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Quand le changement climatique affecte la filière café

Ces dernières années, le Burundi fait face aux défis majeurs liés au changement climatique. Entre inondations, sécheresses et pluies torrentielles, les caféiculteurs burundais se retrouvent en train de subir les conséquences de ces bouleversements climatiques. A cela s’ajoutent des maladies qui menacent leurs récoltes. Ces facteurs impactent à la fois la qualité et la quantité de café produit, mettant en péril l’avenir de cette culture essentielle. Face à cette situation, les experts proposent des alternatives pour préserver et revitaliser la production de café au Burundi

Emilienne de la coopérative Twaranyuzwe de Kayanza « la coopérative crée un environnement propice à la progression collective ».

Le goût d’un café dépend de l’éventuelle utilisation de fertilisants, de la manière dont les cerises sont récoltées, de la façon dont elles sont travaillées, séchées, expédiées, torréfiées et enfin emballées. Tout changement ou erreur dans l’une de ces étapes se ressentira dans le café. C’est ce qu’explique Parfait Nitunga, docteur en science et technologies alimentaires avec expertise sur les produits alimentaires d’origine tropicale. C’était dans une interview qu’il a accordée à Illaria Beretta, coauteure de cet article.

Si le changement climatique et les maladies des caféiers peuvent avoir des effets sur la qualité, ils peuvent aussi impacter la quantité du café à produire. C’est ce que confirme Claver Nzimpora, caféiculteur aguerri depuis plus de 50 ans. « Trop de soleil ou de pluies diluviennes diminuent notre rendement. Et le pire, c’est la grêle, qui détruit tout sur son passage », déplore-t-il.

Les maladies, une épine dans le pied des Caféiculteurs

Les caféiculteurs sont également confrontés à des maladies redoutables qui menacent leurs cultures. Parmi elles, l’Urukara (anthracnose) qui cause de terribles pertes. « Cette année, nous avons subi de nombreux dégâts à cause de cette maladie », témoigne Nzimpora, appelant l’ODECA à agir rapidement pour éviter des conséquences irréversibles.

Une autre menace est l’Igifushi (Antestiopsis), appelé aussi la rouille des plantes. « Au Burundi, la rouille des plants de café est très connue. La présence d’insectes pathogènes du café est très dangereuse. En particulier au Burundi, nous avons un gros problème avec un insecte qui crée le goût de la pomme de terre dans le café final », avertit Dr. Nitunga.

Parfait Nitunga : La culture à l’ombre permet aux agriculteurs de générer des revenus supplémentaires tout en favorisant une meilleure croissance des plants de café.

Comme il continue de l’expliquer, la rouille, le goût de pomme de terre dans le café final dû à l’antestiopsis, divers coléoptères qui attaquent le plant de café, divers champignons et bactéries qui attaquent à la fois les feuilles, le tronc et les racines, etc. tous ces problèmes sont généralement dus à des périodes de sécheresse très prolongées ou des périodes de pluies très prolongées et à l’augmentation de la température dans les zones de culture du café.

Les pesticides, un couteau à double tranchants

Pour protéger leurs caféiers des ravageurs comme la punaise « igifushi », les caféiculteurs recourent à la pulvérisation avec des pesticides. Au Burundi, cette pulvérisation se fait deux fois par campagne avec un intervalle de 21 jours. On utilise d’abord l’insecticide Lampdalm, suivi du pesticide Iron. En parallèle, l’application des fertilisants intervient deux fois par campagne, avec l’engrais NPK mélangé à de la fumure organique. Pour la fertilisation, la première application se fait dès l’apparition des cerises pour stimuler leur croissance et la seconde intervient lors de leur maturation.

Dr. Nitunga avertit sur les conséquences liées à l’utilisation. Ainsi, l’utilisation excessive de pesticides et d’engrais, qui, bien que bénéfiques à court terme, polluent les sols et les nappes phréatiques. Les fertilisants appauvrissent l’environnement. Malgré les dangers connus, cet expert craint que l’utilisation de ces substances pourrait augmenter en période de crise climatique alors que les caféiculteurs cherchent à maintenir leur production face à un environnement en mutation.

La culture à l’Ombre, une alternative

La culture à l’ombre, initiée par des organismes tels que la FAO et le PAM, propose d’associer le café avec des plantations de bananes, d’avocats, de haricots, de maïs, etc. « Cela permet aux agriculteurs de générer des revenus supplémentaires tout en favorisant une meilleure croissance des plants de café. En effet, un café cultivé à l’ombre produit souvent de meilleures récoltes qu’un café exposé en plein soleil nécessitant un équilibre entre lumière et ombre », souligne Dr Nitunga.

Cet expert ajoute que cette méthode pourrait également réduire les infestations d’insectes nuisibles et de pathogènes. La présence de persine dans l’avocat par exemple pourrait aider à éloigner l’Antestiopsis, responsable du goût de pomme de terre dans le café burundais.

Pasquale De Muro est professeur d’économie du développement à l’Université de Rome 3. Il a travaillé pendant des années sur des projets agricoles dans divers pays africains en évaluant leurs impacts environnementaux et sociaux. Il a été interviewé par Ilaria. Pour lui, la diversification des cultures en synergie et la culture à l’ombre, constituent une réponse efficace au changement climatique. Il insiste sur l’importance de l’intercropping ou la culture intercalaire en Afrique, où les écosystèmes sont souvent fragiles. L’intercropping étant une pratique qui consiste à cultiver plusieurs cultures sur le même champ, en même temps, selon un schéma de rangées défini. Pour lui, ces méthodes traditionnelles doivent être redécouvertes pour renforcer la résilience de l’agriculture caféière face à la crise climatique.

De Muro propose également d’explorer de nouvelles espèces de café, comme le Coffea stenophylla, originaire d’Afrique de l’Ouest et redécouvert en Sierra Leone en 2021. « Ce caféier, qui pousse à basse altitude, tolère la sécheresse et présente une résistance accrue aux maladies, promettant une durée de vie supérieure à celle du fragile Arabica », suggère-t-il.

Le rôle des coopératives est indispensable

Le regroupement des caféiculteurs en coopératives peut aussi les aider à lutter contre les effets du changement climatique et les maladies éventuelles. Claver Nzimpora est le fondateur d’une coopérative de caféiculteurs appelée Dusangir’ijambo qui gère également une station de lavage. Il nous partage les avantages de l’union entre agriculteurs.

Selon lui, les agriculteurs réunis en coopératives ont généralement des plants de café en bonne santé et prennent grand soin d’eux. Grâce à l’auto-formation et à l’entraide, chacun peut améliorer sa production. Un autre avantage est que les producteurs réunis dans les coopératives sont directement approvisionnés en engrais. Ce qui qui facilite l’entretien de leurs champs à temps.

« L’avantage des coopératives se ressent dans l’ensemble de la communauté. Que l’on soit membre ou non, tous les producteurs reçoivent le même prix lorsqu’ils apportent leur café à notre station de lavage. Le véritable atout d’appartenir à une coopérative se manifeste surtout lors de productions optimales où des primes peuvent être attribuées aux membres », dit-il.

Même son de cloche pour Emilienne de la coopérative Twaranyuzwe de Kayanza. Pour elle, la coopérative crée un environnement propice à la progression collective. « Nous menons également d’autres projets agricoles pour diversifier nos revenus. Nous pouvons vendre les produits issus de cette culture, générant ainsi un revenu supplémentaire », précise-t-elle.

« Cette année, nous avons cultivé du maïs et avons stocké environ une tonne dans notre entrepôt, que nous prévoyons de vendre. De plus, nous sommes sur le point de récolter des haricots que nous avons cultivés en utilisant du fumier provenant de la pulpe issue du traitement des cerises de café. Ainsi, nous transformons ce qui pourrait être un déchet en une ressource utile pour notre agriculture », conclut-elle

Cet article a été réalisé grâce à Journalismfund Europe par deux journalistes : Florence Inyabuntu et Ilaria Beretta, avec le soutien du Dr Parfait Nitunga. 

 

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