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Problématique du Développement au Burundi : Un diagnostic honnête s’impose

La faible accumulation du capital, les moyens de financement très limités, les faiblesses institutionnelles, les crises politiques à répétition, le défi de transformation structurelle sont quelques défis qui hantent le développement économique du Burundi. La dynamisation du secteur agricole, l’investissement dans la gestion du secteur minier, la mise en place d’une superstructure de coordination des politiques de développement national sont quelques solutions proposées

Sous le haut patronage du chef de l’Etat Evariste Ndayishimiye, la Banque de la République du Burundi a organisé vendredi le 20 août 2021 une conférence sur la problématique du développement au Burundi. C’était sous le thème «Transformer le potentiel économique inexploité en une croissance économique effective, soutenable et inclusive».

Des experts en économie, des décideurs politiques, des professeurs d’universités, différents ambassadeurs, des partenaires techniques et financiers du Burundi ont pris part à cette conférence animée par Professeur Distingué Léonce Ndikumana, enseignant à l’Université de Massachussetts aux USA et le Docteur Janvier Désiré Nkurunziza, expert de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) basé à Genève.

Les experts recommandent la tenue des états généraux de manière impulsive sur l’économie burundaise et la mise en place d’une superstructure de coordination des politiques de développement national pour gérer et accompagner la stratégie du gouvernement.

Une performance médiocre

L’économie burundaise est caractérisée par un revenu moyen par tête très faible, une croissance économique négative, le phénomène de paupérisation, selon Dr Janvier Désiré Nkurunziza.

La Banque Mondiale considère que la tranche du revenu intermédiaire est estimée entre 1026 et 3995 USD par an alors qu’il se situe entre 200 et 250 USD au Burundi. Selon cet expert, le Burundi pourrait atteindre 1026 USD en 2040. De 2006 à 2020, le taux de croissance économique etait de -0,41%. Pour Dr Nkurunziza, il faut que le Burundi atteigne une croissance économique moyenne annuelle de 8% d’ici 2040.

Le Burundi est également dominé par de petites entreprises (la taille de l’entreprise est mesurée par le nombre d’employés). Selon toujours Dr Nkurunziza, avant les années 1960, la taille moyenne de l’entreprise était de 53 employés. Entre 1960 et 1970, la taille a chuté à 41, 5 employés par entreprise. «Entre 1970 et 1980 la taille est montée à 53,5 employés par entreprise. A cette période, il y a eu la création de grandes entreprises publiques comme Cotebu. Actuellement, on est dans une période difficile. La taille moyenne a chuté. Elle se situe entre 12 employés, 10 employés ou 6 employés», explique-t-il.

La productivité du travail au Burundi est en bas de l’échelle par rapport aux autres pays de l’EAC. En 2018, le burundais produisait 1/6 du producteur kenyan, 1/4 du producteur ougandais, du producteur tanzanien et 1/3 du producteur rwandais. En moyenne, un burundais produit 500 dollars par an. En comparaison avec d’autres pays, le Burundi est en bas de l’échelle.  Un producteur kenyan produit plus de 2500 dollars par an par exemple.

Le taux d’investissement au Burundi est relativement bas par rapport aux autres pays de l’EAC. Jusqu’à la fin des années 80, il équivalait aux autres. Avant 1990, le taux d’investissement était à 12,7%. Il chute pendant les années de guerre, reprend après Arusha et rechute pendant les années 2010. Entre 2015 et 2020, il était à 10, 9. « Le Kenya par exemple a un taux d’investissement de 17% ». L’investissement privé était estimé à 11 % entre 2005 et 2010. Entre 2015 et 2020, il était de 8%.

Les investissements directs étrangers ont atteint 45 millions USD en 2014. Pour les autres pays, ce montant est insignifiant. Dans les autres pays de l’EAC, les investissements directs étrangers représentent des montants consistants. La Tanzanie comptabilise en terme de milliards chaque année.

Plusieurs facteurs expliquent cette situation

Selon Dr Janvier Désiré Nkurunziza, la situation médiocre de l’économie burundaise est causée par plusieurs facteurs dont la pression démographique, la faible accumulation du capital, les moyens de financement très limités, les faiblesses institutionnelles et les crises politiques à répétition qu’a connues le Burundi.

Pour Pr Léonce Ndikumana, il faut en premier lieu faire un diagnostic honnête afin de « savoir où on est, où on va et comment on veut y arriver ». Pour lui, le gouvernement doit avoir une vision et tracer une stratégie d’approche pour aboutir à ses objectifs.

Pas de solutions magiques

Pr Ndikumana indique que les solutions pour relever le développement du Burundi ne sont pas magiques. Il faut s’attaquer aux déséquilibres macroéconomiques. Il faut une approche systémique des taux d’échanges et de la dette publique. La dette publique n’est pas gratuite. C’est une charge pour le gouvernement, explique-t-il.

Néanmoins, Pr Ndikumana estime que c’est normal de s’endetter. «Tous les Etats du monde s’endettent», fait-il savoir tout en ajoutant que pour diminuer la dette publique, il faut collecter plus de recettes internes. Il salue l’étape actuelle de cette collecte. «Après la création de l’OBR, les recettes ont augmenté». Pour lui, il ne faut pas seulement collecter les recettes internes, leur gestion est indispensable. « Il faut dépenser de façon plus efficiente, se rassurer que les recettes collectées sont bien utilisées », insiste Ndikumana. Pour lui, le gouvernement devrait privilégier l’investissement en lieu et place des dépenses courantes. « Si vous n’avez pas d’argent, vous ne dépensez pas. Il ne faut pas privilégier le fauteuil d’un directeur général au lieu de l’investissement ».

Le gouvernement doit également compter sur les financements extérieurs. Il doit améliorer l’environnement pour être éligible aux financements extérieurs. Les partenaires n’appuient pas seulement techniquement ou financièrement, ils font aussi le plaidoyer et véhiculent une bonne image du pays.

Miser sur le secteur privé

Pour Ndikumana, le secteur privé est le poumon du développement du pays. Ce sont les privés qui produisent, le gouvernement ne fait que tracer la vision et accompagner ce secteur. Le gouvernement doit le considérer comme son partenaire. Une gestion de l’informel s’impose. Le gouvernement doit le soutenir pour accroître la productivité et la valeur ajoutée. Ce secteur occupe plus de 75% de l’économie des pays en développement.

Le gouvernement doit investir dans la prospection et la recherche minières.

Affronter les défis

Pour assurer le décollage du développement économique du pays, le gouvernement doit faire face au défi de transformation structurelle.  Pr Léonce Ndikumana propose à l’Etat de faire face au déclin de la contribution du secteur agricole, à la stagnation de la part de l’industrie et du secteur manufacturier et à l’augmentation de la part du secteur des services.

Il faut dynamiser le secteur agricole. Le gouvernement doit augmenter la productivité, développer les chaines de valeur, transformer la production et stimuler l’exportation. Selon lui, des pays comme le Bénin ont réussi dans la transformation et l’exportation des jus des mangues. Pour le Burundi, l’industrie n’avance pas d’autant plus presque toutes les matières premières sont exportées. « Avec l’exportation, on reste exposé à la fluctuation des prix au niveau international. On a une valeur ajouté qui est très faible parce que ce sont les produits transformés qui ont de la valeur », explique Pr Ndikumana. Pour cela, il faut des financements publics. Selon lui, la part du budget alloué au secteur agricole reste encore faible (10%.) Il propose d’augmenter les financements pour ce secteur.

Investir dans la gestion du secteur minier

Le Burundi doit également compter sur le secteur minier. Pour Léonce Ndikumana, il faut investir dans la prospection de ce que cache le sous-sol Burundais, bien négocier les contrats gagnant-gagnants en exploitant les partenariats régionaux et internationaux. Il propose en outre de développer la chaîne de valeur. Le gouvernement doit investir dans la capacité de gérer ce secteur. Pour Pr Ndikumana, dans la négociation des contrats, il faut de la science. Il faut des gens compétents. « Pourquoi vous vous pressez à signer des contrats ? L’or ne va nulle part. Prenez votre temps d’analyser les dossiers. Combien de juristes, économistes spécialisés dans la gestion des ressources naturelles ou dans la gestion des contrats d’avenir disposez-vous ? », demande Ndikumana.

Pour le secteur environnemental, Ndikumana suggère qu’il faut un développement intégré en insistant sur la politique de transformation des déchets industriels.

Pour sa part, le chef de l’Etat Evariste Ndayishimiye a rassuré que le Burundi a tout le potentiel pour se développer économiquement. « Qu’est-ce que les pays développés ont de naturel que le Burundi n’a pas ? », se demande le Président Ndayishimiye. Le Président de la République indique que c’est la paresse et le manque de volonté qui caractérisent les burundais. Toutefois, Ndayishimiye reconnait que le système éducatif connait des défis. Il précise que le gouvernement compte reformer ce secteur pour l’adapter aux réalités du moment.  Le chef de l’Etat se réjouit de la reprise de la coopération entre le Burundi et ses partenaires au développement. Il réitère son engagement à travailler avec ces derniers. « Nous vous promettons de ne pas vous décevoir », leur va-t-il signifié.

Les experts recommandent la tenue des états généraux de manière impulsive sur l’économie burundaise afin de tracer la voie pour l’atteinte des objectifs de croissance d’ici 20 ans. Ils suggèrent la mise en place d’une superstructure de coordination des politiques de développement national pour gérer et accompagner la stratégie du gouvernement burundais.

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