Economie

Fuite des capitaux au Burundi : 6 milliards USD partis en fumée

Le Burundi a perdu environ 6 milliards de dollars américains entre les années 1970 et 2018. Ces chiffres proviennent du chercheur et professeur à l’Université du Massachusetts, Léonce Ndikumana. Cette fuite des capitaux, qui touche également d’autres pays africains, est due au manque de bonne gouvernance des dirigeants, à la mauvaise gestion des ressources naturelles, ainsi qu’à la pratique de sous-facturation et de surfacturation des exportations.

Pr Léonce Ndikumana :« J’implore le Gouvernement du Burundi à mettre en place  des stratégies  et transparentes  pour évaluer  la quantité de production des minerais , notammet dans les zones sujettes aux fuites».

Lors de la présentation de son livre La fuite des capitaux d’Afrique : les pilleurs et les facilitateurs, dont il est co-auteur, le Pr Léonce Ndikumana explique que le montant perdu par le Burundi entre 1970 et 2018 est divisé en deux catégories. La première concerne l’argent perdu dans les comptes officiels du pays, échappant au contrôle de l’État. Cette somme, qualifiée de « résidu » de la balance des paiements ou « missing money » par les économistes, s’élève à 2,4 milliards USD.

La deuxième catégorie concerne le montant perdu à travers des pratiques de sous-facturation et de surfacturation, où les transactions commerciales sont falsifiées pour faire sortir illégalement les capitaux. Le montant ainsi évaporé est estimé à 2,7 milliards USD.

Le Pr Ndikumana souligne que les pays africains riches en ressources naturelles sont les plus exposés aux fuites des capitaux. Il observe l’écart entre les données d’exportation nationales et celles internationales. Le Burundi n’est pas exempt de cet écart, comme le démontre le chercheur. Il révèle que, entre 2000 et 2019, le Burundi a déclaré avoir exporté pour 761 millions USD en or vers les Émirats Arabes Unis. Cependant, les données des Émirats indiquent que l’or importé au Burundi dépasse cette somme, atteignant 1,4 milliard USD. « Il y a de l’or burundais qui est tombé du ciel sur le sol des Émirats », plaisante le Pr Ndikumana devant les grandes personnalités de l’État burundais, y compris le président et les membres du gouvernement.

Des stratégies pour évaluer la production des minerais

« L’Afrique ne bénéficie pas de ses ressources naturelles, tandis que les entreprises d’extraction continuent d’accumuler de l’argent dans leurs pays », déclare le Pr Ndikumana. Il explique que cela est dû à une mauvaise gouvernance et à l’absence de nationalisme de la part des dirigeants qui signent des contrats désavantageux avec les entreprises extractives. Il rappelle aux dirigeants burundais que le meilleur moyen de profiter des ressources naturelles est de devenir actionnaire de l’entreprise extractive, comme l’a fait le Botswana.

Il appelle également le gouvernement burundais à mettre en place des stratégies claires et transparentes pour évaluer la quantité de production des minerais, notamment dans les zones sujettes aux fuites.

Un autre phénomène préoccupant est la gestion de la dette publique. « Plus de 60 % des dollars empruntés retournent aux pays prêteurs, mais les pays   doivent rembourser la totalité de la dette », informe l’expert en économie. Cette assertion semble être un coup dur pour le ministre des Infrastructures, Dieudonné Dukundane, qui vient de signer avec son collègue des Finances un accord de financement d’environ 500 millions USD. Lors d’une séance de questions et commentaires, le ministre a insisté sur la nécessité de mécanismes et de stratégies pour que le pays puisse réellement bénéficier des aides ou des emprunts étrangers. « Je suis très choqué d’entendre que, sur les 500 millions USD signés, le pays ne bénéficiera que de 200 millions USD », a-t-il déclaré, en mentionnant que les prêteurs imposent des conditions sur l’origine du matériel des projets, souvent plus coûteux.

En réponse, le Pr Ndikumana souligne l’importance d’analyser objectivement les clauses des contrats avant de les signer et d’agir en fonction de la réalité sur terrain.

La question de l’identification des responsables de fuites des capitaux a préoccupé les membres du gouvernement présents à la conférence-débat. Le ministre Dukundane a proposé, si nécessaire, de consulter les registres des importateurs et des exportateurs pour identifier les individus responsables de ces pratiques. Cependant, le Pr Ndikumana précise que les fuites de capitaux impliquent non seulement les importateurs et les exportateurs, mais aussi les politiciens, les membres du gouvernement et les individus bien connectés, comme cela a été le cas en Afrique du Sud, où les responsables étaient proches de la famille présidentielle.

Le système international bancaire parmi les facilitateurs

Le Pr Léonce Ndikumana définit la fuite des capitaux comme étant l’acquisition illégale des fonds via la corruption, le trafic de drogue ou la falsification des transactions commerciales. « Ces fonds sont ensuite transférés illégalement à l’étranger, sans être correctement enregistrés dans les comptes officiels. Finalement, ces capitaux sont détenus illégalement à l’étranger, dans des paradis fiscaux, sans être déclarés aux autorités compétentes », explique-t-il, ajoutant que le système bancaire international facilite ces transferts. « Les capitaux sont transférés à l’étranger via des transactions commerciales falsifiées ou des comptes bancaires opaques, sans que les autorités locales puissent les retracer », démontre l’expert lors de la conférence-débat.

Selon lui, la fuite des capitaux a des conséquences catastrophiques pour l’économie des pays. Elle entraîne un manque de ressources nécessaires pour financer les projets de développement, en particulier les infrastructures. Elle est aussi à l’origine des inégalités économiques, privant les citoyens moyens de services publics essentiels. De plus, elle aggrave le déficit budgétaire, réduit les investissements et accroît la dépendance du pays envers l’extérieur.

Lutte contre la fuite des capitaux

Pour lutter contre la fuite des capitaux, l’expert suggère plusieurs mesures : lutter contre la sous-facturation et la surfacturation des exportations, instaurer un partenariat mondial, car la fuite des capitaux est un phénomène mondial, et digitaliser les services pour surveiller et enregistrer toutes les transactions commerciales. Cela permettra de lutter contre la corruption des entreprises et facilitera le partage automatique et systématique des informations fiscales et bancaires entre les pays. Le recours à l’intelligence financière et l’investissement des pays africains dans les industries extractives peuvent également atténuer ce fléau.

Dans son discours, le président de la République du Burundi, Evariste Ndayishimiye, a déclaré que le pays a perdu 17 millions USD dans l’exportation du café entre 2016 et 2019. Il a indiqué que ces fonds auraient pu être investis dans divers secteurs de croissance du pays, notamment la santé et le transport pour l’achat de carburant. Il rassure également ceux qui ont des inquiétudes concernant l’exploitation des ressources minières burundaises, en affirmant que dorénavant, l’exportation de ces pierres précieuses consistera en l’exportation de produits finis, ce qui limitera la fuite des capitaux du Burundi.

 

A propos de l'auteur

Méchaël Tuyubahe.

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