Dans sa politique de faire de l’agriculture le fer de lance du développement, l’Etat Burundais s’est engagé dans l’achat et le stockage des produits agricoles. Selon une certaine opinion, il s’agirait d’une concurrence déloyale contre les hommes d’affaires et d’une imposition sur le producteur. Si la loi n’interdit pas à l’Etat de réglementer le marché, quelles sont ses limites et comment bien réussir ce projet
L’intervention de l’Etat sur le marché local en réglementant les prix a une histoire et a ses raisons d’être. Normalement, le marché devrait être construit sur le principe de l’offre et de la demande où chacun peut vendre ou acheter selon ses préférences. C’est ce que les économistes appellent le « libre échange ». Emery Nukuri, Dr en Droit rappelle que la réglementation des prix est parfois utilisée par l’Etat pour assurer la stabilité sur le plan économique, mais aussi pour sa sécurité. Cet expert donne l’exemple du Soudan où la hausse du prix du pain a provoqué des mouvements populaires de contestation du pouvoir. « Bien que les Etats prétendent réglementer les prix pour le bien de la population, le gouvernement peut aussi le faire pour assurer sa sécurité », indique-t-il. Pour lui, le contrôle des prix permet aux pouvoirs publics de maintenir accessibles les aliments de base, d’éviter les prix abusifs et de ralentir l’inflation.
Emery Nukuri, Dr en Droit et enseignant à l’université : « Dans sa politique de réglementation des prix sur les produits sensibles l’Etat doit veiller à ce que les intérêts soient partagés entre tous les citoyens ».
Quid du respect de la loi ?
D’après Dr Nukuri, la loi reconnait le droit à la propriété privée, mais légitime l’intervention de l’Etat pour la préserve de l’intérêt général selon les pays. En effet, l’intérêt général n’est pas le même dans tous les pays. Interrogé s’il n’y aurait pas d’incompatibilité entre la décision de l’Etat de contrôler les prix et les lois en vigueur, Nukuri a indiqué que les textes législatifs internationaux comme les statuts de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ou les lois en vigueur dans la Communauté de l’Afrique de l’Est restent réticents à définir l’intérêt public. Ce qui donne libre cours aux Etats dans l’exercice de leurs pouvoirs. Cependant, le pouvoir de l’Etat a des limites. Pour Emery Nukuri, le gouvernement porterait atteinte aux droits des producteurs au cas où la réglementation des prix provoquerait des pertes pour les producteurs.
Des efforts pour éviter les effets pervers
Le programme entamé par le gouvernement du Burundi pourrait avoir des effets pervers si on baisse la garde. Pour réussir son projet qui vise à booster la production et à accroître l’économie nationale, l’Etat doit jouer sur plusieurs plans. Nukuri essaie d’expliquer cela à base d’exemples. Selon lui, le prix doit se situer dans la marge de l’intérêt escompté par les producteurs. « Au cas où le producteur s’apercevrait d’une perte au niveau de son activité, il y a risque qu’il abandonne son activité. Ce qui constituerait un échec pour l’Etat qui voulait contribuer favorablement à l’augmentation de la production », explique-t-il. L’Etat doit donc fixer un prix acceptable par les producteurs et maintenir un dialogue avec ces derniers pour éviter cet échec.
L’Etat doit aussi veiller à ce que les intérêts soient partagés entre tous les citoyens. « Si par exemple la commercialisation de ces produits collectés et stockés est accaparée par les seuls grands commerçants, cela pourrait avoir des effets non escomptés », explique le juriste qui estime que cela constituerait une violation d’un droit de l’homme. Il conseille aux autorités publiques d’impliquer toujours tous les groupes de personnes concernés pour éviter l’échec.
Des inquiétudes pour la première campagne
Pour la première campagne, le prix d’achat du maïs au consommateur a été fixé à 1080 FBu le kg. Ce qui a provoqué des inquiétudes de la part de la population. Lors de la séance de questions orales qui s’est tenue le 2 septembre 2021 où l’invité était Domitien Ndihokubwayo, ministre des Finances, du Budget et de la planification Economique, certains députés ont fait part de leur insatisfaction. Ces derniers estiment que ce prix d’achat du maïs au consommateur fixé par l’Etat est exorbitant. C’est le même constat pour Pierre Nduwayo, président de l’Association Burundaise des Consommateurs-Transparency International Burundi (ABUCO-TI Burundi). Pour lui, le prix d’achat du maïs au consommateur est relativement élevé par rapport au prix d’achat au producteur qui était de 680 FBu le kg.
Pour Ndihokubwayo qui affirme que l’on s’y était bien préparé, chaque nouveau projet doit nécessairement rencontrer des défis. Cependant, il reste important de collaborer avec les producteurs et les consommateurs pour éviter des effets pervers de ce projet du gouvernement.