Agriculture

Kayanza : Quand l’arrachage des théiers devient un fléau

Depuis 2020, plus de 55 hectares de théiers ont été arrachés dans la province de Kayanza. Ce phénomène alarmant est principalement dû à des prix aux producteurs non rémunérateurs, à la pénurie de carburant et à l’impunité qui règne dans ce secteur. Quel avenir pour cette culture essentielle source de devises pour Burundi ? Les parties prenantes redoutent le pire.

« Après avoir calculé toutes les dépenses, on costate qu’en réalité le producteur ne gagne pas plus de 100 FBu par kilo de feuilles de thé vendu ».

En une seule semaine, plus de 79 000 théiers ont été arrachés dans divers secteurs théicoles de la province de Kayanza. Les collines les plus touchées sont Caguka et Nyamisagara où, rien que durant les deux premières semaines de ce mois de décembre, 61 000 théiers ont été arrachés par 44 théiculteurs.

Selon les responsables de l’usine de thé de Rwegura, ce problème n’est pas nouveau. Depuis quatre dernières années, 520 théiculteurs des collines de Caguka, Nyamisagara, Gashiru, Gisagara et Ruhinga, ainsi que de toutes les collines du secteur de Rwegura, ont arraché un total de 55 hectares de théiers.

Jérémie Rwigema, un théiculteur de 70 ans qui encadre des coopératives de théiculteurs, témoigne que parmi les 13 000 producteurs qu’il soutenait, seuls 9 000 restent motivés à entretenir leurs théiers. Les 4 000 autres se sont tournés vers des cultures plus rentables.

La faute au prix dérisoire

Selon les théiculteurs rencontrés, il n’y a rien d’étonnant à ce que les théiers soient arrachés. Ils se réfèrent au prix de 350 FBu par kilo de feuilles de thé, qu’ils considèrent comme insignifiant aujourd’hui. Ils craignent que le pire soit à venir.

Bernard Bankuwunguka, un théiculteur de 57 ans, cultive le thé depuis 1989. Il regrette de ne plus rien gagner de cette culture comparativement aux autres cultures vivrières. « Pour un champ de pommes de terre par exemple, sur un seul tas, on peut facilement récolter 2 kg de pommes de terre que l’on peut vendre à 2000 FBu le kilo. Cela n’est pas le cas pour le thé. Il te faudra 5 ou 6 pieds de thé pour obtenir un kilo de feuilles de thé que tu vas vendre à 350 FBu », explique-t-il. Selon lui, ce sont de telles analyses qui poussent les théiculteurs à migrer vers des cultures plus rentables.

« Pour ceux qui possèdent de grands champs de thé, ils doivent absolument engager des journaliers pour la cueillette. Et pour un kilo de feuilles de thé cueilli, on les paie 150 FBu. L’OTB soustrait aussi de l’argent pour les fertilisants sans parler des autres frais pour couper et sarcler les théiers qui doivent être supportés par les théiculteurs. Après avoir calculé toutes les dépenses, en réalité, le théiculteur ne gagne pas plus de 100 FBu par kilo de feuilles de thé vendu », ajoute Bankuwunguka.

Ces théiculteurs regrettent que la situation est telle qu’elle est au Burundi, alors qu’au Rwanda voisin, un kilo de feuilles de thé s’achète à 400 FRW, soit 2200 FBu. Ils ne comprennent pas la raison de cette différence alors qu’ils partagent le même marché.

La pénurie de carburant aggrave la situation

La situation s’est aggravée en raison de la pénurie de carburant. Pour essayer de maintenir la tête hors de l’eau, l’usine de thé de Rwegura a réduit le nombre de collectes mensuelles de feuilles de thé, passant de trois à une seule. Cela a laissé les feuilles de thé se détériorer dans les champs, entraînant une perte immense pour les théiculteurs. « Certains théiculteurs se lamentent en disant que ce ne sont pas eux qui vont entretenir une culture que même le gouvernement a abandonnée », rapporte Rwigema, théiculteur depuis 1978.

Lors de cette unique collecte mensuelle, la priorité est donnée aux champs de l’OTB (blocs industriels) avant ceux du milieu villageois. Les théiculteurs sont obligés de faire la queue et parfois d’attendre leur tour jusque tard dans la nuit. « Imaginez-vous une culture qui vous oblige à ne pas manger pendant la journée et à ne pas dormir la nuit, pour finalement gagner moins de 200 FBu par kilo », déplore-t-il.

Ces théiculteurs demandent au gouvernement de prioriser les secteurs générateurs de devises en assurant l’approvisionnement en carburant. « C’est la première fois que l’OTB soit incapable d’acheter notre récolte. Même pendant les différentes crises qui ont secoué le pays, l’OTB trouvait des moyens pour collecter la récolte », témoigne Rwigema.

De 15000 à 4000 litres, l’OTB n’a pas le choix

Selon Richard Nahayo, directeur de l’usine de thé de Rwegura, cette usine ne reçoit actuellement que 4000 litres de mazout par mois, contre 15000 litres auparavant. Des quantités insignifiantes pour cette usine qui a besoin du carburant pour accomplir de nombreuses autres activités comme l’alimentation électrique en cas de coupures de courant, le transport du bois de chauffage, etc.

Selon Nahayo, Ce problème est également amplifié par l’absence de sanctions contre ceux qui arrachent les plants de thé. Comme il le raconte, chaque fois qu’ils ont remarqué des cas d’arrachage de plants de thé, ils les ont signalés aux autorités compétentes. Malheureusement, ces arracheurs de plants de thé, souvent agressifs et armés de machettes, sont arrêtés puis relâchés. A ce jour, aucun d’entre eux n’est emprisonné.

Cette situation a déjà impacté la production de cette usine qui se classait parmi les premiers producteurs de thé au Burundi. Au mois de novembre 2024, l’OTB Rwegura n’a obtenu que 36 % de la production attendue.

Signalons que dans la province de Kayanza, le thé cultivé dans les milieux villageois occupe 1887,97 hectares et 620 hectares pour les blocs industriels. Et cette culture est pratiquée par plus de 1530 théiculteurs.

A propos de l'auteur

Florence Inyabuntu.

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