Depuis quelques temps, une certaine opinion doute des chiffres fournis par les institutions publiques concernant l’économie. Ces dernières ne sont pas toujours coupables car la collecte, le traitement et l’analyse de ces données est si complexe et si onéreux qu’elles sont obligées de se débrouiller avec les moyens de bord. Pour autant, les données inexactes ne constituent pas moins un obstacle pour le calcul des indices qui servent à la projection macroéconomique. La création d’entreprise est un de ces domaines où les données fournies par quelques institutions étatiques contrastent parfois avec la morosité économique dans laquelle est plongé le pays depuis quelques années. Burundi Eco décortique cette question

Léonard Sentore, directeur de l’API : « Nous avons constaté que certains promoteurs de projets viennent s’enregistrer alors qu’ils n’ont pas encore trouvé les ressources suffisantes pour réaliser leur projet d’investissement ou espérant un prêt/ aide »
Du 1er janvier 2013 au 31 août 2018, les entreprises immatriculées au Registre de Commerce et des Sociétés à l’Agence pour Promotion des Investissements (API) s’élèvaient à 12.268. D’après le rapport sur le bilan annuel de l’API, 2289 ont été créées en 2017 pour 19.410 créations d’emplois projetées. En comparaison avec l’année 2016, il y a eu une croissance du nombre d’entreprises créées de 5,33%. Il est important de préciser que parmi ces entreprises créées, les Sociétés Unipersonnelles (SU) et les Sociétés des Personnes à Responsabilités Limitées (SPRL) constituent à elles seules plus du 75% du total des entreprises créées alors qu’aucune société mixte n’a vu le jour durant cette même période.
« Le taux de viabilité d’une entreprise varie entre 30 et 60% »
A l’intention de ceux qui pensent ou disent que ces chiffres sont fantaisistes, M. Léonard Sentore, directeur de l’API rappelle que les différents rapports sur la création d’entreprises montrent que selon qu’un pays est développé ou sous-développé, le taux de viabilité d’une entreprise varie entre 30 et 60%. C’est-à-dire que sur 100 entreprises créées, seules 30 à 60 arrivent à maturité. « Nous sommes donc tout à fait conscients que toutes les entreprises enregistrées au niveau de l’API ne fonctionnent pas d’autant plus que certaines enquêtes que nous avons déjà effectuées, nous le montrent. C’est d’ailleurs pour cette raison que chaque fois que nous communiquons nos statistiques, nous insistons sur le fait que certains d’entre eux sont des prévisions (des projections), indique le directeur de l’API.
Pourquoi certaines entreprises créées restent-elles inactives ?
Lors de l’analyse des différentes enquêtes, « nous avons constaté que certains promoteurs de projets viennent s’enregistrer alors qu’ils n’ont pas encore trouvé les ressources suffisantes pour réaliser leur projet d’investissement ou espérant un prêt/ aide. D’autres viennent enregistrer une entreprise dans le but de répondre à un appel d’offre. D’autres encore viennent s’enregistrer, mais pour différentes raisons elles n’arrivent pas à fonctionner (c’est le cas de celles qui doivent chercher des licences pour commencer à travailler), Il faut savoir aussi que d’autres entreprises ne résistent pas à la concurrence. Si les entreprises naissent, d’autres meurent en même temps », rappelle M. Sentore. Effectivement à ce propos, selon les données recueillies auprès du Tribunal du Commerce, entre janvier 2012 et septembre 2018, 167 sociétés ont été radiées.
Les entreprises inactives faussent les statistiques publiées
L’entrepreneur a notamment des obligations fiscales et sociales. Il lui revient donc de procéder aux déclarations fiscales à l’OBR et à l’Institut National de Sécurité Social (INSS) pour éviter de s’exposer à des pénalités prévues en cas de manquement de déclarations et de paiement des impôts et taxes ainsi que des cotisations au régime de sécurité sociale des travailleurs. Pour l’API et pour le pays, la conséquence est que de telles entreprises faussent les statistiques publiés, insiste M. Sentore.
D’autres chiffres qui parlent
D’après les informations fournies par les services de l’Immatriculation des Contribuables de l’OBR, 6074 entreprises se sont faire inscrire l’année passée. Parmi ces entreprises, on compte 483 sociétés coopératives, 1978 sociétés privées et 3613 entreprises individuelles. En revanche, aucune société mixte ni société publique n’est venue faire appel aux services de l’immatriculation de l’OBR durant la même période.
Des conséquences pour une entreprise immatriculée qui reste inactive ?
Il n’y a pas de conséquences directes au niveau fiscal. En matière de fiscalité, il existe un principe qui dit que l’impôt frappe la réalité. Si une entreprise n’a pas fonctionné, il ne paie pas d’impôt. Les entreprises paient 4 types d’impôt, à savoir : l’impôt sur les revenus, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), l’impôt sur les salaires et l’impôt sur les gains immobiliers en cas de partage des bénéfices entre les actionnaires. S’il n’y a pas eu d’activités, il n’y a pas d’impôt à payer. Par contre, si des entreprises enregistrées n’exercent pas leurs activités alors qu’elles sont enregistrées comme contribuables et ont un Numéro d’Identification Fiscale (NIF), cela fausse les statistiques des institutions. Dans certains cas, des amendes leur sont infligées. A ce sujet, il faut différencier les entreprises qui n’ont pas exercé d’activités et celles qui cachent leurs activités pour frauder le fisc.
Les chiffres peuvent-ils cacher un objectif frauduleux ?
Un individu mal intentionné peut répartir ses activités dans plusieurs sociétés ayant des personnalités juridiques différentes pour ne pas atteindre le seuil de chiffre d’affaires imposable de 100 millions de FBu en matière de TVA par exemple. Mais les services d’immatriculation des contribuables de l’OBR nous ont assuré qu’il y a des techniques et même un service de l’OBR chargé de démasquer ce genre de fraude.

Alain Ndikumana, chef de service Etudes Statistiques des Entreprises à l’ISTEEBU : « Le vocable ‘’secteur moderne’’ désigne les entreprises qui ont au moins un NIF, un numéro du Registre de Commerce (RC) ou un numéro d’identification des services de la sécurité sociale, en l’occurrence l’INSS. Au Burundi, si une entreprise possède au moins un des trois numéros, on considère qu’elle est moderne »
Il n’en reste pas moins vrai que les responsables des entreprises en délicatesse avec le fisc qui ne peuvent pas avoir certains documents exigés peuvent créer de nouvelles entreprises pour répondre aux appels d’offres. Cela peut gonfler le nombre d’entreprises enregistrées, a concédé M. Alain Ndikumana, chef de service Etudes Statistiques des Entreprises à l’ISTEEBU.
L’ISTEEBU ne se contente pas des chiffres fournis par ses partenaires pour établir les statistiques. Il se base sur certains critères et mène ses investigations pour cartographier le secteur des entreprises. C’est pour cette raison que, nonobstant les données fournies par les uns et les autres, cette institution comptabilise un total de 7074 entreprises du secteur moderne pour l’exercice 2017 alors que les services de l’immatriculation des contribuables de l’OBR comptabilisent un chiffre impressionnant de 55.196 entreprises (dont 52 sociétés mixtes et 24 sociétés publiques seulement) depuis la création de l’OBR en 2011.
Quelques critères pour s’y retrouver
Le vocable « secteur moderne » évoqué plus haut désigne les entreprises qui ont au moins un NIF, un numéro du Registre de Commerce (RC) ou un numéro d’identification des services de la sécurité sociale, en l’occurrence l’INSS. Au Burundi, si une entreprise possède au moins un des trois numéros, on considère qu’elle est moderne. Dans d’autres pays, on prend en considération les trois numéros en même temps en y ajoutant le fait de tenir une comptabilité formelle. Parmi les 7074 entreprises existantes, 48,4% sont dans le commerce de détail. En termes de contributions, c’est le secteur industriel qui se taille la part du lion. Ce secteur ne compte pas beaucoup d’industries, mais la fabrication des boissons à elle seule représente 53% du chiffre d’affaires du secteur industriel tandis qu’au niveau du commerce c’est le secteur pétrolier qui vient en tête avec 55% du chiffre d’affaires. En ce qui concerne les services, ce sont les banques et les sociétés de télécommunication qui prédominent. Mais si on parle en termes d’effectifs, c’est indéniablement le secteur du commerce qui rassemble la grande majorité des entreprises existantes.
Les entreprises devraient fournir volontairement les données
Le chef de service Etudes Statistiques des Entreprises à l’ISTEEBU indique que si son service procède souvent aux recherches auprès des entreprises c’est pour présenter une image exacte de l’état de santé de l’économie du pays pour que les décideurs puissent prendre les bonnes décisions. Si on se plaint aujourd’hui des chiffres trop approximatifs c’est peut-être parce que les personnes indiquées ne s’impliquent pas. Il appelle donc les chefs d’entreprises à fournir volontairement les données aux enquêteurs de l’ISTEEBU. Il y va de l’intérêt du pays, a-t-il tenu à préciser.
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