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Surproduction des mangues : Le ver est-il dans le fruit ?

Les mangues font partie d’une gamme de fruits produits  dans la province de Cibitoke. Pendant certaines périodes de l’année, ils sont si   abondants que les producteurs ne savent plus quoi en faire, car les prix s’effondrent sur le marché. Parfois ils sont obligés de laisser pourrir la récolte dans les champs parce que le prix proposé sur le marché ne permet même pas de couvrir les charges. Pourtant, si elle était bien organisée, la filière fruit pourrait être bénéfique à la fois pour l’économie du pays et celle des ménages

Jacques Bucumi, fruiticulteur en commune Rugombo :« Pendant certaines périodes de l’année, un sac de mangues se vend entre 20 et 25 mille FBu. Mais en période de récolte, ce prix peut descendre jusqu’à 10 mille FBu, voire moins que ça »

Jacques Bucumi habite à Gabiro-Ruvyagira en commune Rugombo. Il s’est lancé dans la culture des fruits depuis bientôt une dizaine d’années. Il possède une plantation de 5 hectares à Mparambo I, plus précisément à Munyika I. Les  manguiers aux branches courbées par des fruits très dodus se disputent la place avec les orangers et les mandariniers.  Il a abandonné la culture du palmier à huile qui ne rentrait plus dans ses projets pour se consacrer exclusivement à la culture des fruits.  Il était aux environs de 10 h quand le reporter de Burundi Eco y a débarqué. Bucumi lui a réservé un accueil chaleureux. Un petit sourire aux lèvres, c’est un homme dans la force de l’âge que nous avons trouvé au milieu de ses champs. Après les salutations d’usage, Bucumi nous a fait visiter ce qui lui semble être le plus beau champ de fruits de toutes ses plantations. C’est un champ fait de manguiers en bonne état mais pas encore assez mûrs pour la récolte. Mais il est quadrillé de part et d’autre de larges canaux d’irrigation. Il faut sauter pour arriver dans le  champ de Bucumi. Plus loin, dans un autre champ, un groupe d’ouvriers est en train de s’affairer sur un gros amas de mangues.    Ils sont en train de les emballer dans de gros sacs en toile blanche. La période de cueillette bat son plein.  La récolte est très bonne, mais Bucumi n’est pas d’humeur débordante de joie.

Durant la période des récoltes, les prix s’effondrent 

Ce qui inquiète notre agriculteur n’est autre que le marché d’écoulement des fruits de son dur labeur. « Pendant certaines périodes de l’année, un sac de mangues se vend entre 20 et 25 mille FBu. Mais en période de récolte, ce prix peut descendre jusqu’à 10 mille FBu, voire moins que ça. Quant aux oranges, on n’en parle même pas. Il arrive qu’on les jette, tellement il y en a en période de récolte que leur prix devient dérisoire », a expliqué M. Bucumi. Si le prix du sac de mangues descend jusqu’à 5 mille FBu et que son transport coûte 2000 FBu, le chargement mille FBu sans parler du prix de l’emballage et des taxes qu’on paie ce n’est plus la peine de vendre. On les laisse pourrir en attendant que le prix monte. On peut envoyer 50 ou 100 sacs à Bujumbura, mais après les avoir vendus on se rend compte qu’on parvient à peine à couvrir les dépenses. Il arrive qu’on m’appelle pour me dire : Vyahuriyemwo !  (Le prix de revient équivaut au prix de vente !) », a déclaré M. Bucumi au reporter de Burundi ECO, dans un de ses champs, à l’ombre d’un imposant manguier.  

Il attend toujours le retour sur investissement 

Les 5 hectares qu’il possède, M. Bucumi les a achetés de sa propre poche au fur des années. Aujourd’hui, il estime cet investissement entre 8 et 10 millions de FBu par hectare. Ce qui fait entre 40 et 50 millions de FBu au prix actuel.  Il a 4 employés permanents qui touchent 75 mille FBu chacun, mais pendant la campagne de récolte, il en embauche plus d’une dizaine. Même les temporaires gagnent  2500 FBu par jour chacun. Chaque année, il estime le coût de son exploitation à 5 millions de FBu. Heureusement, les fruits ne murissent pas à la même période. Une partie de l’argent qu’il perçoit après la vente des oranges sert à financer la campagne pour les mangues ou les mandarines et vice versa. C’est comme ça qu’il parvient à tenir malgré les difficultés qu’il rencontre. Le retour sur son investissement, il l’attend toujours. 

Les pesticides  lui coûtent aussi relativement chers

L’autre partie des  revenus de Bucumi passe à l’achat des pesticides. Le détane et le dresbach qu’il utilise entre autres coûtent  relativement chers. Toutes les 2 semaines il dépense 212 mille FBu  en insecticides et autres produits phytosanitaires. « Si vous ne pulvériser pas les arbres,  les fruits pourrissent infectés par les insectes », a fait savoir M. Bucumi. Il lui faut aussi du compost pour avoir des fruits de bonne qualité. Un camion benne de compost coûte 60 mille FBu. Il utilise plus de 60 bennes chaque année, ce qui gonfle encore plus le coût de production.

Une assistance utile mais insuffisante

« Les agronomes de la Direction Provinciale de l’Agriculture et de l’Elevage (DPAE) viennent voir comment on travaille et nous prodiguent quelques conseils. Nous aussi on va les voir quand on constate un problème qu’on n’est pas capable de résoudre seuls. La DPAE met à notre disposition les pesticides à moindre coût. Mais les stocks s’épuisent vite. Par exemple, le dresbach de la DPAE coûte 22 mille FBu par litre alors que chez les commerçants c’est 35 mille FBu, a fait savoir M. Bucumi. Il serait bien que les produits phytosanitaires soient disponibles en permanence, a souhaité l’agriculteur de Rugombo.

Le manque de débouchés reste le problème principal

« Les prix des produits qu’on utilise augmente entrainant par la même occasion le prix de production  des fruits alors que le prix à la vente stagne ou diminue. C’est un problème sérieux d’autant plus qu’on ne sait pas comment acheminer les fruits sur d’autres marchés où les prix sont intéressants. Cela est décourageant. Les exploitants investissent. Parfois ils contractent des crédits auprès des banques. Mais il devient de plus en plus difficile de récupérer ce qu’on a misé. C’est un problème », déplore  M. Bucumi.     

Le gouvernement est sur le pied de guerre

La solution au problème de surproduction serait évidemment de transformer et de conserver les produits agricoles   industriellement. Le gouvernement est conscient des problèmes qui persistent à ce niveau. C’est pourquoi il a mis en place un document retraçant la politique Nationale d’Industrialisation du Burundi (PNIB) que le la Direction Générale de l’Industrie au sein du ministère du Commerce, de l’industrie  et du Tourisme a déjà transmis officiellement à l’autorité hiérarchique supérieure, a indiqué Onésime Niyukuri, Porte-parole adjoint  de ce ministère. Effectivement, ce document qui explore les potentialités et les perspectives d’avenir  tout en traçant  les grandes lignes de la politique de ce secteur fait la part belle à l’agro-industrie. Par ailleurs M. Niyukuri fait le constat qu’en dépit de la privatisation adoptée en 2009  le secteur industriel n’a pas beaucoup évolué notamment en raison de la lenteur des réformes et de la faiblesse du climat des affaire. C’est peut-être pour cette raison que le secteur de l’industrialisation reste embryonnaire et ne représente environ que 17% du PIB du pays aujourd’hui, a-t-il indiqué.     

Quand il y a surproduction, les producteurs préfèrent laisser leurs fruits pourrir en attendant que le prix monte.

Le ministère du commerce tranquillise

La transformation des fruits et légumes est prévue dans le document de la politique nationale d’industrialisation afin d’améliorer leur valeur ajoutée dans l’orientation concernant le développement de l’industrie que le PNIB propose. Si ce document a pris du temps avant de sortir c’est parce qu’il a fallu attendre le mise ne place du Plan National de Développement (PND) 2018-2027 pour s’y conformer. On a constaté qu’il y a des stratégies qui se trouvent dans le PND qui devaient être intégrées dans la PNIB. 

Le partenariat public-privé (PPP) serait-il l’une des solutions ?

Parmi les pistes envisagées pour l’implantation des unités de transformation il y le PPP. Le PNIB prévoit en fait d’impliquer le secteur privé sur plusieurs volets, notamment dans la conception de l’enseignement technique et la formation professionnelle  qui permettrait peut-être d’avoir de la main d’ouvre que les privés ont besoin pour faire fonctionner les usines de transformation. Il prévoit aussi de soutenir le développement des compétences au moyen des couplages entre les entreprises. Le gouvernement est convaincu que le PPP permettra de mobiliser les financements pour les projets de développement industriel comme l’a expliqué le Porte-parole du ministère du commerce au reporter de Burundi Eco

Le PNIB, une panacée ?

Le PNIB préconise  vraiment d’équiper et de développer le secteur industriel dont la transformation agricole constituera le maillon important. Cette dernière se trouve  même être à la base du processus du développement de l’industrialisation d’après le Porte-parole du ministère du Commerce. Serait-elle le fer de lance de la transformation structurelle de l’économie envisagée par le PNIB. Cela permettra-t-il à la filière fruit de se développer ?  Permettra-t-il aux agriculteurs de la province Cibitoke, dont Bucumi, de vivre «des fruits» de leur dur labeur ? Là est toute la question.

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