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Spéculation sur les produits stratégiques : Une inflation ou une simple hausse des prix ?

En principe, la hausse généralisée des prix n’augure rien de bon. Sur le plan macroéconomique, ce phénomène induit des situations inflationnistes.

Depuis plusieurs mois, il se manifeste une pénurie des produits stratégiques notamment le sucre, l’huile de palme raffiné, le ciment, les produits Brarudi etc. Ce qui provoque une flambée des prix sur le marché. Face à cette situation, l’ONG PARCEM lance un cri d’alarme et propose quelques pistes de solutions 

Que ce soient l’Inspection Générale de l’Etat, la Documentation ou les commissions parlementaires, aucune institution ne mène des enquêtes bien structurées pour éclairer l’opinion à propos de cette pénurie du sucre de la Société Sucrière du Moso (SOSUMO) et proposer des solutions envisageables si nécessaire. Comme cette pénurie est désormais un secret de Polichinelle, l’Etat n’a pas d’autres choix que de prendre des mesures dans l’immédiat   pour rétablir la situation. Cela a été dit par Faustin Ndikumana lors d’une conférence de presse organisée le 4 juin 2021 par l’ONG Parole et Actions pour le Réveil des Consciences et l’Evolution des Mentalités (PARCEM) dont il est président.

« Bien que la SOSUMO soit optimiste que la production du sucre est suffisante, pourquoi n’y-a-il pas une institution de l’Etat qui peut mener des enquêtes sérieuses pour résorber la pénurie de ce produit qui se manifeste aujourd’hui ? En plus de cela, comment est-ce que cette entreprise organise la commercialisation du sucre ? Elle lance au moins des appels d’offres concurrentiels où on établit des critères pour sélectionner les opérateurs économiques qui peuvent s’approvisionner directement à la SOSUMO ? », se demande M. Ndikumana.

Faustin Ndikumana, président de PARCEM : « L’Etat a le rôle de garantir la concurrence et la gestion responsable et transparente des monopoles ».

La SOSUMO monopolise le secteur sucrier

Selon M. Ndikumana, la commercialisation du sucre est faite par tout le monde voire des inconnus. Ce qui veut dire que la spéculation sur ce produit pourrait être inévitable à long terme. Pire encore, la SOSUMO garde toujours le monopole dans le secteur sucrier. En plus de fournir le sucre produit par son usine, cette entreprise publique a également la prérogative d’importer à l’étranger une certaine quantité du sucre complémentaire quand la production nationale est jugée insuffisante. Mais dans ces deniers jours, elle ne parvient pas à disponibiliser suffisamment de sucre sur le marché. Pour remédier à cela, l’Etat doit libéraliser ce secteur pour permettre aux autres opérateurs économiques de contribuer afin que chaque citoyen ait le sucre où qu’il soit sur le territoire burundais.

« J’imagine qu’il faut que l’Etat prenne des mesures énergétiques pour que cette situation change. Sinon, le monopole entretenu par cette entreprise publique n’arrangera pas les choses aussi longtemps qu’elle ne sera pas en mesure de satisfaire les consommateurs », précise M. Ndikumana. Pour lui, un autre élément important c’est le manque d’application du principe de conflits d’intérêts ou le système des incompatibilités. Pour illustrer cela, il donne l’exemple d’un haut cadre de l’armée et/ou de la police qui peut être en même temps haut fonctionnaire de l’Etat et opérateur économique, y compris dans le secteur sucrier.

Normalement, pour lui, le gouvernement doit garantir la compétitivité et la concurrence au sein des opérateurs économiques. Il ne devrait pas être acteur dans le commerce ou dans la production des biens et services. De même, ses fonctionnaires ne devraient pas s’ingérer dans le business. Mais c’est à travers la compétition et la concurrence qu’il incite les gens à travailler. L’Etat a plutôt le rôle de régulateur et non pas d’acteur parmi tant d’autres.

Comment la SOSUMO choisit les grossistes ?

Quand bien même si la production de la SOSUMO serait suffisante, la manière dont cette entreprise choisit les grossistes ne fait pas l’unanimité. M. Ndikumana se demande si la commercialisation du sucre est faite par des professionnels ou si c’est le favoritisme qui s’impose. Pour lui, quelque soient les circonstances, la concurrence devrait primer sur tout en établissant des critères de sélection objectifs. La SOSUMO devrait lancer des appels d’offres d’une manière transparente et prédéfinir les critères qui garantissent la concurrence.  Par exemple, les concurrents devraient avoir un certain nombre de camions propres à eux pour assurer le transport du sucre ainsi que des hangars de stockage du sucre qui leur appartiennent. Sinon, la location des immeubles ou tout autre matériel aura des répercussions sur le prix du sucre. Et il ne faut pas oublier d’exiger une certaine expérience dans ce domaine.

Cela ne peut pas être sans conséquences, car des répercussions négatives commencent à se faire sentir. Pour illustrer cela, ces derniers jours, une information est devenue virale sur les réseaux sociaux où certains responsables des boulangeries de la province de Ngozi ont tenu une réunion le 29 mai 2021 pour revoir à la hausse le prix du pain à cause de la pénurie et de la cherté des produits indispensables dans la production de cette denrée, notamment le sucre, la farine, l’huile, les emballages, etc.  Pour ce faire, ils se sont convenus que le prix du pain augmenterait à partir du 6 juin 2021. Selon un communiqué rendu public après cette réunion, le pain qui coûtait 100 FBu va coûter 200 FBu, le pain qui s’achetait à 250 FBu à 300 FBu, celui de 500 FBu reviendra à 600 FBu, celui de 1000 FBu va coûter 1200 FBu et celui de 2000 FBu s’achètera à 2500 FBu. Même le prix du beignet a augmenté d’au moins 100 FBu.

Le prix de l’huile de palme suit la même cadence

Le prénommé Vianney, un boutiquier rencontré à la 9ème avenue de la zone de Buyenzi en mairie de Bujumbura qui s’est confié au micro de Burundi Eco affirme que dans les trois derniers mois, le prix d’un seau d’huile de palme raffinée de 10 litres dite « Cooki » est passé de 38 000 FBu à 56 000 FBu et le prix d’un bidon de 20 litres est passé de 73 000 FBu à 100 000 FBu. Pour lui, il est difficile de vendre cette huile au détail parce qu’on ne peut plus donner à un client une quantité de 200 FBu que le gentilé aime s’en procurer pour une cuisson rapide au sein des ménages.

Dans une interview accordée à Burundi Eco dans le précèdent numéro, le représentant légal de l’Association pour la Promotion des Palmiculteurs du Burundi (APROPABU), Festus Ciza fait savoir qu’environ 13 hectares de palmeraie ont été inondés à Dama dans la province de Rumonge suite à la montée des eaux du lac Tanganyika. Les racines des palmiers à huile ne résistent pas longtemps à l’eau, et une fois inondés, ceux-ci ne peuvent pas donner une production satisfaisante. C’est une des raisons de la pénurie de ce produit sur le marché. Quant au ministère de l’Intérieur, du Développement Communautaire et de la Sécurité Publique, il pointe du doigt aux commerçants qui exportent cette huile vers les pays voisins. Ce qui l’a poussé à suspendre l’exportation de ce produit dès le 28 mai 2021. Pourtant, si la production est en baisse, la spéculation sera quasiment inévitable à cause du déséquilibre entre l’offre et la demande.

Le sucre devient de plus en plus rare et, en conséquence, les spéculateurs en profitent pour gagner beaucoup plus.

La pénurie des produits Brarudi est répétitive

La pénurie des produits Brarudi se répète du jour au jour. Les administratifs ne ménagent aucun effort pour lutter contre la spéculation sur les prix de ces produits. Cependant, la question liée à la pénurie de certains produits Brarudi sur le marché devient phénoménale. Alors que l’Amstel Bock est réapparu sur le marché il y a quelques jours, la boisson Amstel a encore brillé par son absence dans les stocks des bars de la ville de Bujumbura et à l’intérieur du pays. Dans certains bistrots, la bière PRIMUS s’est raréfiée. Les tenanciers des cabarets se lamentent et disent ne pas comprendre la situation qui prévaut dans ce secteur.

Selon les informations recueillies sur le terrain, les détaillants des produits Brarudi ne sont plus approvisionnés selon leurs choix. Les grossistes ne sont plus en mesure de bien mener leur mission de distributeurs. Les commerçants de ces produits disent qu’ils perdent énormément ces jours-ci.

A ce sujet, M. Ndikumana est optimiste que la Brarudi a essayé de résister face aux crises cycliques qu’a connues le Burundi depuis les années 1990 jusqu’à nos jours. Elle a entretenu une certaine résilience. Avec la pénurie des devises, cette entreprise a gardé la tête haute vu les problèmes traversés par le Burundi ces dernières années notamment en 2015 et les années qui ont suivi. Les problèmes auxquels elle fait face sont d’ordre conjoncturel comme le manque des devises, la situation sécuritaire perturbée ces dernières années, le faible pouvoir d’achat des Burundais, etc.  La grande quantité de ses matières premières est importée à l’étranger, mais avec cette pénurie récurrente des devises, cette entreprise ne parvient pas à s’approvisionner comme il faut.

La pénurie des produits stratégiques ne se résument pas à ceux ci-haut évoqués. Il y en a d’autres. Par exemple, la pénurie du ciment a fait couler beaucoup d’encre et de salive dans ces derniers mois, mais le problème persiste. Et le prix de certaines denrées alimentaires ne cesse d’augmenter, notamment la pomme de terre dont le prix est passé de 800 FBu à 1400 FBu le kilo en moins de six mois. Si rien n’est fait dans l’immédiat, l’inflation prendra une autre tournure et risquera de durcir davantage la vie du peuple burundais.

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