Société

Kirundo-Ntega: Quatre femmes tuées par leurs époux en l’espace de deux mois

Quatre femmes ont été tuées par leurs époux aux mois de décembre 2022 et janvier 2023 dans la commune Ntega de la province de Kirundo au Nord du pays. Une centaine de ménages, soit 531 ménages, ont été déjà identifiés dans cette commune comme ménages à risque de VBGs. L’impunité, le vagabondage sexuel pendant la période de récolte…en sont les causes. Toutefois, l’administration s’inquiète d’un phénomène nouveau de débauche qui s’amplifie.

Pélagie Nyabuyoya, habitant la colline Mwendo : « Mon mari m’accusait depuis 3 ans de n’avoir pas des fesses bien formées pour continuer à dormir dans sa maison »

Certaines femmes de la commune Ntega, une des sept communes composant la province de Kirundo au Nord du pays vivent la peur au ventre. Elles craignent d’être tuées par leurs époux, surtout que les violences basées sur le genre sont une réalité dans cette entité.

« Nos maris vont nous exterminer », murmure une trentaine de femmes membres de la coopérative « Akeza Kararonderwa », rencontrées le 21 février 2023 au bureau de leur coopérative sise au chef-lieu de la commune Ntega. Elles étaient en train de tisser des corbeilles et des paniers.

Une d’entre elle, Violette Nizigiyimana, originaire de la colline Monge de la commune Ntega, âgée de 38 ans et mère de 5 enfants est toujours sous le choc. « Ma voisine a été lynchée par son époux il y a de cela quelques semaines. Son corps a été retrouvé dans des herbes, un fardeau de haricots à côté. Cela pour fausser les enquêtes. Son mari reste toujours introuvable », déplore-t-elle avec un long soupir.

Pélagie Nyabuyoya, habitante la colline Mwendo, a failli être étranglée par son mari dimanche le 12 février 2023. Elle est actuellement en lieu sûr, d’après toujours elle. « Mon époux Jean Paul Nduwumwami voulait me dérober 235 mille BIF, une cagnotte que j’ai reçu après avoir vendu une portion de terre cédée par mes frères. Pourtant, nous nous étions convenus que cet argent devrait être utilisé dans les projets de développement du ménage, entre autres pour l’achat d’un porcelet et de semences de haricot comme nous sommes dans la période de semis ».

Boursouflures au niveau de la gorge et blessures au visage, la trentenaire et mère de quatre enfants informe qu’elle a refusé de donner cette cagnotte à son mari. Je me suis directement souvenue qu’il voulait prendre une concubine, indique Mme Nyabuyoya, avant de regretter que son mari l’accusait depuis 3 ans de n’avoir pas des fesses bien formées pour continuer à dormir dans sa maison.

Par contre, continue-t-elle, cela fait 16 ans qu’ils se sont mariés à l’état civil. Au mois d’avril prochain, ils ont prévu de célébrer leur mariage le jour de Pâques à l’église.

Des slogans qui vont de mal en pis

« Urugo rubi rusumbwa n’agasho » (Un mauvais ménage est moins préférable que la prison.) « Nzokwica ncenja kwirira umuceri mu mpimba hama bandekure » (Je vais te tuer et aller manger gratuitement le riz en prison pour enfin être relaxé), se désole Imelde Nyabuhinja, assistante au Centre de Développement Familial et Communautaire (CDFC) de Ntega.

La sexagénaire fait remarquer que depuis 2009 qu’elle est au service, les hommes qui dénigrent leurs femmes pensent qu’ils seront emprisonnés et relaxés après x temps. « Et si au moins on les emprisonnait et qu’on les contraignait à des travaux forcés pour qu’ils ne mangent pas gratuitement », martèle-t-elle avant de reconnaître que deux femmes ont été tuées cette année, trois l’année dernière et un homme la même année.

Et Béatrice Niyonkuru, une trentenaire, présidente du forum des femmes de Ntega d’abonder dans le même sens : « J’imagine qu’on peut comprendre le phénomène d’uxoricide comme une calamité à Ntega et prendre des mesures de prévention ».

Pour elle, les auteurs de ces crimes se vantent que même s’ils sont attrapés, ils vont mener une vie oisive dans la prison centrale de Ngozi et enfin être relâchés à un certain moment.

Mme Niyonkuru explique que tout n’est pas rose également chez les femmes. Pour cause d’égalité de genres ou de richesses, une minorité de femmes n’hésitent pas à malmener leurs conjoints. Une des voix à côté lâche : « Il existe des femmes qui arrivent à déclarer qu’elles ne vont pas élire un administratif qui ne favorisera pas la polygamie ».

Gisitwe, la galère

La colline Gisitwe est l’une des collines de la commune Ntega où l’administration communale a identifié plusieurs ménages à risque de Violences Basées sur le Genre (VBGs), soit 69 ménages.

« Pendant la période de la récolte, mon mari vend toute la production. Il m’est difficile de me faire soigner et de faire soigner mon enfant une fois qu’on tombe malade. On ne trouve pas sur quoi se rabattre », se lamente Consolate Rukundo, habitant la colline Gisitwe, âgée de 25 ans et mère de 2 enfants.

Ezechiel Sebigo habite la colline Gisitwe. Trentenaire et père de 5 enfants, fait savoir que sa femme l’a abandonné au profit d’un autre homme. Il élève seul les enfants issus de leur union. « Lorsque nous nous rencontrerons en chemin, si elle ne me tue pas, moi je vais la tuer », avise-t-il.

Pascal Niboye alias Bocker, un trentenaire père de 7 enfants de la même colline, avoue que sa femme a fait tout son possible pour l’éliminer. « J’ai dû dépenser 200 mille BIF pour me protéger », annonce-t-il. Et Hatungimana, épouse de Niboye de répliquer : « Mon mari dépense tout dans le concubinage. J’ai dû lui foutre la paix et retourner chez mes parents ».

Gaudence Manirambona habite la colline Gisitwe. Agée de 40 ans et mère de 6 enfants, elle a été accusée du meurtre de son mari le 13 octobre 2022. Ce qu’elle nie, car, d’après elle, son mari est rentré à 21 heures et il est décédé d’une mort subite à 23 heures.

« J’ai été emprisonnée puis libérée pour cause de santé fragile et pour garder les enfants », explique-t-elle.

Pascal Nyabenda, chef de colline adjoint de Gisitwe, estime que sur 2500 ménages que comptent la colline Gisitwe, au moins 100 hommes sont fidèles, les autres ont des deuxièmes bureaux. Et de préciser : « Les femmes qui ne tolèrent pas le comportement de leurs maris optent à leur tour pour la débauche ».

La jeunesse dans la peur

« Nous ne voyons pas ce que nous allons devenir. Nos parents ne vaquent plus à leurs activités quotidiennes. Ils passent tout le temps à se quereller », avise Pascal Manirakiza, habitant à la colline Gisitwe. Agé de 22 ans, cet apprenant du lycée communal de Ntega confirme qu’il ne songe jamais à fonder un foyer de peur de vivre ce qu’il observe dans les ménages.

Jacqueline Mfashimana, une cultivatrice de la colline Gisitwe, souligne que chaque fois qu’un garçon lui fait des avances, elle refuse catégoriquement. « A 18 ans, je suis incapable de gérer les tracasseries que j’observe dans les ménages », poursuit-elle.

Graphique montrant l’état des lieux des ménages à risque de Violences Basées sur le Genre.

Les familles des victimes en souffrent

« Si je trouve l’occasion de me venger, je le ferai », dit Euphrasie Ndurutse, habitant la colline Mihigo de la commune Ntega. D’une soixantaine d’années, cette mère de 8 enfants avise que sa fille Bernadette Nibigira a été sauvagement tuée par son mari Pascal Ahishakiye de la colline Mwendo.

Cependant, son fils François Habineza, frère de la victime n’est pas pour la vengeance car, pour lui, tuer l’auteur pourrait attiser la vengeance dans les familles, surtout que la victime ne ressuscitera pas.

Danger social

« Nous avons inventorié 4 femmes tuées par leurs maris aux mois de décembre 2022 et janvier 2023 et identifié plus de 500 ménages à risque de VBGs dans la commune Ntega », précise Pierre Claver Mbanzabugabo, administrateur de la commune Ntega.

Les causes sont, selon lui, le gaspillage de la production, la polygamie, l’adultère, la débauche, l’ivresse et surtout l’impunité. « Très récemment, nous avons recensé une quarantaine de maris qui ont tué leurs femmes, mais qui ont été relaxés », s’inquiète-t-il.

Jean Baptiste Kwizera, conseiller socio-culturel du gouverneur de la province de Kirundo confirme également qu’il y a des cas de VBGs dans toute la province.

« La campagne d’enregistrement des mariages à l’état-civil qui a débuté en 2017 a mis de côté une bonne partie des femmes. Celles-ci ont loué à leur tour des maisons et essayé de dérober les maris d’autrui », rappelle-t-il.

Kwizera se plaint que les VBGs constituent un danger social pour la société. Il explique que les enfants victimes des VBGs sont vite récupérés en famille. Un avis auquel les habitants de Kirundo n’adhèrent pas. Ils informent qu’un nombre important de ceux-ci deviennent des enfants de la rue.

Le conseiller socio-culturel du gouverneur de la province de Kirundo se souci d’un phénomène nouveau qui est en gestation, à savoir : la débauche.

 

Ntega est une commune frontalière à l’Ouest du Rwanda, à l’Est de la commune Kirundo, au Nord de la commune Bugabira et au Sud des communes Vumbi de la province de Kirundo et Marangara de la province de Ngozi.

D’une superficie de 260, 82 km2, Ntega a une population d’environ 115 161 personnes, soit environ 29 128 ménages avec 51 829 hommes et 63 332 femmes. Elle se trouve à 17 km du chef-lieu de la province de Kirundo qui, à son tour, se trouve à plus au moins 200 km de Bujumbura, capitale économique du pays. 

Les habitants de cette commune vivent de l’agriculture et de l’élevage. La culture de la banane, celle du café, celle du riz et l’exploitation du coltan y font règnent en maître.

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A propos de l'auteur

Mélance Maniragaba.

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