Développement

L’exploitation du nickel n’est pas pour demain

Le conseil des ministres vient d’approuver la révocation du contrat d’exploitation du nickel dans le périmètre de Musongati. Ce gisement regorge de 180 millions de tonnes, environ 6% des réserves mondiales de ce métal très convoité. Cependant, l’extraction du nickel se fait toujours attendre alors que la mine constitue une manne pour relancer la machine économique.  Eclairage 

Le gouvernement mise sur l’exploitation industrielle des ressources naturelles pour doper son économie. Cependant, ce secteur connait pas mal de chamboulements au fil des années. Il y a trois mois, le gouvernement a pris une mesure unilatérale de suspendre toutes les licences d’exploitation minière jusqu’à nouvel ordre. Pour le moment, le code minier est en cours de révision. Ce qui aboutira évidement à la renégociation de nouvelles conventions minières avec les multinationales.

Depuis des décennies, l’exploitation des ressources à base de nickel constitue un objectif prioritaire pour le gouvernement qui veut en faire une grande mine du pays dont la durée de vie dépasse 45 ans. Pour les profanes de l’industrie minière, cela signifie que le Burundi exploitera le nickel pendant plus 45 ans. L’exploitation du nickel est récurrente dans les discours des officiels. Mais pourquoi ce projet tarder à se concrétiser ? Pour y voir plus clair, la rédaction du journal Burundi Eco a épluché plusieurs documents pour vous faire découvrir pourquoi les investisseurs hésitent à saisir cette opportunité d’affaires.

Les travaux de démarrage de la société Burundi Mining Metallurgy (BMM) ont été lancés en grande pompe en octobre 2014. Cependant, aucun gramme de nickel n’ a été exporté à partir de la mine de Musongati.

Un pays enclavé avec des ressources énergétiques limitées

Le pays n’a pas un accès direct à l’océan. Les marchandises et les matières premières dont des équipements industriels transitent principalement par le port de Dar-es-Salaam en Tanzanie. De là, les cargaisons sont acheminées par voie routière jusqu’à Bujumbura sur une distance d’environ 1 500 km. Ce qui augmente considérablement les coûts de production pour les entreprises. La voie lacustre est moins utilisée malgré ses atouts. La voie aérienne, quant à elle, reste sous-exploitée, car le pays ne dispose pas d’assez d’avions cargos pour assurer les liaisons internationales.

Or, pour exploiter le nickel de Musongati, la construction du chemin de fer Uvinza-Musongati est indispensable, a précisé l’ex-ministre des Transports et des Travaux Publics Jean Bosco Ntunzwenimana lors d’un atelier de validation d’une étude de faisabilité de ce projet. Ce dernier date de plus de 40 ans, mais la réalisation des travaux reste sur papier. Les projets de construction du chemin de fer Uvinza-Musongati-Gitega pour permettre le transport du nickel et d’autres minerais en provenance du Burundi sont parfois au menu des échanges entre les deux pays. D’ailleurs, les deux gouvernements étudient les mécanismes de financement de ce gigantesque projet.  Les ministres en charge des finances des deux pays vont analyser ensemble les modalités de financement proposées par les banques comme Diamond Trust Bank (DTB) et la CRDB Bank qui sont prêtes à financer ce projet. Il importe de signaler que le coût estimatif du projet est de 1,91 milliards USD, soit 961 millions USD pour la partie burundaise sur un linéaire de 84 km. Ce montant n’inclut pas le coût de construction du tronçon Musongati-Gitega, selon les projections du secrétariat exécutif du corridor central.

L’exploitation du nickel s’avère très coûteuse

Le plan de développement pour le Burundi élaboré par la Banque Africaine de Développement (BAD) en 2009 montre que l’exploitation du site de Musongati exige la mobilisation des fonds conséquents. L’extraction annuelle du nickel est estimée à quatre millions de tonnes de minerai. Ce qui permettrait d’obtenir environ 50 000 tonnes de nickel métallique et près de 4 000 tonnes de cobalt chaque année. Dans ce cas, il faudrait diligenter les travaux le développement du site minier et la réfection de la route qui mène vers Kigoma quitte à débuter l’extraction en 2017.

Le coût du développement minier, hors transport et électricité, était estimé à 1,44 milliard de dollars. Ce chiffre inclut les dépenses pour couvrir l’entreposage en vrac près de la mine ainsi que l’établissement d’une ville dotée d’écoles et d’un hôpital.

Lors du démarrage des activités Dr Danko Koncar patron de BMM estimait que l’extraction de ce nickel exige beaucoup d’électricité, soit 800 MW. Et pour parier à ce problème, il a mentionné qu’on va faire recours à l’énergie solaire. Il parlait également de deux projets de construction  de chemin de fer pour faciliter l’exportation des produits financé et l’importation du matériel, lit-on dans le numéro 111 du journal Burundi Eco paru le 10 octobre 2014.

Pour réaliser les activités minières proprement dites, les besoins en infrastructures sont importants. La BAD estime que la capacité électrique installée nécessaire à la mine est d’environ 75 MW. Pour le moment, l’offre électrique oscille autour de 90 MW.  Plusieurs chantiers sont en cours pour augmenter l’offre énergétique mais le gap reste important. D’après le Plan National de Développement 2018-2027, le Burundi aura besoin d’au moins 400 MW pour son industrialisation et 412 MW dédiés au secteur des mines. Avec les projets énergétiques en cours, on aura atteint une production de 245 MW d’ici 2026 alors que le déficit énergétique sera évalué à 566 MW à la même période. Dans ces conditions, l’exploitation du nickel nécessitera la construction des barrages supplémentaires et/ou l’importation de l’électricité. Les experts de la BAD évoquent également la possibilité de construire un petit aéroport aux abords de la mine. Dans ce cas, le coût total de l’amélioration des infrastructures serait de 640 millions USD.

Normalement, la mine devrait entrer en activité dès 2015 avec une production initiale de 8.000 tonnes de nickel pour atteindre 100. 000 tonnes en 2016 et enfin atteindre une production record d’un million de tonnes en 2020.

La volatilité des cours plombe les investissements

Le nickel est une ressource rare principalement destinée à la fabrication d’acier inoxydable. Sur les marchés, le prix de ce métal connaît des variations souvent très volatiles. Le nickel est négocié sur le London Metal Exchange (LME) où son prix est fixé en dollars par tonne.  Les cours du nickel avaient atteint en mai 2007 un record à 54 100 dollars la tonne. La crise financière a ensuite contribué à un effondrement des prix jusqu’à 9 050 dollars la tonne en décembre 2008. Dès lors, l’évolution des prix du nickel reste très volatile, enchaînant de fortes phases de hausse et de baisse. Depuis 2011 et jusqu’en 2015, les prix ont varié dans un canal très large compris entre 13 000 et 22 000 dollars la tonne, détaille le portail d’information Bousorama.

Le cobalt, le nickel et le cuivre sont très prisés dans les pays industrialisés. D’où l’envolée des cours des matières premières sur le marché. Les prix du nickel sont sur une pente ascendante depuis plusieurs mois à la bourse des métaux de Londres (LME). Le nickel s’est ainsi négocié à près de 19 824 USD la tonne mardi le 2 novembre 2021, en hausse de 29 % en glissement annuel.

Privilégier le raffinage du nickel sur place

Les experts de la BAD avaient suggéré deux options, à savoir : l’exportation du minerai de nickel, et l’exportation de métal après raffinage sur le site.  Pour le premier scénario, il faudra transporter environ quatre millions de tonnes de minerai par an, de la mine jusqu’au port de Dar es-Salaam. Delà à partir, le nickel serait acheminé vers des raffineries à l’étranger. De tels volumes nécessitent d’emprunter le réseau ferroviaire tanzanien. Les minerais peuvent également emprunter la ligne ferroviaire reliant Uvinza (près de Kigoma) directement à Bujumbura, avec une extension de Gihofi à Musongati. Les fonds nécessaires pour couvrir la partie burundaise de ces extensions ferroviaires sont conséquents, soit 1,3 milliard de dollars.

Et si le raffinage du minerai se fait sur place, il faudra assurer le transport du métal obtenu vers la côte en vue de son expédition à l’étranger. En cas de raffinage in situ, les quantités de métal à transporter annuellement seraient de l’ordre de 50 000 tonnes. Le transport du métal par route jusqu’au terminal ferroviaire de Kigoma serait alors, d’après les spécialistes, l’option à privilégier.  « L’hypothèse retenue est que le nickel et le cobalt seront raffinés sur place et que la société minière assurera ensuite le transport du métal par route jusqu’au terminal ferroviaire de Kigoma ». Selon une simulation faite par nos confrères du journal Jeune Afrique, l’acheminement d’un million de tonnes de minerai supposerait qu’au moins 500 camions circulent entre Musongati et Dar es-Salaam chaque jour. Ce qui va endommager très rapidement la voie routière.

La Tanzanie avance ses pions

D’après la BAD, le développement des activités minières au Burundi offre de nombreuses opportunités pour le pays. Toutefois, pour que ce potentiel devienne réalité, le Burundi et la Tanzanie devront collaborer étroitement pour garantir une bonne coordination des plans de réhabilitation des lignes ferroviaires existantes et pour être à même de faire face à la forte augmentation du volume du fret à destination et en provenance du port de Dar-es-Salam.

La Tanzanie veut saisir la balle au bond. En tout cas, les visites intermittentes entre les présidents des deux pays en disent longs. En l’espace d’une année, le président Burundais Evariste Ndayishimiye s’est déplacé deux fois en République Unie de la Tanzanie. Lors des échanges entre ses deux homologues, la Tanzanie ne cache pas sa volonté d’avoir une coopération minière plus élargie avec le Burundi.

Les autorités tanzaniennes se veulent rassurant quant à leur expertise dans l’exploitation des minerais.  Ce pays dispose déjà de comptoirs de transformation du nickel dans les localités de Kigoma, Mwanza et Geta. Pour les autres minerais, Gitega pourrait aussi se servir des laboratoires homologués installés en Tanzanie pour analyser les échantillons des minerais avant leur exportation. De cette manière, les deux pays pourront partager les devises issues de l’exploitation des minerais.

Les éléments de terres rares, le nickel, le cobalt et le cuivre sont en effet autant de métaux essentiels à cette transition, en raison de leur utilisation dans les batteries des véhicules électriques, le solaire et l’éolien.

Un projet qui date de la nuit des temps, mais …

Le nickel a été découvert au cours des années 1970. Les ressources nationales sont évaluées à 250 millions de tonnes de minerai, dont 180 millions de tonnes dans le principal gisement situé à Musongati, dans la province de Rutana au Sud-Est du pays. Normalement, la mine devrait entrer en activité dès 2015 avec une production initiale de 8.000 tonnes de nickel pour atteindre 100. 000 tonnes en 2016 et enfin atteindre une production record d’un million de tonnes en 2020. Mais, jusqu’à présent, aucun gramme du métal n’a été exporté. «Le grand projet minier est donc à l’arrêt faute d’investisseurs prêts a engager des sommes considérables dans la mise en exploitation du site de Musongati», conclut Thierry Vircoulon dans une étude faite en 2019 sur le secteur minier pour le compte de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

Dans une conférence de presse tenue en novembre 2017, l’ex-ministre de l’Energie et des Mines Ir Côme Manirakiza évoquait des difficultés liées à la chute des cours de nickel sur le marché international. «Le coût a fortement chuté tellement que les banques qui devraient appuyer dans la mobilisation des fonds n’ont pas eu le courage de le faire. Comme les cours repartent à la hausse tirés par la fabrication des voitures électriques, il y a moyen de débuter les travaux d’extraction».   Pourtant une année avant, le ministre Manirakiza avait réagi sur l’état d’avancement du processus d’extraction du nickel de Musongati. « L’extraction industrielle des minerais au Burundi n’est pas effective.  Pour le nickel, l’exploitation n’a pas encore commencé, car le pays aura besoin d’une grande quantité d’énergie électrique », s’est-il exprimé devant la chambre du parlement en date du 14 avril 2016.

Retour à la case départ

En mai 2014, une convention d’exploitation minière sur le gisement de nickel de Musongati a été signée entre la société Burundi Mining Metallurgy International (BMM International) et le Gouvernement du Burundi. Il s’agit d’un contrat de 25 ans renouvelable pour 10 ans. Le permis d’exploitation a été octroyé par décret en juin 2014 et le lancement officiel des activités d’exploitation et de traitement du nickel et minerais associés du gisement de Musongati a été fait en octobre 2014.  Et les travaux devraient commencer endéans une année.

Sept ans plus tard, le gouvernement veut divorcer avec la société Burundi Mining Metallurgy International (BMM International). Le conseil des ministres du 28 octobre 2021 a analysé le projet de décret portant révocation du permis d’exploitation du nickel et de ses minerais associés à Musongati. Le gouvernement du Burundi regrette que malgré plusieurs rappels à la société BMM à respecter ses engagements et à commencer les travaux proprement dits, aucune suite n’y a été réservée par cette société.  En plus du retard injustifié dans le démarrage ou le déroulement des travaux, cette société a refusé de communiquer les renseignements techniques exigés en vertu du code minier et de la convention qu’elle a signée. Pour ce faire, ce projet propose la révocation du permis d’exploitation qui a été donné à cette société. En plus de l’élaboration d’un avis juridique qui montre les tenants et les aboutissants de ce dossier, il a été recommandé d’exiger à cette société de restituer à l’Etat burundais ce qu’il a emporté comme échantillon, annonce Prosper Ntahorwamiye porte-parole et secrétaire général du gouvernement dans un communiqué de presse.

D’après le portail d’information bousorama.com, le minerai est peu connu du grand public, car il est rarement utilisé à l’état brut. Dans la plupart des cas, il est souvent associé à d’autres produits grâce aux propriétés du métal qui lui confère un recyclable infini. Il est principalement utilisé pour la confection de l’acier inoxydable.  Près de deux tiers du nickel sont utilisés dans la fabrication d’acier inoxydable, notamment dans les secteurs de la construction et des transports. Le métal est également utilisé dans la fabrication d’autres alliages, de plaquages ou encore de certains types de batteries.

Tirer profit de la transition énergétique

Le monde amorce une phase de transition énergétique. Les pays développés veulent à tout prix se débarrasser des énergies fossiles à base des hydrocarbures et du charbon responsables des émissions des gaz à effet de serre. Les énergies renouvelables deviennent le credo de tous les pays. Les éléments de terres rares, le nickel, le cobalt et le cuivre sont en effet autant de métaux essentiels à cette transition, en raison de leur utilisation dans les batteries des véhicules électriques, le solaire et l’éolien.  Mais attention, il y a grand risque que la mine de Musongati provoque un désastre écologique dans notre pays.

L’activité de raffinage nécessitera l’usage de 600 000 tonnes de produits chimiques à base de soufre. Le raffinage produira chaque année plusieurs millions de tonnes de déchets a priori à forte teneur chimique. Une étude plus poussée devra être menée pour définir un programme de traitement de ces déchets de manière à préserver l’environnement et à éviter tout danger pour la santé des populations locales. Le projet devrait se traduire par des bénéfices importants, suggèrent les experts de la BAD.

La dépendance vis-à-vis des matières premières fragilise les économies africaines. Le pays devrait opter pour la diversification de son économie. D’après la BAD, l’affaissement de l’économie mondiale et l’effondrement des prix s’accompagnent souvent par une baisse de la demande mondiale. Par conséquent, les pays producteurs des matières premières voient les projets d’exploitation des minerais ralentir, voire annulés.

D’après une étude réalisée par la Banque Afrique de Développement (BAD), les réserves de nickel du pays sont estimées à environ 285 millions de tonnes. Le gisement de Musongati en province de Rutana est l’un des dix plus larges gisements connus et non encore exploités dans le monde.  D’ailleurs, le complexe de Musongati fait partie de la « ceinture du nickel » qui s’étend du sud de la région centrale du Burundi jusqu’au Nord-Ouest de la Tanzanie.

Cette ceinture recèle d’importantes quantités de sulfure et de latérite. Le Burundi dispose de la deuxième plus grande réserve de Coltan (colombite et tantalite) dans la région est-africaine et de 6% des réserves mondiales de Nickel (Ni), dont environ 180 millions de tonnes de nickel à Musongati dans la province de Rutana, 46 millions de tonnes à Nyabikere dans la province de Karusi et 35 millions de tonnes à Waga dans la province de Gitega avec une teneur respectivement de 1,62 %, 1,45 %, 1,38 %.

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A propos de l'auteur

Benjamin Kuriyo.

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