Gouvernance

Exécution budgétaire : La Cour des comptes appelle au respect de la loi

L’exécution du budget pour l’exercice 2018-2019 a été émaillée de nombreuses irrégularités, constate la cour des comptes. Cette institution déplore une violation flagrante de la loi régissant les finances publiques. Certaines rubriques dépassent largement le seuil de 10% pour atteindre plus de 1 000 %. La société civile décrie l’opacité qui caractérise la gestion des fonds publics et redoute des conséquences fâcheuses pour les populations

La Cour des comptes dans son rapport-commentaire sur le projet de loi portant fixation budget général de l’Etat, exercice 2019-2020 présenté mardi le 14 mai 2019 estime que certaines dépenses ont été payées avant ordonnancement. Par contre, l’article 5 de la loi des finances stipule que les dépenses de l’Etat sont engagées, liquidées et ordonnancées avant d’être payées. Toutefois, la loi autorise que certaines dépenses spécifiques ou exceptionnelles soient payées avant leur ordonnancement. Dans ce cas, elles doivent être régularisées sur les crédits budgétaires correspondants au cours de l’exercice concerné, lit-on dans le rapport de la Cour des comptes.  

Dr Domitien Ndihokubwayo, ministre des Finances, du Budget et de la Coopération au Développement Economique : « La vie du pays ne pourrait pas s’arrêter parce qu’une loi a été lacunaire ».

De plus, la Cour s’inquiète de l’état des lieux de l’exécution des dépenses imprévues au 30 avril 2019 pour le budget 2018-2019. Les cas d’imprévus gonflent les dépenses publiques. Le rapport de la Cour des comptes en cite quelques-uns. Ce sont notamment l’organisation d’une retraite gouvernementale qui a coûté plus de 47 millions de FBu en août 2018, le paiement d’une facture de 117 921 412 de FBu à l’entreprise Médiabox ou encore une somme de 37 194 000 dépensée lors de l’atelier de formation et de moralisation des journalistes. 

La Cour émet des réserves sur le caractère imprévisible et accidentel de certaines dépenses financées par la ligne des imprévus. Elle recommande au ministère en charge des Finances de réserver, lors de l’exécution du budget 2019-2020, les crédits d’imprévus uniquement aux dépenses ayant un caractère réellement imprévisible et accidentel. 

Un budget taillé sur mesure ?

La loi des finances autorise le transfert des crédits entre articles budgétaires d’un même ministère. Cependant, les transferts ne doivent pas dépasser le plafond de 10 % de chacun des articles budgétaires concernés. L’analyse de la Cour des comptes a répertorié une série d’ordonnances dont les crédits dépassent de loin 10 %. Certains d’entre eux culminent à plus de 1 000 %. 

Pour le député André Ndayizamba cité par nos confrères du groupe de presse Iwacu, le parlement n’est plus maître de la loi budgétaire. Le gouvernement modifie à sa guise le budget. « Après l’adoption du budget par l’Assemblée nationale, l’Exécutif peut tout modifier », a déploré le député Ndayizamba. Le président de la Cour des comptes argue que la politique d’austérité fait partie des causes du dépassement budgétaire. Le ministre en charge du budget persiste et signe qu’il n’y a pas de violation de la loi des finances. « Je ne peux pas admettre que la loi des finances publiques a été violée. Elle est respectée dans la mesure du possible. Cependant, tout n’est pas rose. Est-ce que la vie du pays pourrait s’arrêter parce qu’une loi a été lacunaire ? La situation n’est pas du tout alarmante telle qu’on le croie », a déclaré, devant la chambre basse du parlement, Dr Domitien Ndihokubwayo, ministre des Finances, du Budget et de la Coopération au Développement Economique. 

La transparence budgétaire n’est pas de mise 

L’Observatoire de l’Action Gouvernementale (OAG) révèle dans son rapport que la transparence budgétaire est une pratique à réinitier. L’OAG revient également sur l’importance de la transparence. Elle permet au parlement et aux citoyens d’assurer le suivi de l’emploi des fonds publics. L’OAG regrette également que les rapports trimestriels ne sont plus publiés régulièrement sur Internet ni transmis au Parlement. De surcroît, la législation burundaise n’intègre pas le budget citoyen ou budget ouvert. Il s’agit d’une version plus simple et moins technique du projet de loi des finances ou du budget approuvé. C’est un document spécifiquement conçu pour diffuser des informations essentielles auprès du public.

Le ministre en charge des finances reconnait qu’aucun projet de règlement et compte-rendu budgétaire n’a été produit pour les exercices précédents. Il s’est excusé devant les élus du peuple. « Nous avons connu des problèmes techniques dans la compilation des données. Cette tâche nécessite des outils informatiques, des statisticiens chargés de collecter les données dans les meilleurs délais. Les statisticiens du ministère sont à l’œuvre pour réaliser cette tâche. D’ailleurs un projet de loi de règlement pour l’exercice 2015 a été transmis à la Cour des comptes pour analyse. Et les projets de règlement et compte-rendu budgétaire pour les exercices 2016, 2017 et 2018 seront produits progressivement », a indiqué le ministre Ndihokubwayo. Pour lui, mieux vaut tard plutôt que de présenter des rapports apocryphes qui ne reflètent pas la réalité. 

La société civile remontée contre l’exécutif 

Faustin Ndikumana, président de Parole et Action pour le Réveil des Consciences et le Changement des Mentalités (PARCEM) attribue cette situation à la culture de la non transparence budgétaire. Il déplore l’inaction du parlement dans son rôle de contrôle des finances publiques. Cela traduit également l’ignorance de la population par rapport à ses droits. « Normalement, les contribuables ont le droit de suivre de près la gestion des fonds publics », précise-t-il. 

Faustin Ndikumana, président de l’Ong PARCEM : « Quand le parlement est phagocyté et que les contribuables sont dans l’ignorance, le pouvoir exécutif continue à se la couler douce ».

Le parlement devrait s’appuyer sur l’expertise de la Cour des comptes. Mais les moyens d’action manquent cruellement à cette institution. Pire, elle est dénigrée.  On ne donne pas suffisamment de force à la Cour des comptes pour qu’elle puisse remplir pleinement son rôle. En conséquence, dit le parton de PARCEM, quand le parlement est phagocyté et que les contribuables sont dans l’ignorance, le pouvoir exécutif continue à se la couler douce. « C’est une liberté singulière et légendaire de l’exécutif dans la gestion budgétaire au Burundi », regrette le président de PARCEM. 

Le ministère en charge de la santé épinglé  

Lors du contrôle de l’exécution du budget du ministère de la Santé Publique et de la Lutte contre le Sida, exercice 2017, la Cour a relevé de nombreuses irrégularités dans la gestion budgétaire. Ce sont notamment, la non transparence dans la procédure de recrutement des 449 nouveaux employés, le crédit de rémunération des salariés a été exécuté avec un dépassement de 8,1%. De plus, le montant de 45 386 427 FBu prévu par la loi de finances 2017 pour faire face aux dépenses relatives aux frais de formation du personnel a été uniquement déboursé lors des missions. La Cour a constaté un écart de 250 158 158 FBu entre les paiements renseignés par la classification administrative des dépenses et ceux trouvés sur les pièces justificatives des dépenses. Pour couronner le tout, les transferts de crédits se sont effectués sans ordonnancement, apprend-on du rapport annuel de la Cour des comptes, exercice 2018. 

La population en pâtit 

Les conséquences de la mauvaise gestion des deniers publics sont désastreuses pour la population, principal contributeur (plus de 80 % du budget de l’Etat proviennent des ressources internes). La population s’appauvrit de plus en plus, car il y a un manque de priorisation et de planification efficaces. D’où le décalage entre ce qui est planifié dans les documents et ce qui est exécuté réellement, constate le président de PARCEM.  

En l’absence de transparence budgétaire, alerte Ndikumana, la passation des marchés publics est remise en cause. L’attribution des marchés publics reste opaque. Ce qui encourage l’enrichissement illicite, surtout que la culture de déclaration des biens n’est pas d’usage avant d’entrer en fonction. « Les gens ne sont pas inquiets de la mauvaise gestion des deniers publics », révèle Ndikumana. Pour redresser la situation, il faut une volonté politique. S’il n’y a pas de volonté au plus haut sommet de l’Etat, comment est-ce qu’on peut changer les choses ? s’interroge l’activiste Ndikumana.  En tout cas, conclut-il ce n’est ni la Cour des comptes ni des voix qui s’élèvent qui vont remettre de l’ordre dans la gestion des fonds publics. 

A propos de l'auteur

Benjamin Kuriyo.

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