Le projet pharaonique de construction de la Zone Economique Spéciale (ZES) tarde à se concrétiser. Les travaux préparatoires telles que la viabilisation, la construction d’une clôture etc. à l’intérieur du site de Warubondo sont au point mort. Pour cause le site se trouve dans une zone marécageuse. Ce qui complique la tâche aux bulldozers qui aménagent le terrain. Reportage
Après avoir franchi le pont séparant Kajaga et Gatumba, cap sur la zone Gatumba. Au chef-lieu de la zone, les habitants assistent impuissamment à la montée des eaux de la rivière Rusizi. Nous poursuivons notre périple vers la localité de Warubondo. C’est dans cette localité que le gouvernement avait identifié un site pour ériger des infrastructures économiques hors du commun : la Zone Economique Spéciale (ZES).
Le site est difficilement accessible
La piste d’accès est accidentée et très boueuse. Il faut être prudent quand on se déplace à bord d’un véhicule station dit Kagongo. La moindre erreur peut causer un accident. La piste est très glissante. On avance sur une distance d’environ 2 km du chef-lieu de la zone Gatumba. Plus on avance, plus la route devient impraticable. La piste d’accès qui relie la zone de Gatumba aux localités de Warubondo et Vugizo-Kiriba est en piteux état. Les camions qui transportaient des matériaux de construction ont été piégés par la boue. Ils sont immobilisés depuis des semaines.
Nous décidons de marcher à pied jusqu’à Warubondo. De loin, on aperçoit un paysage verdoyant à perte de vue. A l’Ouest, ce sont les chaines de montagne de la crête Congo-Nil en RDC. Plus on s’approche, plus la délimitation du site est perceptible. Une pancarte qui servait d’indication a été cogné par un conteneur d’un camion qui s’est renversé. A l’intérieur de la clôture en ferraille règne un calme absolu. Rien ne bouge. Nous prenons quelques images et du coup un agent de sécurité s’avance. Nous déclinons vite notre identité. Et nous continuons la route.
Interdiction de construire dans les zones marécageuses
Lors sa visite des sites Kajaga-Kigaramango et Ruhogo en commune Mutimbuzi du 19 avril 2018, Joseph Butore, Deuxième Vice-Président de la République a indiqué que le gouvernement a pris la décision de surseoir à tout programme de viabilisation et d’octroi des parcelles sur ce site. Les raisons avancées sont que celui-ci se trouve dans le bassin de la rivière Rusizi et qu’il serait à la même altitude que les eaux de cette rivière. Ce qui pourrait occasionner des catastrophes en cas de fortes pluies.
Le site Warubondo est dans le prolongement de la plaine de la Rusizi. En cas de montée des eaux, il est menacé. Pourtant, les travaux de viabilisation de la Zone Economique Spéciale n’ont pas été suspendues. Les exploitants, en l’occurrence la société ProCERB a été contraint d’interrompre les travaux d’aménagement suite à la forte pluviométrie.
Un marché en cours de construction
Dans le site A de la fameuse Zone Economique Spéciale, un marché connexe au projet est en cours de construction. Les travaux avancent à pas de tortues. Ils enregistrent un retard énorme. Ils devraient normalement durer trois mois, une période qui risque de se prolonger au vu de l’état des lieux des travaux. De l’extérieur, des colonnes de fer à béton s’observent. Les ouvriers, principalement des femmes se relaient pour déplacer les moellons, les graviers, les briques ou encore le béton. Les maçons sont à l’œuvre pour que les murs du nouveau marché sortent de la terre boueuse. Le chef de chantier craint l’arrêt momentané des travaux. Il explique à l’équipe de reporters de Burundi Eco que le recours aux taxis vélos pour assurer le transport des sacs de ciment et d’autres matériaux est privilégié. Les transporteurs sur les deux roues sont payés quotidiennement à 4 000 FBu. Ce qui alourdit les charges, déplore Ir Joachim Butoyi, chef de chantier.
Le marché comportera cinq galeries de 18 boutiques chacune, un hangar commercial, un bloc administratif, un abattoir et des sanitaires. Les constructions ont démarré le 16 mars et dureront 3 mois si tout se déroule comme prévu. Les promoteurs effectuent des visites de contrôle pour s’assurer de l’état des lieux des travaux. Ils sont au courant des problèmes d’accès au site.
Les inondations planent sur la ZES
Les eaux de la rivière Rusizi envahissent vers le site de Warubondo. Les eaux stagnantes sont visibles en peu partout. On dirait des étangs piscicoles. L’ingénieur en charge des constructions ne cache pas ses inquiétudes par rapport à la physionomie de la zone en cours d’aménagement. « Nous avons installé des digues en terre pour stopper la progression des eaux. Ce n’est qu’une solution partielle. Si jamais les pluies torrentielles continuent à tomber à ce rythme, tout le terrain sera inondé ».
Au niveau du site B qui était en cours d’aménagement, les travaux de viabilisation ont été suspendues. Le terrain de plusieurs hectares qui s’étend à perte de vue se transforme peu à peu en espace de pâturage. Des troupeaux de vaches y broutent régulièrement l’herbe. Les herbes y poussent ainsi que des arbustes. Ce qui montre que les travaux ont été suspendus depuis un bon bout de temps. Aucune construction n’y est présente. Seules quelques maisons de fortune pour les militaires qui assurent la sécurité des lieux s’y observent.
Pourquoi la zone Economique Spéciale ?
L’espoir de voir le pays se doter d’une ZES pointe à l’horizon avec la signature du mémorandum d’entente entre le gouvernement et la société ProCerv des Emirats Arabes Unis (EAU) basée à Nairobi sur l’exploitation de la Zone Economique Spéciale (ZES) de Warubondo. Cette société avait la responsabilité de viabiliser le site dans un délai ne dépassant pas trois mois. Elle a en outre la tâche de chercher des investisseurs ainsi que de mener des études de faisabilité afin de présenter un modèle d’une ZES, apprend-on du mémorandum.
D’après célestin Ndayizeye, ex-ministre de l’Eau, de l’Environnement, de l’Aménagement du Territoire et de l’Urbanisme, l’exploitation du site de Warubondo va attirer des investissements directs étrangers. Et cela aura un impact sur la capacité d’exportation du pays en favorisant les rentrées des devises. Et d’ajouter que la ZES va promouvoir la création d’emplois.
A quoi ressemblerait la ZES ?
Il est difficile de déterminer avec précision ce que sera la ZES burundaise tant qu’on n’a pas la maquette du projet. Quelques informations lues sur les restes de la pancarte donnent une petite idée sur ce que sera la Zone Economique Spéciale lors de notre descente à Warubondo. Il est prévu notamment la construction d’un barrage hydro-électrique et d’un parc solaire pour alimenter la ZES, la construction des hangars industriels et le captage de l’eau par forage de puits. De nos sources d’informations, il apparait qu’en plus des activités industrielles et commerciales, la ZES hébergera un centre de traitement de données pour constituer un système d’information pour les entreprises (des serveurs ainsi que des baies de stockage et des équipements de réseaux et de télécommunications y seront installés).
Quid des ZES dans les pays de la sous-région
Par définition, les zones économiques spéciales (ZES) sont des zones bénéficiant d’une règlementation économique spécifique, différente du reste du pays, dans le but d’attirer les investisseurs étrangers.
Au niveau de la sous-région, la Tanzanie a entamé la construction d’un port et d’une zone économique spéciale pour 10 milliards USD. Ce mégaprojet financé par la Chine et le Sultanat d’Oman qui vise à transformer ce pays d’Afrique de l’Est en un hub commercial régional. Le Rwanda est en avance. Il s’est doté d’une ZES opérationnelle. Plusieurs industries ont été installées dans cette ZES. L’usine de fabrication des smartphones 100% africains est implantée dans cet espace.
Un projet qui ne date pas d’hier
La commission nationale technique chargée de la mise en place d’une ZES au Burundi a présenté son rapport jeudi le 9 juin 2016 au Deuxième Vice-Président de la République. « Elle fait partie des priorités du gouvernement dans sa vision de développement industriel de notre pays. Le projet de création d’une zone économique spéciale permettra au pays d’accroître ses exportations qui lui procureront les devises étrangères et contribueront conséquemment à équilibrer la balance de paiement », a-t-il dit.
Le projet remonte à fin décembre 2015. Le Conseil des ministres du 22 décembre 2015 a décidé de mettre sur pied une commission technique chargée de la mise en place d’une ZES. La commission avait le mandat d’identifier les terrains réservés à l’implantation d’une zone économique spéciale, d’élaborer des instruments de mise en œuvre d’une zone économique spéciale et de formuler toutes les recommandations qu’elle jugerait pertinentes.
Finalement c’est le site de Warubondo d’une superficie de 543 ha vers Gatumba et qui débouche sur le Congo qui a été choisi. Deux ans plus tard, le gouvernement passe à la vitesse supérieure. Le chef de l’Etat signe un décret portant mise en place de la ZES à Warubondo. Entre autres objectifs poursuivis figurent notamment : la diversification des produits d’exportation, l’amélioration du niveau de vie de la population, l’augmentation des recettes fiscales, la promotion industrielle. Par ailleurs, 5 ans après le lancement du projet, l’idée n’est pas encore concrétisée.