quitte la rédaction pour faire un constat des dégâts causés par la récente montée des eaux du lac Tanganyika. Vers 9 h du matin, on débarque à Kinindo Est, un des nouveaux quartiers qui longent le lac Tanganyika. Les habitations érigées tout près du littoral sont partiellement inondées, L’humidité menace les clôtures, car les caniveaux contiennent des eaux stagnantes depuis des mois. La présence des algues vertes est un indicateur que l’eau est là depuis un bon bout de temps. Les habitants essaient d’évacuer les eaux de leurs parcelles à l’aide des motopompes. Les bruits des moteurs retentissent un peu partout. On dirait une coupure généralisée d’électricité. En y regardant de plus près, les tuyaux d’évacuation branchés à des motopompes crachent les eaux troubles dans les canalisations.
Le constat est le même aux alentours de l’emblématique bâtiment de ce quartier « Paradise Appartements ». Pour faciliter l’accès à ce bâtiment, les avenues ont été retouchées. Il aura fallu ajouter des masses de terre pour déniveler la route. A l’intérieur de la parcelle, les ouvriers sont à l’œuvre pour évacuer les eaux. Malgré la riposte, la menace est palpable. A notre passage, le bâtiment « UN House » abritant l’Unicef, UNFPA et ONUFEMMES étaient inaccessible. Les eaux avaient envahies la voirie et la cour intérieure.
Le lac Tanganyika poursuit la conquête de son territoire. A Kibenga ou Kinindo Est, c’était apparemment une zone tampon. Les plantes hydrophiles tels que les papyrus, urupfunzo qui y poussent sont un signe qui ne trompe pas. C’était une zone de pâturages pour les animaux aquatiques tels que les hippopotames. C’est une zone marécageuse où les habitants ont dû investir pour ériger des constructions adaptées aux zones humides. Malheureusement, rien ne semble stopper la montée des eaux du lac.
Les exploitants des plages assistent impuissamment à la progression des eaux qui occupent les espaces jadis réservés au loisir et à la détente.
Les espaces de loisirs sous l’eau
Les plages de loisir ferment une à une. De Nyabugete Beach jusqu’à Kajaga, les exploitants des plages sont désenchantés. Ils assistent impuissamment à la progression des eaux qui occupent les espaces jadis réservés au loisir et à la détente. Au cercle de la paix de Bujumbura, une bonne partie de la plage a été inondée. Certains bâtiments sont sous l’eau, d’autres ont été détruits par les vagues. Les clients sont en nette diminution d’après les informations recueillies sur place. Les exploitants ont tenté d’ériger des ponts pour bouger d’une paillote à une autre. Les eaux stagnantes à l’intérieur n’attirent pas du tout les touristes.
Au niveau de Safi Beach, plus de 90 % de la plage sont occupées par les eaux. Elle avait un espace réservé aux activités ludiques pour les enfants, mais rien ne reste de ces constructions. Le propriétaire avait également aménagé un jardin où les mariés venaient surtout les week-ends pour profiter de la fraicheur du lac et prendre quelques photos, mais cet endroit a quasiment disparu. Les retombées économiques de la montée des eaux du lac sont énormes.
Le port de Bujumbura, une infrastructure à protéger !
La montée des eaux du lac n’épargne pas les infrastructures socio-économiques. Les routes, les commerces, le port de Bujumbura, etc. Le prolongement de l’avenue du Large vers le port de Bujumbura, tronçon se trouvant entre le site de traitement des eaux de la Regideso et le restaurant-bar « Pasta comedia » risque d’être impraticable. De temps en temps, les vagues inondent la route. La partie qui se trouve en face du bar « La pirogue » est la plus touchée. Les canalisations et les trottoirs du Boulevard du Japon ont été emportés par les eaux.
Le port de Bujumbura est sous menace. Si rien n’est fait les bâtiments dans l’immédiat seront complètement inondés d’ici peu. Le niveau du lac est très élevé au niveau du quai de déchargement. Le lac Tanganyika attaque sur tous les fronts le port de Bujumbura. Il prend d’assaut cette importante infrastructure économique qui risque de fermer. Si ce scenario se confirme, le transport lacustre va s’estomper. Les bateaux ne pourront plus accoster. L’importation et l’exportation des marchandises via le lac Tanganyika seront suspendues.
Pourquoi la montée des eaux du lac ?
La montée des eaux du lac Tanganyika ne concerne uniquement le Burundi. Au niveau de la sous-région en Zambie, en Tanzanie ou encore en République Démocratique du Congo (RDC), ce phénomène s’observe. Les experts tentent d’expliquer l’origine de ce phénomène. Certains évoquent les changements climatiques caractérisés par une forte pluviométrie. « Les pluies torrentielles liées au changement climatique entrainent l’érosion du sol. La forte pluviométrie favorise les crues des affluents du lac Tanganyika», a expliqué Albert Mbonerane, environnementaliste et ami de la nature. D’autres évoquent l’exutoire de la Lukuga qui serait bouchée par les alluvions. « Dans le temps, il y avait un petit bateau qui évacuait les débris au niveau de cet exutoire. Le dragage de la Lukuga ne se fait plus depuis des années… ». Très récemment on a parlé des vents qui ont provoqué des tsunamis inondant une bonne partie des plages de la ville de Bujumbura.
L’hypothèse d’un barrage érigé sur la rivière Lukuga-unique exutoire du lac Tanganyika-est à rejeter. Il n’y a aucun barrage en cours de construction sur la Lukuga. Auparavant, la Tanzanie et la République Démocratique du Congo (RDC) avaient réclamé la construction d’un barrage sur la Lukuga pour réguler le débit des eaux du lac arguant que les ports de ces deux pays deviennent de plus en plus inaccessibles, a confirmé à notre rédaction un des responsables de l’Autorité du Lac Tanganyika (ALT).
Le pire est à craindre !
Une étude de simulation faite par l’Institut Géographique du Burundi (IGEBU) et le Programme Alimentaire Mondiale (PAM) montre que si le niveau du lac monte de 6 m, les infrastructures socio-économiques et les ménages seront affectés. L’avenue du large, le port de Bujumbura, le Musée Vivant de Bujumbura, une partie du quartier asiatique, la Brarudi, l’entrepôt de carburant, toutes les infrastructures érigées le long de la chaussée d’Uvira seront complètement sous l’eau. On estime que plus de 5000 ménages seront touchés.