Agroalimentaire

L’agro-industrie, moteur de l’économie nationale malgré les défis

Au cours des cinq dernières années, le pays a connu un boom industriel surtout dans le secteur agro-alimentaire. L’encadrement des organisations paysannes a permis l’amélioration de la productivité agricole. D’où la prolifération des unités de transformation agro-alimentaire un peu partout dans le pays. Et de trouver dans ce numéro les évolutions de l’agro-industrie, ses défis et ses perspectives d’avenir

De 1990 à nos jours, le secteur agro-industriel a connu énormément de bouleversements suite à la crise de 1993. Avant cette période sombre de notre histoire, on observait un amalgame d’industries dans des domaines variés, indique M. Emmanuel Mbonihankuye, directeur général de l’Industrie au ministère du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme. La plus emblématique étant la société Verrundi qui était la seule spécialisée dans la verrerie au niveau de la sous-région. Malheureusement, la crise socio – politique a emporté la plupart de ces industries. La Verrundi n’a pas repris ses activités jusqu’aujourd’hui. Seule la Brarudi a résisté aux vents et marrées et qui est parvenue à garder la tête au-dessus de l’eau. Elle est actuellement le leader de l’agro-industrie au Burundi avec tous ses produits distribués dans tous les coins du pays. 

L’accalmie qui règne depuis 2005 a favorisé la relance du secteur industriel, constate M. Mbonihankuye. D’où la prolifération des industries et unités de transformation agro-alimentaire à travers tout le pays. Force est de constater qu’il y a des industries qui n’existaient même pas au départ, notamment celles du secteur agro-alimentaire. Il y a quelques temps, les jus consommés étaient importés alors qu’actuellement le marché est inondé par la production locale. Bref, le secteur industriel a connu une croissance, puis un déclin et une reprise des activités industrielles et agro-industrielles. 

Quid des obstacles au développement du secteur agro- industriel?

Anitha Nshimirimana, directrice du département de l’industrie au ministère du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme: « Bien que le secteur agro-industriel soit sur une bonne lancée, il se heurte à des obstacles »

Bien que le secteur agro-industriel soit sur une bonne lancée, il se heurte à des obstacles, indique Ir Anitha Nshimirimana, directrice du département de l’industrie au ministère du Commerce, de l’Industrie et du tourisme. Le directeur général de l’Industrie, lui, indique que les défis du secteur de l’agro-industrie sont de plusieurs ordres. Il existe des défis pour les industriels et ceux imputables au marché d’écoulement. Certes, les industriels manifestent un engouement pour créer des unités de transformation. Mais cette volonté est limitée par les contraintes énergétiques. En outre, même les investisseurs qui parviennent à se lancer font face à un enjeu de taille, à savoir : le manque criant d’une main d’œuvre qualifiée pour faire fonctionner leurs entreprises. 

Pourtant, l’absence de créativité est un signe éloquent du manque d’expérience chez certains industriels. Les entrepreneurs copient les idées des autres. C’est du copier-coller dans pas mal d’unités de transformation qui œuvrent dans un même secteur d’activités. Ce qui amplifie le problème de manque du personnel qualifié ci-haut évoqué. Les personnes qualifiées en la matière restent en sous-effectif pour prester dans toutes les unités de transformation, estime M. Mbonihankuye. 

Selon Emmanuel Ntakirutimana, vice-président de l’Association des Industriels du Burundi (AIB) et directeur de la société agro- alimentaire Akezamutima, les opérateurs économiques qui opèrent dans le secteur de l’agro-industrie se lamentent du fait qu’ils font face à beaucoup de défis complexes qui entravent son développement.  Ce secteur est frappé par un problème structurel, c’est-à-dire la façon dont le secteur de l’industrie est organisé à commencer par les décideurs (le ministère de tutelle). Si ce ministère était bien structuré avec des politiques appropriées comme la politique nationale d’industrialisation, rien n’empêcherait que ce secteur pourrait être un secteur porteur de croissance économique.  Au moment où c’est seulement notre pays qui ne dispose pas de cette politique dans la sous-région de l’EAC, Ntakirutimana est ravi de l’état d’avancement des activités de mise en place de ce document d’une importance capitale dans le développement de tout le secteur industriel.

Et  Ntakirutimana d’ajouter que le Plan National de Développement 2018-2027 a vu le jour il y a presque une année.  Pendant toutes les années où il n’existait pas, le secteur de l’agro- industrie a beaucoup souffert. Il a manqué d’instruments pouvant le guider dans son développement. En l’absence de ces deux documents, Ntakirutimana fait savoir qu’il était difficile d’enregistrer  des progrès significatifs. 

Le ministère de tutelle interpellé

Selon lui, le ministère du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme essaie de contribuer au développement du secteur industriel. Néanmoins, il y a encore beaucoup de choses à faire pour son développement, car  c’est un secteur très sensible qui produit et met sur le marché des produits liés à la santé. Donc si ce secteur n’est pas bien encadré, c’est  la santé des consommateurs qui est mis en danger. C’est le secteur qui devrait attirer l’attention du garant de la santé publique, des services techniques de l’Etat, des entreprises et des consommateurs eux-mêmes, car ils devraient lutter pour leur bien- être. Selon lui, c’est un secteur dans lequel il ne faut pas autoriser n’importe quoi sur le marché.

Le BBN, un handicap majeur

Le secteur industriel a connu une croissance, puis un déclin et une reprise des activités agro-industrielles. Ici les produits Natura en stock avant la commercialisation

Selon toujours Ntakarutimana, le Bureau Burundais de Normalisation et de Contrôle de la Qualité (BBN) handicape tout. Il n’est pas bien équipé et bien outillé pour accomplir sa mission. Il ne dispose pas de ressources humaines suffisantes et qualifiées. Et Ntakarutimana d’informer qu’il est classé en dernière position par rapport aux autres bureaux de normalisation des pays de la Communauté Est Africaine. Cette situation constitue un grand défi à la commercialisation des produits industriels, car ils font face à des barrières au niveau de l’exportation. Les pays limitrophes n’ont pas confiance en ce bureau qui ne dispose pas de tout ce dont il a besoin pour jouer pleinement son rôle : la certification. 

Les défis conjoncturels ajoutent le drame au drame

Selon Ntakirutimana, les défis conjoncturels sont légion dans le secteur agro- industriel.  Il s’observe encore des partenaires et des bailleurs qui hésitent à financer ce secteur agro- industriel. Dans ce cas, Ntakirutimana fait savoir que ce secteur aura du mal à se développer. La conjoncture actuelle fait que le pays fait face à des sanctions économiques en application des accords de Cotonou qu’il a ratifiés. A titre d’exemple, il y a des partenaires qui indiquent qu’ils ne peuvent pas investir au Burundi. Ceux qui viennent sont peu nombreux par rapport  à ceux qui devraient venir. Il y a des partenaires qui ne répondent même pas aux appels à proposition. Ils refusent carrément de financer le secteur, car ils considèrent qu’ils ne sont même pas autorisés à le faire. «Au moment où nous sommes dans le marché commun de l’EAC et que les autres pays membres bénéficient des appuis des partenaires au développement facilement, il est difficile de compétir avec ces derniers», signale-t-il. Ils disposent des Investissements Directs Etrangers (IDE) et de grandes entreprises étrangères. Au Burundi, il y en a très peu. Comme il n’y a pas de fonds de promotion et de développement du secteur industriel, ce secteur connaît encore des obstacles à son développement.

La réticence du système financier 

De surcroît, Ntakarutimana signale que le système financier est réticent au financement du secteur agro -industriel. S’il ose le faire, les taux d’intérêt sont très élevés. Le pire est qu’il leur offre des crédits commerciaux qui ne dépassent pas une année, deux ans, trois ans ou cinq ans de remboursement pour quelques exceptions.  Pour se développer, Ntakirutimana fait savoir que les opérateurs économiques qui œuvrent dans le secteur industriel ont besoin de crédits à long terme, c’est-à-dire de dix ans et même plus. Et Ntakirutimana de se demander combien d’investisseurs sont prêts à financer ce secteur pour inverser la tendance. Sont-ils encouragés et motivés, s’interroge-t-il ?  Et de noter que les investisseurs ne sont pas aveugles. Pour venir investir, ils font la lecture de l’environnement des affaires. Ils analysent si investir au Burundi est la même chose qu’investir en Ouganda. Ce problème de financement amaigrit le secteur industriel. 

La pénurie des devises affaiblit le secteur

A côté de cela, Ntakarutimana précise qu’il y a une autre contrainte majeure : la pénurie des devises. S’il n’y a pas de devises, on n’importe pas. Si on n’importe pas, on met les machines au repos. Si on ferme les machines, l’entreprise est fermée. La REGIDESO dit qu’actuellement l’énergie est en abondance, mais  s’inquiète du fait qu’elle fait face à la sous-consommation. Au lieu de se lamenter à propos de la sous- consommation de l’énergie, elle devrait étudier et analyser  le pourquoi de cette situation.  «Si je n’ai pas importé les matières premières, les intrants, les équipements, les emballages…, est-ce que je vais utiliser l’énergie ?» s’interroge Ntakirutimana.

La pénurie des devises constitue un défi majeur au développement du secteur agro-alimentaire

Un autre facteur qui handicape le secteur agro-industriel est la cherté des devises. Supposez que la BRB te donne une quantité Q de dollars qui s’échangent à 1800 FBu l’unité et que l’autre n’en trouve pas. Parce que ce dernier doit importer ses matières premières avec les devises, il se débrouille pour s’approvisionner en devises. Il fait automatiquement recours au marché parallèle où le dollar s’échange à 3000 FBu.  Selon Ntakirutimana, ces deux concurrents ne vont pas faire la même compétition, car ils n’ont pas été financés de la même manière. Celui qui a acheté les dollars à 3000 FBu va fermer très tôt, car il travaille à perte. L’OBR ajoute le drame au drame. Il débarque et entre dans leurs états financiers.  Celui qui a importé avec les dollars achetés à 3000 FBu en pâtit. La valeur de tout ce qu’il a produit et vendu sera ajoutée de 1200 FBu. Après avoir valorisé son stock et ses ventes, on va lui dire qu’il’ a vendu pour 1800 FBu. Tout ce qui est au-delà constitue la valeur ajoutée et on va lui imposer une taxe sur cette dernière. La valorisation de son stock sera taxée pour la seule raison qu’il a acheté les devises à 3000 FBu.

Le manque d’emballages aggrave la situation 

Ce secteur souffre aussi du manque d’emballages adéquats et de qualité. Ntakirutimana indique qu’on trouve dans les boutiques et dans les alimentations des produits emballés dans des bouteilles ramassées dans le dépotoir de Buterere, les caniveaux de différentes infrastructures routières et dans certaines rivières comme Ntahangwa, Kanyosha… Et de signaler qu’il s’agit du miel et d’autres produits qu’on consomme à la maison. Il se demande si les unités de transformation qui les utilisent disposent des techniques suffisantes pour les traiter et les recycler avant de s’en servir comme emballage. Pourtant, Ntakirutimana s’inquiète que ces produits sont sur le marché au vu et au su de tout le monde, y compris les autorités qui  devraient protéger les consommateurs.

La mauvaise interprétation de la loi, une barrière au développement du secteur agro-alimentaire

Un autre défi est lié à la réglementation du secteur. Ntakarutimana fait savoir que que l’année dernière, le gouvernement a sorti le fameux décret sur l’interdiction des emballages en plastique. Nonobstant, il se demande si cela a été fait après avoir analysé s’il y a des emballages de remplacement. De plus, ce décret est souvent mal interprété en perturbant ceux qui les importent pour s’en servir à des fins industrielles. Pourtant, il précise que l’importation des emballages en plastique à usage industriel n’est pas interdite. Aujourd’hui, la plupart des gens en profitent pour entraver le secteur agro- industriel et c’est dommage. Par conséquent, certains de ces opérateurs font recours aux emballages de récupération.

La gestion des chaines de valeur, un obstacle majeur  

La gestion des chaines de valeur constitue un obstacle au développement du secteur agro- industriel. Dans d’autres pays, Ntakarutimana informa que les entreprises agro-alimentaires sont en interaction avec les producteurs des matières premières dont ces entreprises ont besoin. Elles les financent pour disponibiliser en termes d’offre les matières premières. C’est le cas de la bière Nyongera de la Brarudi. Cette société travaille avec les producteurs de sorgho. S’ils ont besoin de crédits dans les institutions de microfinance, la Brarudi les avalise. 

De ces relations naissent l’amélioration des conditions de vie des producteurs de sorgho. Et, au niveau de la Brarudi, le marché est garanti. Les banques aussi ne s’inquiètent pas, car ayant un avaliseur de taille, elles n’ont pas peur de l’insolvabilité des producteurs de sorgho.

Pour faire face aux défis liés à la surproduction saisonnière du secteur agricole, le ministère du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme s’active à commanditer une étude exhaustive sur la conservation, la transformation et la commercialisation des produits agricoles. 

En outre, un projet d’implantation de trois grandes industries agro-alimentaires est en cours d’élaboration. Cela facilitera la valorisation de la production agricole en nette augmentation au cours de ces deux dernières années. Le directeur général de l’Industrie souhaite qu’il y ait des statistiques agricoles fiables pour servir de base aux investisseurs. 

Des stratégies pour améliorer les prestations des industriels 

Vers la fin de 2018, le ministère de l’Industrie a pris des mesures sévères à l’endroit des industriels qui vendent des produits non certifiés. Les agents du ministère ont saisi et confisqué plusieurs types de produits non certifiés en circulation sur le marché de la capitale. C’était dans le but d’attirer l’attention des entrepreneurs sur l’importance de la certification. Pour le moment, le ministère dépêche des équipes sur terrain qui font le porte à porte pour encadrer les industriels. « Les ateliers de formation organisés de façon intensive ne suffisent pas. C’est pourquoi nous avons initié une nouvelle politique qui consiste à visiter les unités de transformation afin d’encadrer chaque unité à part » révèle Mme Nshimirimana. 

Après les travaux de coaching et de renforcement des capacités, il est prévu la mise en place d’une équipe  composée du secteur public (les représentants du ministre du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme, des instituts de recherche, de BBN, de l’ISABU, de l’OBR, du département de recherche à l’Université du Burundi, du CNTA) et du secteur privé (représentants de l’AIB et de la CFCIB) pour le développement du secteur. Le ministère  compte, en plus de l’agro-industrie promouvoir les autres secteurs comme les industries minières, chimiques, mécaniques et métallurgiques. Ainsi, des équipes techniques seront constituées pour le développement de chaque sous-secteur ci-haut mentionné. Elle annonce également des facilités administratives liées à l’octroi de l’autorisation d’implantation qui est désormais délivrée le même jour que le dépôt de la demande.

A propos de l'auteur

Benjamin Kuriyo.

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