Education

Abus sexuels en le milieu scolaire : Quand les éducateurs sont les premiers auteurs

Il s’observe des cas de jeunes abusées par leurs éducateurs dans certains coins du pays. Les associations de protection des droits de l’enfant donnent l’alerte sur les conséquences que subissent ces jeunes filles, mais surtout l’impunité qui s’observe parfois  dans la répression de ces abus. Cas de la province Gitega

Un cas d’abus sexuel a été signalé en 2017 au Lycée Etoile du Matin de Kirimbi, à Bugendana.

 

Les cas d’abus sexuels en milieu scolaire existent, mais parmi eux, un a été très médiatisé. Non pas parce que les médias l’ont favorisé au détriment des autres, mais parce qu’il a été révélé en pleine réunion  en présence du ministre de l’Education, sous les projecteurs des caméras.

Le 25 janvier 2023, le ministre de l’Education Nationale et de la Recherche Scientifique a visité la province de Gitega pour s’enquérir des problèmes qui hantent cette province dans le domaine de l’éducation. C’est ce jour-là qu’Emilienne Sibomana, à cette époque secrétaire du Lycée Christ-Roi prend le micro et dénonce père Laurent Ntakarutimana, directeur de cette école « qu’il abuse » des jeunes filles dans ce Lycée.  Ce qui a étonné plus d’un  est que la femme a été arrêtée dans l’immédiat et jusqu’ici elle est incarcérée à la prison centrale de Gitega.

A Gitega, il est très difficile d’avoir quelqu’un pour se prononcer ouvertement sur le cas. Evoquer le cas de Christ-Roi fait fuir les gens. Mais entre les lignes, deux parties s’opposent. Il y en a qui disent que ce que la secrétaire a dénoncé est réel, mais peut-être qu’elle a mal choisi l’endroit et le moment et d’autres qui parlent de règlement de compte entre la secrétaire et le directeur.

Bugendana, la commune de la bonne viande, mais…

Notre reportage sur le phénomène des abus sexuels commis par les éducateurs continue par la commune Bugendana. Cette dernière est presqu’à une heure de la ville de Gitega. Le centre de la commune de Bugendana vibre déjà à 9h du matin. Des carcasses des vaches abattues suspendues sur des étals sont visibles sur plusieurs cabarets qui longent la route, des braisiers remplis de viandes, il y a de quoi attirer des carnivores qui se respectent.

C’est dans cette communauté qu’en 2018, à 14 ans, Jeanine (pseudonyme), une écolière de l’ECOFO Kumuvyiru en 5ième primaire est abusée par le directeur dans un local de l’école. « Après avoir abusée d’elle, il lui a donné 5000 FBu pour qu’elle aille se faire soigner et garde sa langue », relate un des défenseurs des droits des enfants en province Gitega.  Heureusement, il y avait des témoins. Toutefois, l’auteur avec la complicité de certains responsables communautaires ont voulu étouffer l’affaire.

Avec les risques que cela comportait, deux hommes se sont levés et ont tout fait pour porter l’affaire devant justice. Avec l’aide de l’Officier de la Police Judiciaire (OPJ) de Bugendana de l’époque et du procureur de Gitega, l’affaire a été fixée devant la justice et l’auteur a été condamné à une peine de 15 ans de prison avec un dédommagement de 2 100 000 FBu, dans un procès RPA 2495 de la cour d’appel de Gitega.

Malheureusement, lors de notre reportage, ils nous ont informés qu’à moins de la moitié de sa peine, le violeur circule librement depuis peu. « Nous avons été abasourdi de le croiser dans la rue », fait savoir un d’eux.

Au moment où il parle de la libération du violeur, le père de la victime est sur le point de nous rejoindre. Il ne sait pas encore que celui qui a détruit la vie de sa fille est libre.

Le poids de l’impunité est très lourd

Nous avons demandé à ces deux messieurs de chercher un moyen de lui annoncer la nouvelle en douceur, sans le choquer. Un de deux l’accueille, le met à l’écart pour lui annoncer la nouvelle et nous rejoignent quelques minutes après. On pouvait lire l’angoisse et la désolation sur son visage mais surtout la peur de savoir comment sa fille va subir un autre choc, a-t-il dit. « Après tout ce qu’on a traversé, fallait-il  que l’affaire se termine comme tel ? », réagit-il l’air absent. Cela étant, après avoir subi ce viol, Jeanine a essuyé des moqueries de la part de ses camarades et elle a eu honte de reprendre les études.

Si ce n’est pas la honte qui fait que les jeunes filles ne reprennent pas l’école après les viols, c’est aussi la grossesse. C’est ce qui est arrivé en 2017 au Lycée Etoile du Matin de Kirimbi. Aline (pseudonyme) a été violée par le directeur de l’école et est tombée enceinte. Craignant d’être poursuivi, le directeur a fui vers la Tanzanie. Mais, Malheureusement, un défenseur des droits de l’enfant à Gitega affirme que cet ancien directeur qui a abusé de cette fille est revenu et fait le vacatariat à l’école Technique Pierre Nkurunziza malgré le viol  et un enfant non reconnu légalement.

Les cas d’abus sexuels commis par les éducateurs il y en a, mais peu sont ceux qui sont portés devant la justice. Certains préfèrent régler l’affaire à l’amiable (surtout les parents qui négocient avec les auteurs en termes d’arrangement monétaire), d’autres gardent le silence par peur et honte de se faire déconsidérer dans la société. En cas de grossesse, dans la plupart des cas, la victime demande à l’auteur de reconnaître la grossesse et de vivre son malheur en silence, explique Gilbert Nijimbere, un magistrat du centre Humura.

Pire encore, si l’auteur est encore célibataire, les familles font tout pour que la fille devienne sa femme. « Pour eux, le plus lourd n’est pas que leur fille a été violée mais plutôt qu’elle enfante sans être mariée et fasse honte à la famille », ajoute-t-il.

Quid de l’accompagnement des victimes ?

Les abus sexuels que subissent les jeunes filles ont des conséquences tant physiques que psychologiques. Au centre Humura de Gitega, qui s’occupe de la prise en charge des victimes de ces abus, on y trouve des témoins. Ces derniers expliquent que parmi les victimes, il y en a qui développent des troubles mentaux suite aux abus sexuels qu’elles ont subi.

Dr Alida Manariyo, coordinateur de ce centre explique que ce dernier implique quatre ministères à la fois, à savoir : le ministère de la Solidarité, celui de l’Intérieur, de la Justice et la Santé Publique. « Non seulement ce centre prend en charge la santé de la victime, mais aussi il a l’obligation de l’accompagner psychologiquement et orienter son cas dans la justice », explique -t-elle. C’est pourquoi, ce centre comprend un psychologue, un médecin, un OPJ et un magistrat.

Le magistrat du centre Humura explique que la plupart des victimes fréquentent le centre pour y recevoir des soins l’accompagnement psychologique. Elles ne veulent pas que leur affaire soit traduite en justice. Toutefois, la coordinatrice du centre indique que ce dernier a l’obligation de faire ses propres enquêtes et de préparer un dossier qu’il va présenter à la justice. D’ailleurs, Samuel Nininahazwe, conseiller du gouverneur de Gitega chargé des affaires sociales et culturelles confirme que les condamnés pour viols en milieu scolaire sont nombreux.

Quant à ceux qui ont déserté ou accusés puis reconduits dans leurs fonctions, le conseiller du gouverneur indique qu’il en est ainsi car ces cas restent méconnus de la justice. Cette dernière, une fois saisie, ne tolérait rien. Aussi, il fait mousser le travail en synergie de l’administration, des centres de Développement Familial et Communautaire (CDFC), des associations qui luttent pour les droits de l’enfant (FENADEB, SOJEPAE…), pour la répression de ce phénomène.

A part que les services du centre Humura sont gratuits, certaines associations œuvrant dans le domaine de la protection des droits des enfants apportent un soutien judiciaire en mettant à disposition des avocats. C’est le cas de la FENADEB.

Vaut mieux prévenir que guérir

Le quartier Mushasha de la ville de Gitega est le fief des établissements à système d’internat sous convention catholique. Au moins cinq lycées s’y avoisinent et le lycée Sainte Thérèse, un établissement exclusif pour filles en est un. Ce dernier est connu pour sa rigueur en ce qui est de la prévention les abus sexuels en milieu scolaire. Victoire Nyabenda, directrice du lycée Saint Thérèse livre sa recette magique : « Au lieu d’éviter un voleur, on éloigne ce qu’il pourrait voler ».

Elle explique que la familiarité entre éducateur et éduqué est banni par tous les moyens possibles. Un exemple qu’elle donne est celui des sorties sportives où un encadreur doit être accompagné par une encadreuse. « En dehors de la classe, une élève n’a rien à voir avec son enseignant. Et nous usons de tous les moyens possibles pour maintenir ce principe », argumente-t-elle. Elle ajoute : « Avant de leur apprendre les mathématiques, on leur inculque les bonnes manières et les bonnes valeurs »

Le programme des tantes et pères-écoles porte ses fruits

Dans la prévention des abus sexuels en milieu scolaire, le rôle des tantes et des pères écoles est primordial. Dans la culture burundaise, une tante prodigue des conseils à la fille qui va se marier. C’est dans cette logique que le programme des tantes et pères écoles a été initié par l’Ong FAWE BURUNDI, mais également pour prévenir toutes les violences sexuelles basées sur le genre.

Depuis que ces programmes ont commencé, les responsables des écoles témoignent un léger mieux dans la prévention de ces abus. C’est le cas du lycée Saint Bernadette. Françoise Girukwishaka, tante à cette école explique qu’à travers les dialogues avec les élèves, le programme est parvenu à maitriser le flux des VBSG à cet établissement.

Elle affirme aussi que la mise en place des boîtes à suggestions a joué un grand rôle dans la prévention. « Il y a ceux qui dénoncer ouvertement est difficile. Mais quand les boîtes à suggestions ont été installées, nous avons commencé à recevoir des dénonciations de la part des élèves. Ce qui a découragé ceux qui avaient des mauvaises intentions, étant donné que ce sont seulement les pères et les tantes-école qui possèdent les clés de ces boîtes ». Il faut signaler que ces tantes et pères écoles sont élus par les élèves eux-mêmes.

Les programmes sur la sexualité controversés

Comment expliquer à une jeune fille qui a appris dans les livres de l’école qu’avoir des relations sexuelles est son droit sauf avec son professeur ? Que ce soit la directrice de Sainte Bernadette ou celui de Sainte Thérèse, toutes les deux partagent que les programmes scolaires sur la santé sexuelle et reproductive sont dispensés dans les écoles contribuent à la prolifération de ces cas de viols. Elles affirment que ce qu’on leur apprend dans les manuels scolaires, elles veulent les pratiquer dans la vie courante. Pour elles, ces programmes ne sont pas adaptés à la réalité et à la culture burundaise. Il scied de signaler que, selon les résultats de l’enquête de santé de 2010 du Programme National de Santé de la Reproduction, au Burundi, 11% des adolescentes (15-19 ans) ont déjà commencé leur vie procréative. Sur ces 11%, 7% ont déjà eu au moins un enfant et 3% sont enceintes d’un premier enfant.

Un avis qui n’est pas partagé par le directeur communal de l’enseignement qui défend que ces programmes ne soient pas venus pour inciter les jeunes à faire ce qu’ils ne doivent pas faire, mais plutôt sont là pour lever le tabou et former des jeunes complets et responsables en rapport avec leur sexualité. « Quand les gens quittent une phase pour une autre, ce n’est pas avalable pour certains », ajoute-t-il.

Que ce soit les administrateurs, les éducateurs, les associations qui luttent pour les droits des enfants, ils sont unanimes que les parents d’aujourd’hui sont démissionnaires vis à vis de l’éducation de leurs enfants. Arrivés à l’école, les jeunes sont parfois difficiles à encadrer et à maîtriser. Toutefois, rien n’explique pourquoi les filles sont abusées par leurs éducateurs mais surtout pourquoi ces derniers resteraient impunis.

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A propos de l'auteur

Dona Fabiola Ruzagiriza.

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