Agriculture

La pérennisation de la culture du café, une incertitude ?

Bien que les femmes et les jeunes représentent une part significative de la population au Burundi, leur rôle dans la culture du café est largement sous-estimé. Les jeunes, en particulier, se détournent de cette filière pour diverses raisons, tandis que les femmes, bien que responsables d’une grande partie des tâches liées à la culture du café, ne bénéficient pas du fruit de leurs efforts. Cette situation soulève de sérieuses inquiétudes quant à l’avenir de cette culture essentielle pour le développement économique du pays. Pour garantir la pérennité de la filière café, il est crucial de mettre en place des initiatives qui favorisent l’inclusion et l’autonomisation de ces deux groupes, leur permettant ainsi de jouer un rôle actif et rémunérateur dans cette filière.

Emilienne Manirambona, membre de la coopérative Twaranyuzwe : « L’absence d’attractivité du café chez les jeunes résulte d’une vision à court terme »

Pour diverses raisons, les jeunes qui s’intéressent à la culture du café sont peu nombreux dans les provinces de Kayanza et Ngozi. Les producteurs de café de Kayanza déplorent ce manque d’intérêt de la part des jeunes.

Nzimpora Claver, caféiculteur depuis l’âge de 12 ans, explique que les jeunes d’aujourd’hui recherchent des gains faciles et rapides. « Ils préfèrent souvent se rendre en ville où ils espèrent trouver de meilleures opportunités. Cependant, cette quête de gains rapides s’avérera improductive est vouée à l’échec tôt ou tard. Mais pour la culture du café, bien que le travail soit ardu et que les bénéfices soient lents à venir, ces derniers sont sûrs et durables », affirme-t-il.

Pour Emilienne Manirambona, l’absence d’attractivité du café chez les jeunes résulte d’une vision à court terme. « Ils pensent que le café ne génère pas assez de revenus. En réalité, cela relève de la paresse. Beaucoup préfèrent traîner dans la rue vendant à la sauvette quelques produits, se considérant comme des commerçants », observe-t-elle. Elle reconnait que les revenus issus de la culture du café ne sont pas toujours suffisants et que l’entretien des cafiers est un travail harassant, notamment en raison de l’entretien nécessaire pour protéger les plants.

« Je conseillerai aux jeunes de faire attention. Ce qu’ils recherchent en ville est éphémère, tandis que le café, s’il est bien entretenu, est un investissement à vie », conclut-elle.

Risque de disparition ?

Cette situation préoccupe les caféiculteurs plus âgés, qui craignent que l’abandon de la culture du café par les jeunes ne finissent pas par entraîner sa disparition au Burundi. Pour contrer cela, certains producteurs s’efforcent de transmettre leur savoir-faire à leurs enfants.

« Pour ma part, je peux affirmer que le café est une plante qui permet de mener une vie tranquille et de subvenir à ses besoins. C’est pourquoi je souhaite transmettre cet héritage à mes enfants et leur dire que la culture du café a changé ma vie », partage Mme Manirambona. « En tant que parents, nous connaissons les bénéfices que nous avons tirés de cette culture et nous voulons que nos enfants grandissent avec cette même passion », ajoute-t-elle.

Nzimpora partage la même vision. « J’ai neuf enfants, dont deux sont déjà mariés et les autres sont encore sur le banc de l’école. J’ai demandé à l’un de mes fils de s’inscrire en agronomie pour qu’il puisse, un jour, reprendre l’exploitation familiale. Je lui ai expliqué qu’il ne devait pas étudier uniquement pour chercher un emploi stable, mais pour continuer ce que j’ai commencé. Je lui ai aussi parlé des avantages de la culture du café », conclut-il.

Lueur d’espoir ?

Ce qui rassure ces caféiculteurs, c’est que certains jeunes commencent à s’intéresser à la filière café. « Depuis que le Président de la République a encouragé les jeunes à devenir des entrepreneurs agricoles, je constate que beaucoup d’entre eux commencent lentement à s’intéresser à cette filière. Je suis convaincu qu’ils peuvent changer d’avis et revenir au café », témoigne Nzimpora.

La coopérative à laquelle appartient Emilienne œuvre pour inverser cette tendance. Comme elle le raconte, ils collaborent avec une organisation appelée Cococa qui regroupe plusieurs coopératives. Ensemble, ils explorent les moyens d’intégrer les jeunes dans les coopératives et de rendre la culture du café plus attrayante. Ils envisagent de constituer de petites associations de jeunes producteurs de café.

« J’encourage tous les jeunes à s’investir dans la filière café. Chaque fois que le Président de la République parle des agriculteurs, il ne passe sous silence le café. Cette culture a une importance capitale pour notre pays et améliore la vie de ceux qui la pratiquent », affirme-t-elle.

Quand le patriarcat affecte le secteur café

Les femmes représentent plus de la moitié de la population burundaise et assument une grande part des tâches liées à la culture du café. Comme l’explique Emilienne Manirambona, ce sont elles qui s’occupent de l’entretien des plants, comme le désherbage et la taille des cafiers. Les hommes ne se manifestent souvent que lors de la récolte et pour le suivi des paiements. « Cela conduit certaines femmes à penser que le café appartient uniquement à leur mari », observe-t-elle.

C’est le cas d’Agnès Bucumi que nous avons rencontrée dans un champ de café à Kayanza en train de cueillir les cerises. Nous avons voulu savoir si les femmes de cette localité pouvaient être propriétaires de caféiers. « Une femme propriétaire de caféiers ? », s’étonne-t-elle. « Le café est une propriété des hommes. Ça s’est bien connu », dit-elle. Elle raconte son histoire :

« Mon mari possède ses propres caféiers auxquels je n’ai aucun droit même en tant que sa femme légitime. Il a plus de 400 pieds de caféiers et souvent il les vend avant que les cerises ne soient mûres pour éviter que je ne les cueille et les vende à son insu. Les 110 pieds que je suis en train de cueillir appartiennent à nos six enfants. Après de longues disputes, il les a cédés aux enfants. Si aujourd’hui je peux les cueillir, c’est parce que je suis en bons termes avec mes enfants. Sinon, je ne détiendrais aucune part dans cette plantation », nous confie-t-elle, la douleur se lisant sur son visage.

Nous avons voulu savoir ce que représente le café pour elle. « Ikawa ni inkorabara », (le café est une source de malentendus), trouve-t-elle. Bucumi témoigne qu’elle partage cette triste réalité avec de nombreuses femmes de cette localité et estime que cela peut expliquer le désintéressement des femmes de la culture du café.

Emilienne ne nie pas l’existence de tels cas, mais souligne que les choses commencent à évoluer. « Aujourd’hui, certaines femmes gèrent les plantations de café et s’occupent des paiements, tandis que les hommes demeurent attachés à des mentalités anciennes, pensant que la culture du café est uniquement une affaire des hommes », conclut-elle.

Une préoccupation pour les coopératives

La situation des femmes burundaises dans la filière café est une préoccupation majeure pour des coopératives. Emilienne, membre de la coopérative Twaranyuzwe, nous en dit plus.

Cette coopérative a mis en place des stratégies pour aborder ce problème. « Lorsque le mari demande une avance sur paiement, nous exigeons qu’il se présente avec sa femme. Cela permet de protéger les femmes membres de notre coopérative et d’éviter que le mari ne retire l’avance sans le consentement de sa femme », explique-t-elle.

Les membres de cette coopérative peuvent obtenir une avance de 40 % sur leur paiement. Pour cela, ils soumettent une demande à la coopérative en précisant l’utilisation prévue de cet argent. Si l’avance est approuvée après une évaluation minutieuse, la coopérative vérifie les fiches des agriculteurs. « Si le nom de l’épouse figure sur la fiche, nous n’accordons pas l’avance en son absence. Nous faisons venir le couple et nous leur demandons de signer pour retirer l’avance. Ainsi, nous protégeons les droits des femmes et évitons les abus de la part des maris », précise-t-elle.

Son collègue partage ce constat. « Je pense que les choses ont évolué. De nombreux projets et programmes introduisent des innovations en matière de genre dans notre société. Un père de famille peut maintenant dire à sa femme : « Je te donne ce champ, il t’appartient. Tu en prendras soin, tu en vendras les cerises et tout sera pour toi. » Aujourd’hui, il est courant de voir que dans les stations de lavage, l’homme et la femme ont chacun sa fiche. « Ainsi, à la fin du semestre, si la femme a besoin de quelque chose, comme un pagne ou autre, elle peut puiser dans ses propres ventes », conclut-il.

Cet article a été réalisé grâce à Journalismfund Europe par deux journalistes : Florence Inyabuntu et Ilaria Beretta avec le soutien du Dr Parfait Nitunga.  

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A propos de l'auteur

Florence Inyabuntu.

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