La région de l’Imbo est réputée pour son grand nombre de ménages polygames. Les femmes victimes de ce fléau se plaignent du fait que l’administration locale ne le combat pas avec la dernière énergie. Même les femmes leaders sont parfois déçues lorsque les polygames dénoncés ne sont pas sanctionnés exemplairement. Un petit tour en province de Bubanza nous en dit long
« J’ai fondé mon foyer en 2005 à l’âge de 16 ans. Je venais de quitter l’école primaire. Avec mon mari, nous avons eu trois enfants. Nous n’avions pas réalisé ensemble des projets de développement, plutôt il piquait de temps en temps l’argent que je gagnais en se débrouillant ici et là. En plus de cela, il me battait, il ne m’achetait pas des habits et il ne contribuait pas dans la ration familiale. En plus de cela, il ne m’aidait pas à entretenir les enfants même en cas de maladie. Pire, il a pris une autre femme », confie Evelyne Ndayishimiye, 32 ans, une vendeuse de charbon de bois au chef-lieu de la commune Gihanga. En réalisant tout le mal qu’elle a subi pendant toute cette période, elle a préféré demander le divorce en 2021.
Une femme victime de la polygamie se retrouve dans les difficultés d’élever seule les enfants.
Même chose en commune de Mpanda
Emmanuelline Nicitegetse, une femme de la colline Gahwazi I s’est mariée légalement depuis 2002. A cette époque, le foyer était stable. Après quelques années, son mari lui a proposé de vendre toutes les vaches dont ils disposaient sous prétexte d’acheter une autre parcelle. Elle a accepté naïvement. A cette période, ils vivaient en commune de Musigati. Le mari est allé dans la commune de Mpanda pour acheter une parcelle et y ériger une maison. Il y a vécu avec une autre femme. Ce fut le point de départ des ennuis. Depuis lors, il a commencé à la maltraiter et à la menacer de mort. Pire encore, il n’aide plus ses enfants. Mme Nicitegetse a prié l’administration pour qu’elle l’aide à le convaincre, mais en vain. C’est en 2011 que son mari l’a abandonné pour de bon.
« En 2016, j’ai porté plainte au tribunal de grande instance de Bubanza pour avoir accès à la maison qu’il a construit avec les deniers familiaux. J’ai gagné le procès mais il a préféré aller plus loin jusqu’à Bujumbura. En fin de compte, la justice m’a offert la maison pour y vivre avec mes enfants. Je n’y ai pas vécu sereinement parce que j’ai été maltraitée et emprisonnée à plusieurs reprises. L’administration locale est intervenue, mais mon mari est toujours réfractaire à l’idée d’aider sa progéniture. Malgré tout, je ne compte pas demander le divorce parce que je tiens toujours à lui », indique Mme Nicitegetse.
Actuellement, pour subvenir à ses besoins elle a rejoint les femmes qui ont les mêmes problèmes qu’elle dans une coopérative dénommée Twihe Agaciro où elles épargnent le peu d’argent qu’elles gagnent chaque jour. Cette coopérative aide les femmes qui ont connu des soucis dans leurs foyers, notamment les sinistrés de la polygamie.
Même chose pour Jacqueline Nduwimana, quadragénaire. Elle a eu quatre enfants avec son mari avec qui ils se sont mariés légalement. Elle indique que ses propriétés ont été spoliées au profit de la quatrième femme de son mari. «Malheureusement, l’administration locale ne m’a rien aidé quant à mon rétablissement dans mes droits. C’est grâce à la coopérative Twihe Agaciro que je commence à rayonner petit à petit », précise-t-elle.
L’administration et les femmes leaders en disent long
Selon Mme Ndayishimiye, le problème de la polygamie n’est pas pris au sérieux dans la commune de Gihanga. Les contrevenants ne sont pas punis sévèrement. Par ailleurs, il y a des administratifs à la base qui s’adonnent à la polygamie. Si les dirigeants étaient déterminés, cette problématique qui hante la région de l’Imbo serait éradiquée définitivement.
Léopold Ndayisaba, administrateur de la commune Gihanga, souligne qu’une campagne stricte de régularisation des mariages illégaux a été faite, il y a environ cinq ans. Cela a porté des fruits. « Actuellement, nous sommes à 80 % dans la lutte contre la polygamie. Il ne reste que quelques cas que nous traitons de temps en temps. Même les administratifs à la base qui sont polygames ont été destitués », précise-t-il.
Pour Antoinette Ndayitegeyamashi, femme leader et fondatrice de la coopérative Twihe Agaciro de la colline Gahwazi I en commune Mpanda, dans la région de l’Imbo, la polygamie est en vogue depuis longtemps. C’est une région qui accueille bon nombre de personnes venant d’autres provinces comme Kayanza, Cibitoke, Mwaro, etc. Elles sont parmi les gens qui causent des problèmes dans la société. Ces hommes prennent d’autres femmes alors que certains d’entre eux ont laissé d’autres femmes dans leurs localités d’origine
Malgré tout, sur toutes les collines il y a des femmes leaders qui militent pour les droits de la femme tels qu’Abakanguriramahoro. « Mais nous sommes déçues quand nous dénonçons des cas de polygamie et que les auteurs ne sont pas sanctionnés sévèrement dans le but d’éradiquer ce fléau. Cela nous décourage, alors que nous sommes de simples volontaires », se lamente Mme Ndayitegeyamashi. Sur leur colline, il y a environ 50 ménages polygames sur à peu près 2000 ménages qui y résident.
Analyssa Ndamuhawenimana, représentante de l’association d’Abakangururiramahoro en province de Bubanza précise que le problème de la polygamie n’est pas pris au sérieux par l’administration locale pour punir sévèrement les contrevenants. Sinon, il serait éradiqué pour toujours. Malgré tout, elles continuent à sensibiliser la population pour garantir les droits de la femme et la paix dans les foyers.
«Le concubinage ou la polygamie est lié au système patrilinéaire burundais où l’homme a le plein droit de satisfaire ses pulsions sexuelles», indique Abel Nshimirimana, enseignant à l’Université du Burundi dans la faculté de la psychologie de l’éducation. Dans la région de l’Imbo, ajoute-t-il, l’autonomisation de la femme est remise en question. Ce sont les hommes qui ont la mainmise sur les biens familiaux et peuvent dépenser autant qu’il veulent. Pour éradiquer ce phénomène, il faut notamment éviter des mariages précoces et des mariages illégaux.