La Banque de la République du Burundi (BRB) vient de retirer l’agrément à tous les bureaux de change œuvrant au Burundi. Une mesure qui sera d’application dès le 15 février 2020. Le Gouverneur de la BRB décrit une situation devenue intenable. D’où l’urgence de prendre des mesures restrictives
Dans une correspondance du 7 février 2020, le Gouverneur de la BRB explique que cette mesure est inhérente au non-respect de la réglementation en vigueur par les bureaux de changes. Dorénavant, seuls les bureaux de change ouverts par les banques commerciales sont autorisés à assurer le change manuel de devises étrangères contre la monnaie burundaise, apprend-on de la correspondance.
Les propriétaires des bureaux de change sont sommés d’enlever immédiatement les pancartes dont les écriteaux portent le nom du bureau de change. Cette mesure prend effet à partir du 15 février 2020. La mission de changer manuellement les devises étrangères contre les BIF a été confiée exclusivement aux banques commerciales, car ces dernières ont une éthique et sont régulées par la Banque centrale. « Nous pensons qu’avec le retrait de l’agrément aux bureaux de change, la population pourra se rabattre sur les banques commerciales qui pourront subvenir à leurs besoins », a-t-il déclaré.
« Ajouter le drame au drame »
Dans un contexte de pénurie chronique des devises, la fermeture des bureaux de change risque d’aggraver la situation, selon les analystes. Cependant, le Gouverneur de la BRB se veut rassurant. Il explique que cette décision est dans la droite ligne des missions assignées à la BRB, à savoir : veiller à la stabilité des prix mais aussi à la sauvegarde de la valeur de la monnaie nationale. Jean Ciza, gouverneur de la BRB, argumente que la mesure résulte des réunions de consultation et de concertation avec les propriétaires des bureaux de change. «Des réunions ont eu lieu dans un contexte de flambée fulgurante du taux de change du billet vert par rapport au FBu. La dépréciation de la monnaie locale était devenue presqu’insupportable», fait-il savoir.

Jean Ciza, Gouverneur de la BRB : «Des réunions ont eu lieu dans un contexte de flambée fulgurante du taux de change du billet vert par rapport au FBu. La dépréciation de la monnaie locale était devenue presqu’insupportable»
Les conclusions de ces réunions sont entre autres : la fixation d’une marge bénéficiaire, la vulgarisation du logiciel de gestion des bureaux de change « BUREX ». Paradoxalement, déplore-t-il, les changeurs n’ont jamais suivi les recommandations dans leurs opérations d’achat et de vente des devises. Le non-respect du taux qu’on avait convenu perturbait le marché. Et la Banque centrale, en tant que garant de la stabilité des prix et de la valeur de la monnaie nationale, ne pouvait plus supporter cette situation. Pour cette raison, la Banque centrale a pris la mesure de retirer l’agrément aux bureaux de change, car ils ne voulaient pas se conformer à la règlementation, insiste-t-il.
Les banques commerciales en manque de devises
Certains opérateurs économiques évoquent l’insuffisance des devises dans les banques commerciales. A ce sujet, le gouverneur de la Banque centrale explique qu’il y a une bonne partie des devises qui passaient par les bureaux de change et dans le « souterrain » sans passer par les banques commerciales. « L’analyse des rapports des importations montrent que les hommes d’affaires qui s’approvisionnent sur le marché parallèle ont un volume d’importation presque équivalent à ceux qui sont passés par le marché officiel. C’est-à-dire qu’il y a des devises qui circulaient dans le noir », estime Jean Ciza.
Le patron de la BRB espère néanmoins que la mesure permettra d’inciter les opérateurs économiques à passer par les voies officielles, en l’occurrence les banques commerciales. Ainsi, il annonce des contrôles rigoureux partout. L’importateur aura à justifier la provenance des devises. La Banque centrale va appuyer les banques commerciales comme elle le fait habituellement pour financer l’importation des produits stratégiques (carburant, médicaments, etc.). Cela dans le but d’assurer la couverture des besoins réels ressentis par la population, mais pas pour alimenter la spéculation, nuance le gouverneur de la BRB.
Un contrôle de plus en plus rigoureux du marché
Tout commence par le communiqué sorti par le Conseil National de Sécurité (CNS) en août 2019 sur la spéculation observée au niveau des Bureaux de change des devises. Les membres du conseil s’inscrivaient en faux contre cette fraude qui mettait en lumière la dépréciation de la monnaie nationale et qui constituait de ce fait une entrave au développement économique et social du pays. Ainsi il a été recommandé particulièrement aux ministères en charge des finances, du commerce, de la sécurité publique, de la justice et à la BRB d’identifier le réseau de ces gens pour leur infliger des sanctions conformément à la loi.
En conséquence, la BRB a édicté une nouvelle réglementation des changes en date du 17 septembre 2019. Celle-ci obligeait les changeurs de fixer les taux de change journaliers dont la marge bénéficiaire ne dépasse pas 15%, de délivrer des bordereaux après chaque opération, d’acquérir un logiciel de gestion des bureaux de change. Malgré ces décisions, des manquements ont été relevés en rapport à la mise en œuvre de cette réglementation. Ce sont notamment, la fixation des taux qui ne se réfèrent pas aux taux officiels, une mauvaise exploitation du logiciel (BUREX) qui gère les opérations de change et le marché libre (appelé également marché parallèle ou marché noir car il est caché donc dans l’ombre, dans le noir) des devises qui persiste.
Les réserves de devises en chute libre
La chute des produits d’exportation (café, thé et les minerais principalement) ainsi que le manque des devises engendré par le gel des financements de la part des bailleurs de fonds semblent être le nœud du problème. Les réserves de change étaient très faibles et ont restreint considérablement les importations en juillet dernier. Par conséquent, un dollar américain se vendait à 3 150 FBu alors qu’il s’échangeait contre 2 800 FBu en avril 2019. A la même période, un Euro qui s’échangeait contre 3 160 FBu se négocie actuellement à 3 550 FBu. Une situation qui s’explique en partie par l’épuisement imminent des réserves de devises à la Banque centrale.
D’après le rapport de la BRB sur la politique monétaire du 1er trimestre 2019, les réserves officielles se sont repliées de 20,1% par rapport au trimestre précédent s’établissant à 56,13 millions contre 70,25 millions USD (jusqu’au 31 décembre 2018). En glissement annuel, elles ont baissé de 22,2% et couvraient 0,7 contre 1,0 mois d’importations de biens et services au même trimestre de 2018. Cependant, le niveau plancher est fixé à 4,5 mois dans les critères de convergence de la Communauté Est Africaine (CEA). C’est-à-dire que le pays doit avoir des réserves de devises pour importer les biens et les services pendant au moins 4 mois. Ce qui n’est malheureusement pas le cas pour le Burundi. En 2013, la BRB a réussi à maintenir le niveau des réserves à 3,8 mois d’importations.
Aujourd’hui, suite aux nouvelles mesures prises, nombreux analyses et observateurs se posent des questions : y aura-t-il suffisamment de devises dans les banques commerciales pour répondre à la demande, le marché libre va-t-il disparaître et surtout les devises qui s’y échangeaient, vont-elles se réorienter vers le marché officiel ? Wait and see !
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