Le centre de négoce « Turangure » vit au rythme d’autres villages modernes. Les flux de personnes se remarquent le jour comme la nuit. Les boutiques, les salons de coiffure et les salles de cinéma augmentent en flèche. Tout cela grâce à un micro-barrage de 10 kW érigé sur la rivière Gasenyi (commune Nyabiraba). Les villageois saluent cette initiative et témoignent de son impact socio-économique

Peres Niyonsaba, électromécanicien : « Je ne me décourage pas. Je reste convaincu qu’un jour le monde retiendra que j’ai participé au développement de ma chère patrie »
Peres Niyonsaba, un génie en électromécanique a eu l’idée d’ériger des micro-barrages pour éclairer les petits villages en milieu rural. Il utilise les moyens de bord et parvient à produire de l’électricité. Incroyable mais vrai, les ménages, les bars, les salons de coiffure ; bref l’activité commerciale se développe grâce à son réseau électrique. Burundi Eco a dépêché un reporter dans les hautes montagnes des Mirwa où Niyonsaba a réalisé un projet d’électrification.
Les débuts sont toujours difficiles
Tout commence en 2010 quand il étudiait en 1ère année au Lycée Technique Saint Luc de Ngagara. Le manque d’expérience ne lui a pas permis à réaliser ses rêves. Il a décidé d’aller au Kenya pour suivre une formation de 18 mois dans le « Power Option » qui se traduit en français par « Option d’énergie ». De son retour au pays en 2012, il était déterminé plus que jamais pour allier la théorie à la pratique. Pour ce faire, Niyonsaba a sillonné le pays à la recherche des sites potentiellement exploitables.
Finalement en juin 2013, Niyonsaba s’est aventuré dans la construction d’un micro-barrage sur la rivière Muhunguzi dans la zone de Mageyo en commune Mubimbi. Avec des moyens de bords (sacs de sable, de rondins de bois et moellons), il a réussi à ériger un micro-barrage de 5 kW. 47 ménages de la zone Mageyo situés à 700 m du barrage ont été connectés. Malheureusement, le bonheur des villageois n’a été que de courte durée car le barrage de fortune de Mageyo n’a pas résisté aux courants de Muhunguzi. Il s’est écroulé suite aux intempéries quand même cette initiative lui a valu un prix le 1er mai 2014 lors de la fête du travail.
Le micro-barrage sur Gasenyi, un bon départ
Face à cette situation, Niyonsaba n’a pas perdu le courage. En 2015, il a initié un autre projet dans la commune Nyabiraba sur le ruisseau de Gasenyi à cheval entre les collines de Mayemba et Nyabibondo. De loin, on s’aperçoit des câbles électriques qui serpentent au-dessus des maisons du village de « Turangure » situé à environ 30 km de la capitale Bujumbura. En escaladant les collines entrecoupées par des vallées, on s’approche du barrage. Le bruit de la turbine est capté à une dizaine de mètres. Les câbles électriques partent d’une maisonnette en briques adobes avec une toiture en tôles rouillées. En amont de la colline, de gros tuyaux en PVC amènent l’eau vers la turbine qui tourne en permanence. Le micro-barrage de Gasenyi a une capacité de 10 kW.

Isidore Mpawenayo, coiffeur : « L’argent que je gagne me permet de subvenir aux besoins de ma famille »
L’électricité produite est distribuée principalement aux habitants de Mayemba surtout au centre de négoce dit « Turangure » où entre 100 et 200 ménages sont raccordés au réseau. L’autre partie est destinée aux habitants de la zone Nyabibondo. Le chantier, lui, a déjà coûté 12 millions de FBu. Niyonsaba compte sur le soutien indéfectible de ses amis, mais le gros du travail est fait en solo. Il est à noter que les équipements coûtent énormément chers. A titre d’exemple, un alternateur de 50 kW coûte 30 000 USD. A cet effet, Niyonsaba bricole certains des équipements en imitant le modèle des turbines à l’aides des matériaux locaux.
Pour améliorer ses services, Niyonsaba réfléchit sur la stratégie d’associer d’autres techniciens. Ce qui lui permettra d’échanger l’expérience avec d’autres et d’assurer la maintenance des équipements. Le défi majeur qui persiste est la rémunération de ces techniciens étant donné que le recrutement implique nécessairement le versement des salaires alors que les revenus restent limités. Le tarif de l’électricité varie entre 2 000 FBu et 4 000 FBu par mois selon le niveau de revenu, le nombre de maisons éclairées et le type d’activités, informe-t-il.
L’impact socio-économique du projet
Les villageois confient que Niyonsaba participe d’une manière ou d’une autre au développement la localité. C’est le cas de M. Isidore Mpawenayo, habitant le village «Turangure» qui a réussi à démarrer des activités génératrices de revenus dont un salon de coiffure. Il affirme qu’il peut engranger autour de 100 000 FBu par mois en exploitant son salon de coiffure. Les tarifs varient selon l’âge : 300 FBu pour un enfant et 500 FBu pour un adulte. Ce métier lui permet de subvenir aux besoins de sa famille. « Les jours de marchés (les lundis et jeudis), je peux gagner entre 20 000 et 25 000 FBu et subvenir aux besoins de ma famille », se réjouit-il.
Le centre de « Turangure » était un endroit un peu délaissé. Il n’y avait vraiment pas de flux de personnes surtout le soir. Peu à peu, le petit commerce s’est développé avec l’ouverture timide des boutiques, raconte Alexis Ndikumana, commerçant. Ce quadragénaire témoigne que la chance leur a souri sur leur colline. « On n’espérait pas être branché à l’électricité sitôt. Personne n’a cru une seule seconde qu’il s’agissait réellement de l’électricité. Les plus curieux touchaient sur des fils dénudés jusqu’à ce qu’ils ressentent une légère sensation (choc au toucher ou des réactions brutales) », précise Ndikumana. Avec l’électrification de la localité, le commerce devient florissant. Les boutiques restent ouvertes de nuit comme de jour jusqu’à 22h voire 23h. Après les activités champêtres, les villageois viennent s’approvisionner en catimini. Par conséquent, le stock se vide très vite. «Auparavant, on ne s’approvisionnait qu’une seule fois le mois contre deux ou trois fois par mois actuellement», témoigne Ndikumana.
Même son de cloche pour Emmanuel Kwizera, gérant d’un débit de boissons dit « Kuyaga Bar ». «Les clients échangent autour d’un verre jusqu’à une heure avancée. De plus, les tubes balancés à la radio attirent la clientèle. Au cours des week-ends, les jeunes affluent pour suivre les grands championnats de football d’Europe. Celui qui achète une bière a la possibilité de suivre le match pour 200 FBu alors que les autres paient 500 FBu par match», martèle Kwizera. En plus des bistrots, il y a des salles de cinéma qui ont été créés, des boutiques pour la recharge des téléphones, etc.
De l’énergie hydraulique à l’énergie électrique
Le génie Niyonsaba détaille le processus de production de l’hydroélectricité. L’étape cruciale consiste à identifier un site potentiellement exploitable. Pour lui, l’eau qui coule en permanence est en partie une perte d’énergie. Après avoir érigé un barrage, l’eau est canalisée à travers des tuyaux d’amenée. Ensuite, elle entre par une vanne et tape sur les hélices de la tribune hydraulique. Par conséquent, le mouvement continuel des hélices actionne donc la turbine fixée sur des roulements. La force mécanique est ainsi créée.
De la force mécanique, on produit la force électrique qui est obtenue grâce un alternateur relié à la turbine par des courrois à l’image des moulins à mazout (accouplement) qui font tourner l’axe. La rotation de l’alternateur génère un champ magnétique car l’aimant tourne autour de la bobine. Et c’est cette dernière qui va produire de l’énergie électrique. L’électricité produit est alors injecté dans le réseau de transport puis de distribution. Niyonsaba préconise de mettre en place un système de régulation des puissances pour éviter les risques de surtensions.

Grâce à l’électrification du milieu rural, les villageois ont la possibilité de suivre en direct les grands championnats de football d’Europe.
Les difficultés ne manquent pas
A côté des difficultés liées au recouvrement (les impayés, les refus de paiement…), Niyonsaba déplore la réticence de certains villageois envers son projet. Il préconise l’installation dans la deuxième phase du projet de compteurs pour faciliter le recouvrement. L’autre défi est lié au réseau de transport infructueux de l’électricité. Les poteaux électriques utilisés sont peu nombreux. Dans certains endroits, les câbles électriques se situent à moins d’un mètre du sol ou sont branchés sur des arbres agroforestiers. S’agissant réseau de distribution, le technicien Niyonsaba fait recours à des bambous faute de moyens.
Les villageois fustigent la diminution de l’intensité constatée pendant la saison sèche à cause des travaux champêtres organisés en amont du barrage. Niyonsaba rassure qu’il a déjà établi des contacts avec les agriculteurs pour que cela ne se reproduise plus. Il envisage également la construction d’un lac de retenue en bonne et due forme pour économiser les ressources en eau. Dans le but de réduire les pertes sur son réseau, Niyonsaba prévoit l’insertion des transformateurs abaisseurs-éleveurs de tension dans le circuit de distribution. Les villageois interpellent les investisseurs à soutenir cette initiative qui tend à ce que la production de l’électricité soit pérenne.
Des perspectives prometteuses
Niyonsaba compte étendre ses acticités dans d’autres localités pour pallier au déficit énergétique que connait le pays. Il prépare également des projets connexes pour financer les projets d’électrification. Ce sont notamment un projet de pisciculture en aval du barrage, une ferme de volailles équipée de couveuses électriques pour la multiplication des poussins. En s’associant à d’autres businessmen, Niyonsaba veut implanter des moulins électriques et un atelier de soudure au centre « Turangure ». A l’heure actuelle, il a déjà érigé quatre micro-barrages dont trois micro-barrages qui sont fonctionnels. Au total, près de 350 ménages sont connectés au réseau via les micro-barrages.
Dans son rapport trimestriel dénommé « Africa’Pulse » du 18 avril 2018, la Banque Mondiale estime que l’électrification universelle passera par les « mini-réseaux » et les « micro-réseaux » interconnectés ou autonomes. Cela permettra de desservir de petits groupes de consommateurs d’électricité par les systèmes domestiques hors réseau.
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