TIC

L’accès au numérique en question

Insuffisance de courant électrique, connectivité instable, faiblesse du marché des ressources humaines, domination de Lumitel, taxes élevées, pénurie d’infrastructures et de formateurs à l’université, coût élevé du transport de l’Internet ; tels sont les défis évoqués dans le secteur des télécommunications. Ces constats ont été présentés lors de la publication d’une étude menée par la Société Financière Internationale (IFC) sur le secteur des télécommunications et du numérique au Burundi, mardi le 29 avril 2025, à Bujumbura

L’installation des antennes 5G ne résoudra pas le problème de connexion tant que les problèmes liés à l’approvisionnement en énergie persisteront.

 

Selon Innocent Nizigiyimana, conseiller au Bureau d’Etudes Stratégiques et de Développement (BESD), la vision du Burundi comme pays émergent en 2040 et pays développé en 2060 est devenue, aujourd’hui, une sorte de « Bible ». Pour lui, sans digitalisation et sans un accès à l’Internet pour tous, cette vision ne pourra pas être atteinte.

« Tous les investisseurs qui viennent dans le pays doivent se référer à cette vision. Pour y parvenir, il est crucial de faciliter l’accès à Internet pour tous, à un prix très bas », explique-t-il. Il annonce par ailleurs qu’une commission sera mise en place afin d’analyser les causes profondes du prix élevé de l’Internet.

Il précise également que tous les opérateurs économiques souhaitant s’approvisionner en Internet devront le faire soit par satellite, soit par fibre optique. « Nous ne voulons pas que les gens s’approvisionnent en Internet local qui est très coûteux, car il faut vendre cher pour réaliser des bénéfices. C’est pourquoi nous voulons bannir cette situation et réexaminer les textes réglementaires pour identifier ceux qui freinent le développement du secteur », précise M. Nizigiyimana.

Salvator Nshimirimana, directeur des infrastructures TIC au ministère en charge de la communication, reconnait que le prix de l’Internet est élevé. Cependant, une nouvelle législation en cours pourrait faciliter les investissements dans le secteur et la redynamisation de l’Onatel.

Et d’ajouter : « Le ministère est en train de nouer des partenariats avec d’autres sociétés afin de rendre l’Internet moins cher. Par ailleurs, l’Internet via satellite (Starlink) est désormais disponible. Ce réseau est rapide et offre un grand débit ».

Malheureusement, précise M. Nshimirimana, le prestataire de services n’a pas honoré ses engagements, et on espère disposer de ce cadre normatif d’ici l’année budgétaire 2025-2026. La collaboration avec le secteur privé et les organisations internationales représente également un enjeu majeur pour le développement du secteur des TIC.

L’énergie, le pire des défis

Lyse Ndikumana, chargée de la planification et de la qualité chez Econet souligne que les opérateurs mobiles font face à un problème de manque de devises. Ce qui rend difficile l’approvisionnement en équipements.

« Qui dit antennes dit énergie. Si nous n’avons pas d’énergie, nos antennes ne sont pas alimentées. Nous nous retrouvons alors dépourvus d’accès au réseau, surtout en zone rurale dans les endroits où il n’y a pas d’électricité. La pénurie de carburant et son coût élevé ne permettent pas non plus d’alimenter les antennes ; d’où l’instabilité du réseau. Même lorsque nous installons les antennes 5G, le problème d’énergie persistera. Nous sommes en train de chercher des partenaires pour des solutions d’énergie renouvelable sur les sites, et d’autres opérateurs qui possèdent des antennes dans les zones rurales, afin que même la population des zones rurales ait accès à la 5G », indique-t-elle.

Cependant, martèle Mme Ndikumana, « la 5G nécessite des terminaux spécifiques et la majorité de la population ne peut pas se procurer ces équipements ». Elle estime que la détaxation des terminaux pourrait permettre aux populations éloignées d’avoir accès à la 5G.

Pour intégrer des principes durables dans ses opérations, Mme Ndikumana précise qu’Econet a approché l’entreprise chinoise Huawei qui a installé des antennes alimentées par énergie solaire dans le but de réaliser des économies de coûts tout en garantissant la durabilité.

Un des participants affirme que la détaxation des terminaux pourrait améliorer les recettes de l’Etat. Il fait référence à l’année 2009-2010 lorsque le gouvernement a détaxé les terminaux mobiles. Cela a permis au taux de pénétration de passer de 10 % à 50 %. Le nombre d’utilisateurs a ainsi été multiplié par cinq, entraînant une augmentation des appels et, par conséquent, des recettes générées par ces appels.

Innocent Nizigiyimana rassure que la production énergétique est suffisante et que seules les lignes de transport sont obsolètes.

11 milliards USD pour opérer dans le monde rural

Moctar Kandjo, spécialiste du développement numérique à la Banque Mondiale (BM) finance le secteur privé pour étendre la connectivité dans le monde rural par le déploiement de ces infrastructures.

« Dans les prochains jours, 11 milliards USD seront mis à la disposition des opérateurs dans le secteur pour aller dans les zones les plus reculées du pays », déclare-t-il. M.Moctar Kandjo informe également que la BM concentre son financement sur le secteur public pour offrir l’Internet aux institutions en besoin, un modèle qui n’est pas encore utilisé au Burundi.

Et de renchérir : « La BM offre aussi un financement basé sur les résultats. Les acteurs du secteur privé vont définir un besoin dans une zone sur la base des réalisations qu’ils vont faire et comme cela, ils vont bénéficier des financements. C’est valable pour les terminaux et l’Internet. Au Burundi, des activités sur les terminaux sont envisagées ».

M.Moctar Kandjo avise que le monde numérique est évolutif et a besoin de beaucoup d’investissements. Le gouvernement n’est pas bien placé pour le faire, car il aura chaque fois besoin de l’argent. C’est pourquoi il faut se baser sur le secteur privé et l’inciter à le faire.

Et de marteler : « Les résultats attendus c’est l’accès universel à l’Internet et en augmenter l’usage, soit que 95% des populations aient accès à l’Internet et qu’ils puissent en augmenter l’usage. La solution à cela c’est l’innovation ».

Lorsqu’un opérateur mobile devient dominant, les autorités doivent intervenir pour réguler cette position sur le marché.

 

La domination de Lumitel, une préoccupation

Concernant le cas de Lumitel qui domine le marché des opérateurs mobiles et risque d’en avoir le monopole et les réponses sur les appels téléphoniques que les numéros appelés n’existent pas, Samuel Muhizi, directeur général de l’Agence de Régulation et de Contrôle des Télécommunications (ARCT) affirme que les performances des opérateurs mobiles reposent sur plusieurs facteurs : le management, la planification stratégique, les investissements ciblés ainsi que l’équilibre entre coût et qualité.

« Lumitel est arrivé il y a dix ans, mais il a su anticiper les évolutions du secteur. De son côté, l’ARCT applique un traitement strictement équitable à tous les opérateurs mobiles tant sur le respect de la réglementation que sur celui des obligations », martèle-t-il.

M.Moctar Kandjo notifie que dans certains cas où le message indique que le numéro de téléphone appelé n’existe pas, le problème n’est pas lié aux équipements, mais plutôt à la capacité du réseau à gérer les appels.

Concernant la dominance de Lumitel, il explique que lorsqu’un opérateur mobile devient dominant, les autorités doivent intervenir pour réguler cette position sur le marché. « Un opérateur dominant n’a pas le droit de vendre à un prix inférieur à celui des autres. Au contraire, il doit pratiquer des tarifs plus élevés afin d’encourager les abonnés à se tourner vers les autres opérateurs », affirme-t-il.

Don son côté, M. Nizigiyimana, précise que la domination de Lumitel ne s’explique pas par un soutien du gouvernement. Il rappelle que tous les opérateurs mobiles signent des contrats les engageant à couvrir l’ensemble du territoire national. Il déplore toutefois que certains opérateurs gèrent mal leurs finances et ne respectent pas leurs obligations fiscales. Ce qui entraîne des sanctions à leur encontre.

Selon toujours lui, Lumitel est l’opérateur le plus cher du marché, et ses transactions via Lumicash sont particulièrement onéreuses.

Une spécialisation numérique marginale

Kenza Terrab, directrice du projet Roland Berger à Paris (France), réaffirme que sur le plan des compétences numériques, il existe un potentiel important, notamment grâce à une population jeune et scolarisée, propice à la transformation numérique. Toutefois, plusieurs facteurs doivent encore être améliorés.

Selon elle, de nombreuses universités sont confrontées à une pénurie de matériel, d’infrastructures et de formateurs.
« Seuls 16 % des étudiants sont formés aux métiers du numérique. Mais il est essentiel de leur offrir des emplois bien rémunérés afin d’éviter qu’ils ne soient attirés par les opportunités disponibles ailleurs », souligne-t-elle tout en s’inquiétant du fait que seulement 35 étudiants soient formés à la cybersécurité.

Elle avise également que 89 % des étudiants n’ont pas accès à un ordinateur ou à Internet. Ce qui rend leur formation particulièrement difficile dans ces conditions.

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A propos de l'auteur

Mélance Maniragaba.

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