Société

Cankuzo : les enfants retirés de la rue vivent le calvaire

Vous l’avez peut-être entendu, l’Etat burundais a décidé de retirer de la rue les enfants en situation de rue. Une des alternatives envisageables est celle de les installer dans un centre d’accueil préparé en commune Mishiha de la province Cankuzo pour leur apprendre notamment les métiers. Certains enfants voire les adultes ont été transférés dans ce centre, il y a de cela deux mois. Malheureusement, les enfants vivent dans des conditions précaires et ils ont besoin d’une assistance d’urgence. Par exemple, ils ne mangent pas assez. Ils n’ont pas d’habits, leurs maisons d’habitation en « sheetings » sont inadéquates, etc. Reportage.

Dans la cour du centre d’accueil des enfants en situation de rue de Mishiha, les garçons et les filles jouent comme à l’accoutumée.

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, retenons d’abord que le centre qui accueille les enfants en situation de rue se trouve sur la colline Munzenze de la commune Mishiha en province de Cankuzo. Ce centre se trouve à 255 km de Bujumbura.  C’est mardi, le 28 novembre 2023, nous debarquons au chef-lieu de la province Cankuzo. Ce jour-là, la priorité des priorités est de rejoindre la commune Mishisha, soit 35 km à parcourir. L’objectif est de visiter le centre qui accueille les enfants en situation de rue. Il est 9 heures, le motocycliste est déjà prêt pour assurer notre transport. Nous sommes excités. Contre toute attente, vers 10 h, le motard nous signale qu’il vient d’avoir un empêchement d’urgence. Mais il nous rassure que dans l’après-midi, le voyage sera possible, à condition qu’il ne pleuve pas, car la route deviendra trop boueuse et impraticable. Bref, la mission est reportée à 13 h. Nous lui demandons anticipativement  d’ajouter quelques litres d’essence dans son engin pour éviter une panne sèche. Heureusement, les stations-service disposaient du carburant pendant ces jours-là. Jusque-là, tout semblait dans l’ordre.

La pluie risque de tout gâcher

Comme nous sommes en pleine saison pluvieuse, la pluie est imprévisible. On ne peut rien faire pour la prévenir, sauf prier le bon Dieu et croiser les doigts. Il est 13h. la pluie tombe. Quel malheur ! Est-ce que tout le programme est à plat ? Nous gardons une lueur d’espoir, mais rien ne garantit que tout peut se passer comme prévu. A 14 h, la pluie cesse de tomber et fait place à une douce canicule, tant mieux. « Soyez prêts, nous allons partir dans quelques minutes », nous signale notre motocycliste au bout du fil à 14 h 15 min. Nous enfilons notre pull-over et rangeons les matériels. Nous voici aux aguets comme un soldat qui est sur le point de rejoindre le front.

14 h 30 min, la moto démarre et le voyage commence : direction Mishiha en empruntant la RN 13 qui est en mauvais état. Nous traversons les marais, nous arpentons sur les collines et descendons les pentes sans oublier les milliers de nids de poules auxquels nous faisons face et les innombrables glissades causées par des pistes boueuses. Malgré tout, nous résistons, pourvu que notre objectif soit atteint. Vers 15 h 15 min, nous arrivons au chef-lieu de la commune Mishiha et nous continuons notre trip. Juste après 10 minutes, nous sommes presque arrivés sur la colline Munzenze.  Le motocycliste gare la moto pour demander où se trouve exactement le centre qui accueille les enfants en situation de rue. « Murondera ba bana ba ‘’Mayibobo’’ ? Baba harya imbere, murashitse. (Vous cherchez les enfants en situation de rue ? C’est là-bas à quelques mètres, vous êtes arrivés, ndlr) », nous répond une femme rencontrée par hasard sur les lieux. Nous retenons que la communauté de Mishiha a déjà collé le nom de « Mayibobo » aux enfants en situation de rue comme si ce ne sont pas des enfants comme les autres.

Dans une minute, nous franchissons le perron du fameux centre et nous voici à l’intérieur. L’entrée est obstruée par une barrière d’un petit morceau d’arbre d’environ 3m de long et 10 cm de diamètre, mais il y a un passage pour les piétons juste à côté. La clôture est faite de haies et d’arbustes comme un simple enclos d’un burundais lambda. Dans la cour, il n’y a aucune maison nouvellement construite. Il n’y a que plus ou moins cinq anciennes maisons en pierres. Plus tard, nous avons appris que ces dernières servaient d’écoles pour les enfants de réfugiés rwandais qui vivaient à Mishiha dans les années 1990. Certaines de ces maisons servent aujourd’hui de positions de police. Les prétendues nouvelles maisons sont celles couvertes de « sheetings » et, malheureusement, ces derniers commencent à se fissurer.

A l’intérieur de la cour, une dizaine d’enfants sont en train de jouer. Ils ne sont pas propres et leurs habits le sont moins. La majorité d’entre eux ne portent pas de chaussures et leurs cheveux ne sont pas coiffés, pour ne citer que cela. Bref, ils ont l’air de ne pas mener une bonne vie dans ce centre d’accueil.

Les responsables ne veulent pas s’exprimer

Pour en savoir plus, nous rencontrons le responsable de ce centre. Nous nous présentons et nous lui expliquons que nous avons besoin d’informations concernant les conditions de vie des enfants qui sont sous sa responsabilité. Il nous fait savoir qu’il ne peut rien communiquer sans l’aval de ses supérieurs au sein du ministère en charge de la solidarité. Tout de suite, nous appelons le directeur général de la solidarité par téléphone pour une probable autorisation. Il répond : « On ne peut rien communiquer tant que ce centre n’est pas encore ouvert officiellement. » Cette réponse nous parait paradoxal. Les enfants vivent dans ce centre depuis bientôt deux mois et le gouvernement ne peut pas communiquer sur leurs conditions de vie? Probablement, il n’y a rien de positif à rendre public. Or, l’opinion a besoin au moins d’une bonne partie de la vérité et, nous y sommes rendu pour cela.

Nous tentons de convaincre le responsable de ce centre pour nous laisser au moins parler avec les enfants, mais il ne lâche pas. Après 20 minutes de discussion, il nous demande de vider les lieux et nous obéissons.

Malgré tout, plan B oblige. En tant que journaliste professionnel, on ne peut pas parcourir 255 km de Bujumbura à Mishiha pour rentrer bredouille. Nous décidons de chercher la vérité sur cet épiphénomène dans la population environnante. Après nous être éloignés de ce centre de 100 mètres, au moins dix enfants et adultes nous rejoignent en courant : « Ne partez pas. Nous voulons nous exprimer sur les conditions de vie dans ce centre. Les responsables ne veulent pas que le monde sache les conditions précaires dans lesquelles nous vivons », nous lance de loin un jeune homme.

Kevin Niyonkuru, 12 ans, (à droite) indique qu’il ne mange pas assez et qu’il fait face au froid faute d’habits.

La vérité tombe !

« La première chose à savoir, c’est que ce ne sont pas que les enfants en situation de rue qui vivent dans le centre d’accueil. Il y a également des adultes (des vieux, des personnes handicapés…) qui ne vivaient pas dans la rue, mais qui ont été attrapés injustement par la police dans différents quartiers de Bujumbura », indique Blaise (pseudo) âgé de 20 ans et originaire de Ngozi. Ensuite, ce dernier explique que la police l’a appréhendé dans la matinée au quartier Asiatique quand il partait à son boulot quotidien (il travaillait comme convoyeur de bus). Il a supplié la police de le laisser appeler au moins son chef, mais en vain. Il a été conduit au cachot avant d’être envoyé dans le centre d’accueil. Au départ, explique Blaise, les responsables nous disaient que nous sommes venus dans le centre d’accueil de Munzenze pour apprendre les métiers, mais rien n’est encore entrepris en ce sens.

Qu’à cela ne tienne, les enfants disent qu’ils vivent dans des conditions très difficiles. Même la population environnante le confirme. Par exemple, les sheetings qui couvrent les maisons dans lesquelles ils dorment sont déchirés. En conséquence, quand il pleut, même pendant la nuit, tout le monde se réveille pour s’abriter ailleurs. La plupart des enfants dorment à même le sol. Ils ne mangent pas assez. Ils consomment presque toujours le riz et le haricot en quantité insuffisante sans huile ni sel. Ils n’ont pas d’habits ou de couvertures encore moins de savons de toilette. La majorité d’entre eux portent un seul vêtement depuis deux mois. Pour résumer cette situation en seul mot, les enfants vivent dans l’insalubrité. « Nous n’avons pas de matelas, encore moins de couvertures. Les moustiques nous piquent de temps en temps. Nous ne sommes pas du tout sereins, surtout quand il pleut », indique Kevin Niyonkuru âgé de 12 ans. A cause des conditions de vie défavorables, certains enfants ont déjà quitté le centre et personne ne sait où ils sont aujourd’hui.

Les filles, quant à elles, ont des problèmes particuliers liés à leur intimité. « Nous n’avons pas de serviettes hygiéniques à utiliser pendant les périodes de menstruation. En conséquence, nous utilisons des morceaux de tissus », se désole Jeanne (pseudo) âgée de 16 ans originaire de la province Bubanza.

Toutes les personnes qui vivent dans ce centre demandent aux autorités de leur venir en aide. D’autres demandent de retourner dans leurs familles ou à leurs boulots respectifs, surtout les adultes qui y ont été acheminés injustement.

La population environnante s’inquiète

Les enfants qui vivent dans le centre d’accueil de Munzenze sortent de temps en temps pour visiter les ménages environnants à la recherche de la nourriture ou pour jouer avec les autres enfants de la localité. Parfois, ils maraudent les patates douces et les mangues. La population s’en inquiète et se demande si elle sera capable de gérer ces enfants quand les épis de maïs seront mûrs. « Nous demandons aux responsables de ces enfants de les suivre de près pour qu’ils ne continuent pas à piller nos champs », interpelle une femme sous couvert d’anonymat. Cette dernière ne salue pas non plus le fait que les garçons et les filles partagent le même enclos. Pour elle,  il y a un risque de vagabondage sexuel, car l’encadrement n’est pas sûr. Il vaut mieux les séparer.

Les personnes vivant près du centre de Munzenze font savoir que la situation est déplorable surtout pour les personnes malades ou celles qui ne mangent pas toutes les catégories de nourriture. « Il y a par exemple un individu qui vit dans le centre d’accueil qui ne peut consommer ni le riz ni le haricot parce qu’il est malade. Il mange grâce à la générosité des ménages voisins », se désole Marguerite (pseudo). Elle demande au gouvernement de veiller à la santé des personnes qui vivent dans le centre d’accueil de Munzenze, de protéger les enfants contre le froid et leur fournir une alimentation suffisante et adéquates sans oublier des habitations dignes de son nom. Elle estime que l’Etat n’a pas bien préparé le projet d’installation des enfants en situation de rue dans le centre de Munzenze. Pour elle, ce projet n’a pas de plus-value.

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A propos de l'auteur

Gilbert Nkurunziza.

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Un commentaire
  • Dr Polycarpe NDAYIKEZA dit :

    Il leur faut une vie meilleure par rapport à celle qu’ils mainaient dans la rue.

    Le Ministère ayant la Solidarité dans ces attributions et celui de l’interieur et de la sécurité en collaboration.avec les partenaires au développement devraient conjuguer les efforts pour réussir les objectifs fixes lors qu’on a decide de les retirer de la rue.
    Et nous ll faut un canal de contribution.pour soutenir cette initiative qui est bien entendu salvatrice.

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