Economie

Le marché noir se noircit davantage

La pénurie de devises  frappe de plein fouet l’économie nationale. Le marché de change s’affole avec des taux de change record. Un seul dollar vaut plus de 4 000 FBu sur le marché noir. Ce qui plonge le pays dans une crise économique sans précédent. Analyse

Le taux du billet vert reste volatile sur le marché. Les incertitudes règnent en pleines réformes entreprises par la Banque centrale. Cette dernière tente de résorber l’écart entre le marché parallèle et le marché officiel. Cependant, l’ouverture des bureaux de change et l’autorisation des retraits en devises des transferts instantanés n’arrivent pas à casser les spéculations. Ce jeudi 30 mars 2023, un dollar se change contre 4 100 FBu sur le marché alors que le taux officiel du jour est fixé à 2 095 FBu l’unité.

Le marché est caractérisé par une opacité absolue. Les affiches qui servaient de référence pour les clients n’existent plus devant les bureaux de change nouvellement agréés. Les changeurs qui se sont entretenus avec la rédaction du journal Burundi Eco craignent des représailles s’ils affichent des taux qui ne correspondent pas à la marge bénéficiaire fixée par la Banque centrale. Or, ce taux ne tient pas compte de l’offre et de la demande. Ils préfèrent négocier avec leurs clients pour proposer la meilleure offre qui soit.

Les réserves de change en chute libre

Au cours du 3ème trimestre 2022, les réserves officielles ont diminué de 12,6%. Le pays ne disposait que des devises qui couvrent moins de deux mois d’importation, lit-on dans le rapport de politique monétaire publié en janvier 2023. Les réserves officielles s’établissant à 176,8 contre 282 millions USD à fin septembre 2021. A cette époque,  le FMI avait accordé des fonds et un crédit à court terme. Ce qui a permis de constituer assez de devises pour importer au moins pendant 3 mois.

L’écart entre le taux de change officiel et le taux de change parallèle est dû à la diminution énorme des flux de réserves due à son tour à la diminution des exportations et à la diminution de l’aide publique au développement.

 

C’était un bon départ, mais comme les exportations restent faibles, le pays plonge encore dans une crise économique. La valeur des exportations traditionnelles (l’or et le café) sont en baisse. Le the détrône les deux produits stratégiques. Il figure actuellement à la tête des six produits qui totalisent 75% des exportations au cours du deuxième trimestre 2022,  apprend-on du Bulletin du commerce extérieur de l’OBR.

L’économie en pâtit

Le billet vert a franchi la barre de 4000 FBu alors que le marché noir finance jusqu’à présent 74% des importations du pays. Dans ces conditions, l’inflation importée ne fait que plonger le pays dans le marasme économique. Le pays dépend substantiellement des importations. Quand les importations sont chères, les prix augmentent en conséquence. C’est le cas pour le Burundi qui importe 35% pour compléter l’offre alimentaire (les céréales, les huiles végétales…)

Les économistes s’accordent sur le fait qu’un taux de change compétitif constitue un des instruments importants de la politique industrielle. L’éminent chercheur Professeur Léonce Ndikumana affirme que ce taux favorise l’éclosion d’une économie diversifiée et pérennise la croissance économique. En définitive, le taux de change compétitif favorise l’allocation efficace des ressources dans les secteurs économiques. Il encourage la production nationale par rapport aux importations puisqu’il rend les produits domestiques compétitifs par rapport aux produits étrangers, a fait remarquer prof. Ndikumana lors de la grand-messe de l’économie en novembre 2021.

La dévaluation n’est pas une option

Pour résorber l’écart entre le marché noir et le marché parallèle, certains anticipent et proposent la dévaluation pure et simple du FBu. Le Premier ministre suggère des mesures prudentielles. Sinon, c’est toute l’économie nationale qui risque de s’effondrer. « La dévaluation immédiate de la monnaie risque d’embraser la situation d’autant plus que les spéculateurs vont en profiter pour creuser l’écart », a-t-il déclaré devant le Parlement réuni en congrès.

Dans le contexte actuel, les économistes déconseillent la dévaluation spontanée de la monnaie. « On ne résout pas les problèmes structurels par des mesures monétaires. Si demain la Banque centrale fixe le taux à 3300 FBu, le taux sur le marché parallèle sera de 4500 FBu et le cycle va continuer », a déploré professeur Léonce Ndikumana lors d’une conférence-débat organisée par la BRB en août dernier.

Accroître l’offre en devises

Lors des assises du forum national sur le développement, l’éminent professeur Léonce Ndikumana avait encouragé le gouvernement à initier des réformes. «L’inaction n’est pas une option. Chaque jour qui passe rend le problème plus difficile à résoudre. Et chaque jour qui passe décourage les gens qui attendent des solutions à ce problème», a-t-il déclaré.

« On a beau prendre des mesures pour réguler le marché  de change, mais tant qu’on n’aura pas suffisamment d’offre en devises, toutes les mesures seront vouées à l’échec », a déclaré Tharcisse Rutumo, ex-Administrateur Directeur Général  de la Banque de Crédit de Bujumbura (BCB) en marge du forum national sur le développement.  A en croire ce banquier, il faudra trouver les voies et moyens pour accroitre l’offre en devises.

Comment en est-on arrivé là ?

Aux yeux  du professeur Ndikumana, le marché de change connait des problèmes plus complexes que le taux de change. Du côté de l’offre, l’économie fait face à des rigidités structurelles, notamment une base très fine des exportations, surtout les produits de base qui sont sujets à des chocs internationaux.

L’écart entre le taux de change officiel et le taux de change parallèle est dû à la diminution énorme des flux de réserves due à son tour à la diminution des exportations et à la diminution de l’aide publique au développement et aussi à la demande des dollars pour spéculer sur le marché parallèle, estime Léonce Ndikumana, professeur émérite à l’université de Massachussetts basée aux Etats-Unis. Ainsi, le différentiel du taux de change encourage la contrebande à l’importation puisque les gens y vont pour obtenir des excédents de dollars en surévaluant la valeur des importations qu’ils doivent faire. Il encourage aussi la sous facturation à l’exportation pour pouvoir effectivement disposer des dollars supplémentaires qui vont alimenter le marché parallèle.

De la gestion efficiente de l’aide publique

D’après Pr Ndikumana, la réforme du marché de change est à la fois un exercice technique, politique et institutionnel. L’expérience a montré que le marché de change ouvert et concurrentiel avec la participation de la BRB et des banques commerciales a contribué à éliminer la prime du marché parallèle. Cependant, à l’heure actuelle, ce marché concurrentiel est impossible sans une augmentation des rentrées en devises.

Dans l’immédiat, il faut cueillir les fruits à portée de mains, notamment l’aide publique au développement. Le gouvernement doit améliorer sa capacité d’absorption des financements parce que les bailleurs de fonds tiennent compte de la capacité d’absorption d’un pays. Les retards dans le démarrage des projets de développement n’encouragent pas les autres partenaires à financer le développement, fait remarquer cet économiste reconnu pour son franc-parler et ses recherches inédites sur la fuite des capitaux en Afrique et l’exploitation des ressources naturelles.

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A propos de l'auteur

Benjamin Kuriyo.

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