Tourisme

Tourisme au Burundi : Terrain semi vierge à exploiter davantage

Le ministère du Commerce, du Transport, de l’Industrie et du Tourisme a organisé les états généraux du tourisme au Burundi, édition 2024. Ils ont eu lieu à Bujumbura du 27 au 28 février 2024 sous le thème : « Le Tourisme, levier de la croissance économique au service d’un Burundi émergent en 2040 et pays développé en 2060 ». Les intervenants ont décortiqué les opportunités et les défis auxquels fait face le secteur du tourisme et ont proposé des solutions.

Les états généraux du tourisme au Burundi ont été une occasion pour réfléchir sur les défis auxquels fait face le secteur touristique.

 

Le Burundi compte aujourd’hui 249 sites touristiques recensés, mais seulement 123 sites sont reconnus comme tel. Autrement dit, un touriste peut faire le tour du pays plus de deux mois sans parvenir à visiter tous les sites touristiques existants. De surcroît, le Burundi regorge de beaucoup d’opportunités dans le secteur du tourisme. Les attractions ou les potentialités touristiques sont à gogo. Olivier Suguru, président de la Chambre Fédérale de Commerce et d’Industrie du Burundi (CFCIB) a rappelé quelques-unes.

Les hippopotames et les crocodiles peuplent le lac Tanganyika de Gatumba (Bujumbura) jusqu’à Kabonga (Makamba). Sur ce lac, les navires de croisière avec restaurants à bord, les sports nautiques, les skis nautiques, la nage, … sont autant de potentialités qui restent inexploitées jusqu’aujourd’hui. Les tambours sacrés du Burundi ont été classés parmi les patrimoines mondiaux de l’UNESCO en 2014. « Personnellement, je m’attendais à ce que les tambours du Burundi soient classés parmi les merveilles du monde au même titre que les pyramides d’Egypte, les chutes de Victoria… », estime M. Suguru.

Les paysages et les forêts burundais émerveillent plus d’un

La forêt de la Kibira est un véritable sanctuaire de singes, de chimpanzés, de types d’arbres endémiques, etc. Malheureusement, très peu de Burundais connaissent les richesses de cette grande forêt du pays. Le parc national de la Ruvubu qui s’étend sur quatre provinces, à savoir : Cankuzo, Karusi, Muyinga et Ruyigi compte plus de 1500 buffles, des antilopes, des babouins et d’autres animaux sauvages. Le parc national de la Rusizi est connu pour ses nombreux crocodiles, hippopotames, oiseaux migrateurs, etc.

La forêt de Vyanda et la forêt de Kigwena abritent des primates. Les chutes de Karera sont une véritable merveille à contempler. La source la plus méridionale du Nil en commune de Rutovu (Bururi) est très intéressante à admirer. Les danses culturelles notamment la danse acrobatique agasimbo de Makamba, l’umuyebe et de nombreuses danses spécifiques régionales sont des patrimoines culturels à vanter.

Le Burundi est doté de paysages diversifiés comme les plaines en passant par les plateaux jusqu’à des hauteurs atteignant plus de 2000 mètres. Le Burundi est un pays vert toute l’année avec des températures très douces qui oscillent autour de 20°c.

Différents intervenants ont proposé que le Burundi supprime les visas d’entrée pour booster le flux des touristes.

La cuisine burundaise est exceptionnelle avec des aliments bio. Les fruits et les légumes du Burundi sont adorés par beaucoup de monde : les Chinois, les Américains, les Indiens, les Français, les Russes, les Sénégalais, etc. « Tout le monde s’émerveille devant la saveur et la qualité des plats burundais. La nourriture burundaise est d’un délice incomparable », estime M. Suguru. Il ajoute que le Burundi est un havre de paix que les Occidentaux ont baptisés la Suisse d’Afrique ou le pays des 1000 collines. Ce pays devrait être une destination touristique très prisée si et seulement si un marketing touristique approprié était mené.

Qu’est-ce qui ne va pas dans le secteur touristique ?

D’abord, il y a quelque chose qui cloche au niveau du cadre légal et réglementaire. L’arsenal juridique burundais n’est pas très favorable au tourisme. Le secteur touristique fait face au chevauchement observé dans différents ministères. Il est urgent de mettre en place un dispositif au complet pour stimuler ce secteur, selon M. Suguru.

Le partenariat public-privé est un complément légal et réglementaire qui mérite l’attention de toutes les parties prenantes. Il faut penser à confier l’aménagement, la construction et la gestion des sites touristiques au secteur privé. L’Etat devrait se limiter à la création d’un environnement juridique favorable et céder la gestion des sites touristiques aux privés via notamment le bail emphytéotique qui est prévu par le code foncier.

Par contre, l’aménagement des infrastructures stratégiques incombe aux pouvoirs publics : voies d’accès aux sites touristiques (les routes), le tirage des lignes électriques, la fourniture d’eau potable, l’internet, etc. « Il faut développer les infrastructures comme maillon essentiel de la chaîne de valeur dans le tourisme », indique Herman Ndayisaba, président de la Chambre sectorielle de l’hôtellerie et du tourisme

Le Président de la République Evariste Ndayishimiye interpelle les privés à prendre le devant pour développer le tourisme et recommande aux organes étatiques sectoriels de faciliter les investisseurs étrangers qui œuvrent dans ce domaine.

Les agents de l’administration territoriale et les membres de la police nationale ne sont pas formés sur le tourisme alors qu’ils constituent un maillon important dans la promotion de ce secteur. La population locale n’est pas impliquée dans la préservation des sites touristiques. « Il faut éduquer la population aux bienfaits du tourisme et la former sur l’impact du tourisme sur l’amélioration de leurs conditions de vie », précise M. Ndayisaba. Il ajoute que l’enthousiasme de la population encourage les touristes à venir encore et encore.

Or, dans certains pays de la région comme le Kenya, on parle du tourisme pour la communauté et de la communauté pour le tourisme. Une partie des recettes touristiques va directement à la communauté locale et, par conséquent, la communauté locale protège la faune, la flore…, car elle profite directement du tourisme.

Les agents du tourisme et de l’hôtellerie non formés

L’école de l’hôtellerie et du tourisme n’existe pas. Par conséquent, les établissements hôteliers et touristiques manquent cruellement de cadres et d’agents formés. Les serveurs, les réceptionnistes, les femmes de chambre ou les valets de chambre, les cuisiniers, les maîtres d’hôtel, les guides touristiques, etc…sont formés sur le tas. Ce qui influe négativement sur leur professionnalisme.

« Dans un bar, un restaurant… à Bujumbura, il faut siffler trois fois pour avoir un serveur et quand c’est le moment de payer la facture, mêmement », se désole M. Suguru. Jules Henri, consultant chez Visit Burundi, abonde dans le même sens. Il indique que dans les restaurants, la plupart des agents qui y travaillent ne sont pas bilingues ou trilingues. En plus de cela, certains d’entre eux ne savent pas comment servir correctement les clients. Jacques Bigirimana, directeur général du tourisme, tranquillise que les choses ont changé. Chez les Burundais, l’hospitalité est au rendez-vous, mais aussi les travailleurs au niveau des restaurants et des bars sont désormais en mesure de parler plusieurs langues.

Malgré tout, vers 2015, l’Institut Supérieur du Commerce (ISCO) était sur le point de mettre en place une section Hôtellerie et Tourisme, mais le projet n’a pas vu le jour suite à la crise socio-politique qui a secoué le Burundi pendant cette période. Le fonds commun d’éducation de l’Enabel devait financer ce projet dans une philosophie de partenariat public-privé. Les hôtels, les restaurants, les tours opérateurs et les agents de voyage avaient accepté de dispenser quelques cours pratiques et d’accorder des stages aux étudiants pour leur permettre de mettre la main dans la pâte. « Il serait judicieux de ressusciter ce projet conservé dans les tiroirs du décanat de l’ISCO », souhaite M. Suguru.

Willy Nyamitwe, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Burundi en Ethiopie, indique que les missions diplomatiques doivent jouer un rôle important dans la promotion du tourisme.

Il n’y a pas de politique claire de marketing touristique au Burundi. Ce travail n’est pas facile, mais les missions diplomatiques et consulaires devraient prendre les devants. « Nous, membres des missions diplomatiques, nous devons rester en permanente communication avec la capitale [Gitega], suivre les instructions de la capitale, comprendre et connaître parfaitement la politique du gouvernement dans le secteur du tourisme. Mais dans la pratique, il y a des contraintes d’ordre budgétaire et administratif », indique Willy Nyamitwe, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Burundi en Ethiopie. Mais il donne quelques astuces. Au niveau des missions diplomatiques, il y a des outils qui sont facilement accessible. Par exemple, la mise en place et l’alimentation d’un site web qui contient toute la documentation nécessaire sans oublier les réseaux sociaux. Cela est plus facile et ne demande pas un grand budget. En plus de cela, selon M. Suguru, la direction générale du tourisme et la CFCIB devraient s’asseoir ensemble pour élaborer une stratégie marketing touristique du Burundi.

Le tourisme domestique est pauvre et le pays n’est pas assez ouvert

En janvier 2022, le Président de la République accompagné par sa famille a entrepris un périple touristique à travers le Burundi et il a montré ses talents d’un Mutimbo lors de son passage à Gishora (Gitega). Ses images ont fait le tour du monde et ont contribué à la promotion du tourisme burundais. C’était le plus bel exemple de la promotion du tourisme domestique. Malheureusement, la chaîne de commandement ne lui a pas emboîté le pas. Pourtant, les membres du gouvernement, les gouverneurs des provinces, les directeurs généraux, les administratifs communaux, les hommes d’affaires… doivent s’organiser pour voir de leurs propres yeux les merveilles du Burundi.

En plus, le Burundi n’est pas assez ouvert. Mais d’autres pays le sont. Le Kenya, le Ghana, le Rwanda, les Seychelles ont déjà supprimé les visas d’entrée pour tous les ressortissants africains. L’Angola a supprimé aussi les visas pour 98 pays du monde, notamment les pays voisins et les pays de provenance des touristes. Le Malawi vient de supprimer les visas d’entrée pour 79 pays dans le monde. Depuis plus de 15 ans, le Madagascar accorde des visas d’entrée gratuits pour une durée de 30 jours maximum à tout ressortissant africain. A ce sujet, différents intervenants ont proposé que le Burundi supprime lui aussi les visas d’entrée. Par exemple, Révérien Ndikuriyo, secrétaire général du parti au pouvoir CNDD-FDD, estime que la suppression des visas pour les personnes qui entrent au Burundi est nécessaire pour booster le flux des touristes. L’argent que le Burundi gagne en octroyant les visas d’entrée, il pourrait le récupérer indirectement dans les impôts. Comment ? Les structures qui accueillent les étrangers comme les hôtels et autres augmenteront leurs revenus et, par conséquent, même les impôts à payer à l’Etat augmenteront.

En plus de cela, dans le contexte de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), le Burundi doit mettre en place une politique conséquente d’ouverture. « Nous devons profiter de la situation géographique du Burundi qui est le véritable cœur de l’Afrique », estime M. Suguru.

Des hôtels non classés et la cuisine burundaise méconnue

Il y a aussi un problème au niveau du classement des établissements hôteliers. La première et la dernière classification des hôtels sur les critères de l’East African Community (EAC) a eu lieu en 2018, mais elle n’a pas été exhaustive. Donc la classification des hôtels n’est pas à jour. Or, avant de quitter leurs pays d’origine, les touristes ont besoin de connaître le niveau des services qui les attendent dans les pays hôtes.

Olivier Suguru, président de la Chambre Fédérale de Commerce et d’Industrie du Burundi (CFCIB) estime que le développement du tourisme devait aller de pair avec la promotion de la cuisine traditionnelle burundaise.

Le tourisme gastronomique est peu développé au Burundi. « Les restaurateurs devraient inscrire sur les cartes de menus les iswa, ikizinu, ‘’ikijumbu cokeje’’, igitoke gitekanye n’amashishwa, ubugari bw’uburo, intete, ibisunzu, umukubi, isogo, etc. », propose M. Suguru. Malheureusement, les aliments ci-hauts cités sont considérés comme réservés aux Burundais pauvres. En plus, au lieu d’utiliser des casseroles modernes, pourquoi ne pas servir le repas dans des casseroles traditionnelles (imibehe) en utilisant aussi les cuillères louches en bois (indosho) comme à l’époque ? Cela pour valoriser la culture burundaise.

Eviter que les touristes soient déçus dès les premières impressions

« Si nous voulons développer le tourisme, pensons d’abord à la porte d’entrée, l’aéroport. C’est n’est pas difficile. C’est juste un accueil chaleureux mais, malheureusement, il y a des agents qui ne sont pas formés sur le tourisme », précise ambassadeur Nyamitwe. Il ajoute que d’ici quelques mois ou quelques années, le Burundi s’apprête à présider l’Union Africaine, le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) ou la Communauté économique des Etats de l’Afrique (CEEAC). Cette visibilité à l’échelle internationale devrait être accompagnée par d’autres actions. Un étranger qui atterrira au Burundi parce qu’il est obligé de participer à une réunion pourra y retourner parce qu’il aura apprécié quelque chose.

« L’accueil, c’est est un point qui choque ! », se désole M. Jules Henri. Comme le Burundi dispose d’un aéroport international, Pour M. Henri, il faudrait qu’il propose un accueil intéressant, qu’il ait des hôtesses, des possibilités de se rafraîchir, un site web pour faciliter le renseignement des touristes : comment trouver un taxi, un hôtel, un restaurant, etc. Pour lui, il y a moyen de le faire de façon simple en impliquant par exemple les jeunes lauréats d’universités qui parlent différentes langues.

Dans les provinces, quand les touristes font un trek, il y a aussi un problème d’accueil dans les villages. La population est froide ou elle a peur. En plus de cela, selon M. Henri, certains habitants se transforment en mendiants. Bref, l’accueil est un élément qui devrait être pris en compte pour motiver les touristes.

 L’aéroport international Melchior Ndadaye pointé du doigt

Au niveau de l’aéroport international Melchior Ndadaye, les compagnies aériennes s’inquiètent par le fait que les comptoirs d’enregistrement ne sont pas suffisants quand les voyageurs sont nombreux. Même l’aérogare est étroite et la piste n’est pas très bonne ainsi que la toiture.

Marie Chantal Nijimbere, ministre en charge du tourisme, rassure que le gouvernement du Burundi est sur le point de réhabiliter la piste de l’aéroport international Melchior Ndadaye.

Pour toutes ces inquiétudes, Marie Chantal Nijimbere, ministre du Commerce, du Transport, de l’Industrie et du Tourisme, rassure que le gouvernement s’est engagé à rationaliser l’infrastructure existante de l’aérogare dont l’agrandissement des comptoirs d’enregistrement. Pour la piste, les études ont été déjà faites et il ne reste que la réhabilitation qui est prévue au cours du deuxième semestre de 2024.

Le tourisme est rentable dans les pays qui l’ont priorisé

L’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) estime que 1286 millions de touristes internationaux ont été enregistrés dans le monde en 2023. Ce flux a généré 1600 milliards USD. En Afrique, les statistiques de 2023 sont plutôt bonnes. L’Egypte a accueilli 14,9 millions de touristes qui ont généré des recettes estimées à 15 milliards USD. Ce pays a l’ambition d’atteindre 30 millions de touristes en 2030. Le deuxième pays c’est le Maroc avec 14,5 millions de touristes. Le troisième pays c’est la Tunisie avec 9,4 millions de touristes.

Dans la sous-région, le tourisme est aussi plus ou moins florissant et rapporte beaucoup de devises. Le Kenya a accueilli 1,6 millions de touristes en 2022 qui ont généré des recettes estimées à deux milliards USD. En 2019, la Tanzanie a engrangé plus de deux milliards USD de recettes issues du tourisme. Le Rwanda a encaissé 380 millions USD comme recettes du tourisme en 2022.

Pour développer le tourisme, le Burundi a intérêt à imiter les bons exemples, en fixant des objectifs à atteindre dans cinq ans,10 ans, etc. Le Président de la République Evariste Ndayishimiye a rappelé que le tourisme est l’un des piliers du développement économique du pays. Il a interpellé le secteur privé à prendre le devant et a recommandé aux organes étatiques sectoriels de faciliter les investisseurs étrangers qui œuvrent dans le domaine touristique. De surcroît, la valorisation et la protection des sites touristiques, de la flore et de la faune du pays, des valeurs culturelles et historiques, n’est possible que si chacun développe le patriotisme et la conscience sur le devoir citoyen d’entretenir chez soi.

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A propos de l'auteur

Gilbert Nkurunziza.

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