Culture

Le « Polar africain », une richesse littéraire moins consultée

Mal connu, le polar (roman policier) africain existe bel et bien. Sur tout le continent, des auteurs proposent des œuvres de grande qualité, en anglais, en français, en portugais ou en espagnol. Souvent très engagée, attentive à la réalité politique, économique et sociale des pays qu’elle prend pour cadre, cette littérature est riche et dépaysante. C’est ce qui est ressorti d’un café littéraire qui s’est tenu jeudi le 17 octobre 2019 dans les enceintes de l’Institut Français du Burundi (IFB)

« Evoquant de nombreux thèmes : la fraude et la corruption politique, la violence, les guerres, les trafics et le braconnage, les alliances stratégiques, l’exode des populations, la modernité face aux traditions…, les auteurs s’attachent à partager leurs préoccupations avec leurs lecteurs. Ce qui ne veut pas dire que le mystère et le suspens ne soient pas au rendez-vous », a lancé Mme Christine Deslaurier, historienne et animatrice dudit café littéraire.

Mme Christine Deslaurier, historienne et animatrice du café littéraire : « Montrer la réalité du quotidien africain fait partie du vœu de didactisme des auteurs de partager les connaissances sociales et politiques qui servent de  » révélateurs objectifs aux vices d’une société sclérosée » »

Sous la plume des auteurs africains, le roman policier vient ausculter des pans souvent opaques de la société: des crimes liés aux croyances comme dans « Sorcellerie à bout portant » d’Achille Ngoye, le trafic de drogue comme chez Abasse Ndione, mais aussi des problématiques socio-économiques liées à la réalité d’une Afrique à une époque postcoloniale: corruption, violence policière, racisme, immigration comme dans la série policière du marocain Driss Chraïbi.

Sur l’ensemble du continent, le polar a connu une nouvelle dynamique en parallèle des mouvements d’émancipation (décolonisation et fin de la ségrégation raciale en Afrique du Sud). Karen Ferreira-Meyers observe que ce phénomène est très marquant en Afrique du Sud. Comme on le trouve dans son ouvrage « Le polar africain, Le monde tel qu’il est ou le monde tel qu’on aimerait le voir », les intrigues des polars africains ne constituent pas les parties les plus intéressantes de ces narrations. En revanche, l’information sociologique que l’auteur veut partager avec son lecteur (ce qui inclut les préoccupations concernant la mondialisation, les alliances stratégiques, les diamants, le braconnage d’ormeau, le trafic international de la drogue, la course aux armements, la corruption politique, la fraude et les scandales) devient quintessentielle.

« Jaime Bunda », un exemple d’un polar à l’honneur de la gent féminine

Jaime Bunda, agent secret ravira les lecteurs des romans, policiers ou non, déjantés et loufoques. Jaime Bunda, dit Popotin, sorte de Gaston Lagaffe (pour le côté dilettante) mâtiné de brave soldat Chvéik (pour les initiatives inattendues), est un petit rond de cuir prétentieux sous-utilisé qui ne doit une position enviée dans les services de renseignement angolais qu’à la protection de son oncle directeur des opérations de la maison. Pour des raisons qui lui échappent, Jaime se voit confier l’enquête sur le viol et le meurtre d’une gamine de 14 ans ; une affaire relevant logiquement de la police criminelle qui va connaître des rebondissements impliquant un politicien véreux et des trafiquants de toutes sortes. Voilà donc Popotin menant une enquête de proximité et mettant en place des filatures, et cela de façon parfois très approximative, mais, bizarrement, avec un certain succès. Pepetela, l’auteur du roman, décortique à merveille la société angolaise, avec verve et humour. Si l’intrigue policière de départ est plutôt banale, les événements qui s’ensuivent sont l’occasion de pointer les dysfonctionnements d’un pays où règnent la corruption et le népotisme et qui, pour beaucoup, a trahi les idéaux de la révolution d’indépendance.

Représentation de la réalité à travers la mimèsis littéraire

Montrer la réalité du quotidien africain fait partie du vœu de didactisme des auteurs de partager les connaissances sociales et politiques qui servent de « révélateurs objectifs aux vices d’une société sclérosée ». Le désir pédagogique omniprésent chez le congolais Achille Ngoye dans ses romans policiers, notamment dans « Sorcellerie à bout portant » est le souci de remonter à l’archéologie du savoir, à la source des événements qui ont mené au présent, avec la mise en valeur du fonctionnement intime du pouvoir. Le tout fondé sur des faits reconnus dans certains textes d’analyse politique de la société congolaise.

Les auteurs d’ «Afrique du Nord», tels l’algérien Yasmina Khadra, le marocain Driss Chraibi ou le tunisien Jamel Ghanouchi écrivent des romans noirs dans lesquels les enquêtes policières deviennent des prétextes à un témoignage socio-politique sur les différentes sphères de leurs sociétés.

Le roman policier doit permettre l’émergence d’une raison critique pour faire face aux démons des sociétés africaines, tels que le racisme et le tribalisme, les déviances sexuelles, le manque de valeur, notamment dans les zones nouvellement urbanisées et les peuples aux prises avec l’imaginaire sorcier du village. « Un grand nombre de romans n’utilise plus la trame policière comme matrice globalement organisatrice du texte, mais comme une passerelle guidant vers les aspects et problèmes les plus divers du monde actuel », a martelé Mme Deslaurier.

A propos de l'auteur

Bonaparte Sengabo.

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