Commerce

Comment renforcer le secteur des exportations ?

Pour pallier au manque criant de devises, le Burundi peut miser sur le développement et  la diversification du secteur de ses exportations. Depuis de nombreuses années, le pays dépend presqu’exclusivement de deux produits d’exportation : le café et le thé. Ces deux sources ne suffisent pas à couvrir les besoins croissants en devises. Il est donc devenu impératif de développer des stratégies économiques pour augmenter la production et diversifier les exportations. Les principaux secteurs pourvoyeurs de devises sont : les mines et les carrières, l’agriculture, la pêche, l’industrie agroalimentaire dont celle des boissons ….

Selon Léonard Sentore, directeur de l’Agence de Promotion des Investissements (API), le secteur de l’exportation du Burundi reste l’un des enjeux majeurs à développer en vue d’une relance et d’une accélération de la croissance économique. Ce secteur est caractérisé par des quantités minimes d’exportations traditionnelles reposant principalement sur le café et le thé. Par conséquent, le pays souffre d’un déficit chronique au niveau de la balance commerciale. Les données de l’ISTEEBU  montrent que le déficit annuel est de l’ordre de 1 048,7 milliards de FBu en 2017 contre 820,4 milliards de FBu en 2016. Cette détérioration est due à l’accroissement plus prononcé des importations (25,7%) par rapport aux exportations (17,9%). De même, le taux de couverture annuel diminue, passant de 21,1% en 2016 à 19,8% en 2017.

M. Léonard Sentore, directeur de l’Agence de Promotion des Investissements (API) : « Il est impératif que le pays mobilise toutes les ressources nécessaires pour non seulement augmenter les volumes de production orientée vers l’exportation, mais aussi pour la diversifier ».

M. Sentore note que la dépendance à l’égard de deux seuls produits d’exportation (le café et le thé) constitue un risque sans précédent. Les devises qui proviennent de ces deux produits ne sont suffisantes pour financer d’autres besoins, notamment les besoins en importation. Cela étant, le pays regorge d’un potentiel énorme dans d’autres produits d’exportation dont les études ont démontré la rentabilité et l’attribut au levier de croissance et de développement économique, affirme-t-il.

Les secteurs phares pour diversifier les exportations

M. Sentore fait remarquer que le pays dispose de potentialités pour développer d’autres produits générateurs de devises. Les secteurs clés sont notamment les mines et les carrières, l’agriculture, la pêche, le tourisme, etc.  «Le lac Tanganyika regorge d’un énorme potentiel de poissons. Il y a donc une opportunité à saisir afin d’augmenter l’exploitation du lac. Il convient également de valoriser d’autres lacs de l’intérieur du pays en créant les conditions pour une augmentation du volume et de la diversité des poissons», explique-t-il.

Pour le secteur des minerais, révèle M. Sentore, le Burundi a d’énormes réserves de nickel, de vanadium, de phosphates, de calcaires, d’or ou encore de terres rares, etc. Et dans le domaine agroalimentaire, le directeur de l’API suggère l’exportation des fruits tropicaux qui servent à la production des jus. On peut aussi envisager l’exportation des huiles essentielles qui sont des produits multi-usages entrant dans la fabrication des produits cosmétiques, pharmaceutiques, alimentaires etc, ajoute-t-il. L’étude sur les huiles essentielles a montré que les cultures de patchouli et limette pouvaient accroître de 10% le volume des exportations.   

Le volume des exportations chute

Les statistiques de la Banque centrale montrent que la production du café dégringole d’une année à l’autre. En effet, la production du café a chuté de 23 mille 309 tonnes en 2012 à 11 mille 865 tonnes en 2013, puis 15 mille 159 en 2014, 13 mille 657 en 2015 et 16 mille 646 en 2016.

En revanche, la production du thé est passée de 8 mille 648 tonnes en 2012 à 10 mille tonnes en 2013, puis 11021 en 2014, 11 145 en 2015 et 10 873 en 2016. Pour les quatre premiers mois de l’année 2017 (janvier-avril), la Banque centrale fait état d’un revirement total. La production du café a dégringolé à 1 922 tonnes de café vert, alors que le thé a réalisé 3 495 tonnes. Ainsi, le thé a été le premier produit exporté, avec 9, 2 millions de dollars d’entrées dans la caisse de l’Etat, contre 3,1 millions de dollars pour le café.

L’augmentation de la production est un préalable

Pour répondre aux questions conjoncturelles, à savoir : pénurie de devises, chute de la monnaie nationale, chômage, recul du bien-être social, le directeur de l’API souligne qu’il est impératif que le pays mobilise toutes les ressources nécessaires pour non seulement augmenter les volumes de production orientée vers l’exportation, mais aussi diversifier les secteurs d’exportation. Il faut développer le secteur agricole pour produire des quantités suffisantes afin de capter de gros marchés. La production agricole doit satisfaire les besoins internes avec des surplus à exporter, conclut-il.

Dans le même ordre d’idées, Dr Jean Isaac Bizimana, doyen de la faculté des sciences économiques et de gestion à l’Université du Burundi suggère de concilier les moyens de production et la transformation agroalimentaire. « On ne peut pas exporter tant qu’il n’y a pas d’entreprises pour la  transformation de nos produits», dit-il. Toujours selon lui, la diversification des exportations est conditionnée avant tout par l’augmentation de la production. A titre illustratif, le coton fut un produit d’exportation, hélas suite à la chute de la production, toute la quantité nationale est absorbée par une seule entreprise, la société AFRITEXTILE, qui de plus doit en importer de la Tanzanie pour satisfaire la demande.

Le Burundi peut vendre dans les pays de la sous-région

M. Sentore indique que le plus grand marché est à chercher avant tout dans les ensembles régionaux auxquels le Burundi a adhéré. Les pays avec qui le Burundi a signé des accords commerciaux dans le cadre des blocs et arrangements commerciaux constituent les priorités n°1 en termes de potentiels offerts aux produits  nationaux pour l’exportation. C’est le marché commun des pays membres de l’EAC, avec une population de près de 120 millions d’habitants, la zone de libre-échange dans le cadre du COMESA et l’accord de libre-échange tripartite COMESA-EAC-SADC.

Les produits d’exportation ne manquent pas. Au niveau agricole, le Burundi peut fournir rien que les marchés voisins, à savoir : le Congo, le Rwanda. Les arbres fruitiers, les oranges, les mandarines etc. qui pourrissent ici au Burundi peuvent être exportés. Ils sont d’une qualité indéniable surtout pour leur goût naturel, confirme Dr. Jean Isaac Bizimana.

Les exportateurs Burundais peuvent bénéficier des avantages liés aux accords commerciaux dont la réduction et/ ou la suppression des droits de douane. Cela contribue à la facilitation et au développement du commerce. Dans un second temps, on peut envisager d’autres marchés internationaux comme le marché européen ou asiatique, car nos produits sont d’une qualité irréprochable, remarque le patron de l’API.

Labélisation des produits en provenance du Burundi

Aux yeux de Dr Bizimana, pour réellement booster les exportations, il faut focaliser les efforts sur les labels, sur la qualité. Les produits agricoles devraient être transformés en produits manufacturés avant leur exportation. Il serait intéressant de transformer les tomates, les ananas, les mangues, etc car les moyens d’en produire en grandes quantités existent. « Il faut que tous les produits d’exportations soient labellisés pour éviter que d’autres pays s’approprient la qualité de nos produits », dit-il.

Le fait de payer les exportateurs en monnaie locale pose problème.  « Les importateurs devraient accéder aux devises, mais ce n’est malheureusement pas le cas. Les placements à l’extérieur diminuent sensiblement. Par conséquent, les devises se tarissent et celui qui veut importer est condamné à recourir au marché noir des devises, ce qui coûte plus cher et explose les coûts », explique M. Bizimana.   

Le manque d’équipements de contrôle entrave les efforts d’exportation

Malgré l’existence d’une institution qui s’occupe du contrôle de la qualité des produits, il reste du chemin à faire pour que les produits locaux soient conformes aux normes et standards internationaux. Le directeur de l’API regrette que certains produits locaux fassent objet de refus. « Quelquefois nos produits sont refusés car ils ne sont pas conformes aux normes et standards internationaux généralement acceptés».

M. Sentore explique que le secteur de contrôle et de certification accuse des manquements. Cette lacune constitue une entrave aux efforts de promotion des exportations. Les principaux défis sont entre autres le manque de laboratoires spécialisés et d’équipements pour les tests dans le processus de certification de certains produits, le défaut de personnel compétent dans certains cas et l’absence d’un centre national de recherche et de développement des normes.

L’exportation informelle devrait être combattue

Au sujet des gouverneurs de province qui limitent les exportations des récoltes vers les pays voisins, Sentore précise que le Burundi n’a pas interdit l’exportation des produits vivriers. Ce sont les exportateurs qui ne veulent pas se conformer à la loi. Sinon les mesures prises par les gouverneurs des provinces ne sont que des mesures conservatoires pour protéger la population burundaise. « On ne peut pas autoriser que la population puisse gaspiller la récolte vers d’autres pays alors qu’à l’intérieur on a des besoins », estime-t-il.

Les gens qui exportent sans licence constituent une entorse à l’économie nationale. La traçabilité des devises devient de plus en plus difficile. « Les commerçants qui exportent dans l’informel ne peuvent même pas rapatrier les devises. Par conséquent, ils alimentent le marché noir. Ce qui affecte négativement le cours de change. La différence entre le marché parallèle et l’officiel est d’environ 1 000 FBu par euro et par dollar américain. Ce qui préjudiciable pour l’image de l’économie nationale, prévient le directeur de l’API.

Quid des exportations dans les autres pays ?

Les autres pays se dotent de politiques sectorielles d’exportation. La Tanzanie exporte une grande quantité de produits manufacturés vers le Burundi et d’autres pays. La société tanzanienne «Alpha Tanganyika Flavour Limited » exporte les poissons du lac Tanganyika vers les Etats-Unis. Un kilo de Ndagala coûte 40 USD dans les shops américains. En 2016, le Sénégal a investi dans l’exportation des mangues avec la mise en place d’un guide d’exportation de ces fruits. Le guide vulgarise les techniques modernes de cette culture et les principales étapes de préparation des mangues destinées à l’exportation.

D’autres pays comme les Pays-Bas, mais aussi le Kenya, sont de grands exportateurs de légumes et de fleurs. En 2016, les Pays-Bas ont exporté des fleurs d’une valeur de plus de 4 milliards d’Euros.  A la même période, l’Afrique du Sud qui est la 33ème plus grande économie d’exportation dans le monde a exporté les biens d’une valeur de 69,1 milliards USD. L’Afrique du Sud exporte essentiellement les métaux, les minerais ainsi que les produits alimentaires. Les principales exportations d’Afrique du Sud en 2016 étaient: le Platine (6,03 milliards USD), Voitures (5,23 milliards USD), briquettes de charbon (3,81 milliards USD), Minerai de fer (3,58 milliards USD) et Ferro-alliages (3,35 milliards USD).

Ce ne sont pas les modèles à suivre qui manquent. Il est donc urgent de réorganiser le secteur des exportations en insistant sur les services à forts potentiels. Mais ces efforts ne seront couronnés de succès qu’à la condition d’avoir de l’énergie électrique en suffisance et des réseaux de transports performants. De plus, rappelons que sans électricité et sans chemin de fer, l’exploitation du nickel reste hypothétique.

A propos de l'auteur

Benjamin Kuriyo.

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Du jamais vu ; un déficit record a été enregistré depuis la création de l’Office Burundais des Recettes (OBR) en 2009, une institution chargée de maximiser les recettes. Un déficit de 110 milliards de FBu sur les 4 derniers mois de l’année budgétaire 2024-2025, déclaré par l’autorité compétente, ne peut pas passer inaperçu. Pire encore, parmi les causes évoquées pour expliquer cette diminution des recettes figurent des facteurs tels que le rôle crucial des agents chargés de maximiser ces recettes, la corruption et la complicité entre les contribuables et les agents, pour ne citer que ceux-là.

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