L’octroi des exonérations laisse des zones d’ombre. Le montant des exonérations accordées ne cesse d’augmenter. Pourtant, le budget de l’Etat prévoyait le même montant au cours des cinq dernières années. La loi budgétaire est violée au vu et au su de tout le monde. Du 1er juillet 2019 au 31 janvier 2020, par rapport aux prévisions, le coût des exonérations est estimé à 191,7 milliards de FBu au lieu de 18 milliards de FBu. La société civile rejette ce qu’elle qualifie de « dépassement volontaire et exagéré des exonérations »
Les procédures d’octroi des exonérations questionnent. Le dépassement des plafonds fixés dans le budget de l’Etat est devenue monnaie courante. A titre illustratif, les exonérations accordées au cours de l’exercice budgétaire 2019-2020 sont évaluées à 191,7 milliards de FBU sur 18 milliards de FBu prévus. Là où le bât blesse, presque la moitié de ces exonérations, soit 42,74% ont été accordées dans le cadre de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires et dans le cadre des accords bilatéraux et/ou multilatéraux avec les partenaires techniques et financiers. En outre, l’analyse montre clairement que les exonérations accordées dans le cadre des incitations fiscales aux investisseurs par le code des investissements représentent seulement 19,45% des exonérations totales.
On note également que les exonérations accordées par des lois spécifiques à certaines personnalités par rapport aux fonctions qu’elles occupent et les décisions du Gouvernement représentent 0,12% des exonérations totales. En vue de la mise en œuvre des politiques sociales, précisément dans le secteur de la santé (équipements médicaux, produits pharmaceutiques et les médicaments) et la politique agricole (intrants et produits vétérinaires), les exonérations accordées dans ces secteurs ont représenté 5,11%. De surcroît, les exonérations accordées aux Associations Sans But Lucratif (ASBL) aux établissements privés représentent 2,04% des exonérations totales.
Les montants des exonérations explosent d’année en année.
La Cour des comptes ne cesse d’alerter sur le taux élevé des exonérations. D’après le rapport de la Cour des Comptes, le montant des prévisions des exonérations n’a pas changé de 2017 à 2018 au moment où les rapports de l’OBR montrent que sur un montant de 18 milliards de FBu prévus, 111 568 000 000 de FBu ont été exonérés jusqu’au 30 septembre 2018, soit un taux d’exécution de 619,9%.
Cette nette augmentation des exonérations ne date pas d’aujourd’hui. En 2015, alors que le budget de l’Etat prévoyait 18 milliards de FBu d’exonérations, le taux de réalisation a été de 466,2%, soit plus de 100 milliards de FBu accordés en exonération par le fisc. En 2017, le chiffre s’est porté à plus de 111 milliards de FBu, toujours contre18 milliards de FBu d’exonérations prévus par loi. Du 1er juillet 2019 au 31 janvier 2020, par rapport aux prévisions, le taux d’exécution des exonérations a explosé à plus de 490%.

Dr Domitien Ndihokubwayo, ministre des Finances, du Budget et de Planification Economique :«La suppression des exonérations risque de repousser les investisseurs étrangers ».
Des exonérations qui ne riment pas avec la réalité économique
Selon Nestor Bayubahe, professeur à l’Université Lumière de Bujumbura, la situation des exonérations au Burundi ne tient pas compte de la réalité économique. D’emblée, les grands bénéficiaires des exonérations, ce ne sont pas eux qui en méritent le plus. En principe, Bayubahe indique qu’on accorde des exonérations pour inciter les gens qui ont des capitaux à venir investir dans le pays afin de créer des emplois et de lutter contre le chômage. D’après Stany Ngendakumana, directeur de la communication et des services aux contribuables à l’OBR, la condition primordiale pour bénéficier de l’exonération est la base légale. D’autres préalables telles que l’attestation fiscale qui montre que le requérant n’est pas redevable et les autres documents sont à fournir.
Les économistes alertent. Si la situation perdure, Bayubahe craint que l’économie burundaise risque d’être en récession. Selon lui, les bénéficiaires des exonérations devraient contribuer à l’accroissement de l’économie. Nonobstant, ce qui s’observe est qu’ils s’enrichissent au lieu de booster l’économie du pays. Pour le professeur Gilbert Niyongabo, il faut les plafonner. Sinon, cela devient illégal et inéquitable. Selon lui, le Parlement burundais devrait s’y pencher.
Un moyen d’attirer les investisseurs étrangers
Pr Bayubahe demande aux décideurs de prioriser les investisseurs étrangers dans l’octroi des exonérations, car ce sont eux qui amènent beaucoup de capitaux. Dans ce sens, même la problématique des devises pourra être maîtrisée.
Pour Faustin Ndikumana, directeur de la Parcem, le montant total des exonérations accordées aux investisseurs au cours des cinq dernières années dépasse de loin celles prévues par les lois budgétaires. La loi budgétaire a été violée en matière d’exonérations. « La loi limite le montant des exonérations à 18 milliards de FBu. Mais, cela n’empêche pas que l’Etat perde plus de 100 milliards de FBu par an ». Le président de la Parcem appelle à une gestion rigoureuse des exonérations accompagnée d’une politique claire de recouvrement des exonérations accordées indûment.
Les fraudes sur les exonérations empirent la situation
Pire encore, en plus de cette augmentation croissante des exonérations, l’autorité fiscale affirme que les fraudes sur les exonérations sont une réalité. Pour y pallier, la loi budgétaire de l’exercice 2018 a instauré une caution préalable de 30% du montant total de l’exonération au bénéficiaire potentiel. Ainsi, chaque investisseur était sommé de payer une garantie de 30% du montant total de l’exonération avant de récupérer ses marchandises. «L’OBR a remarqué que certains investisseurs détournent les biens exonérés à d’autres fins. Notamment ceux qui sollicitent des exonérations pour la construction des hôtels. Ils importent des quantités excessives de matériaux de construction par rapport aux projets présentés à l’API et à l’OBR. Certains ne construisent même pas une petite maison, alors qu’ils ont reçu des exonérations pour construire des hôtels», s’exprimait Audace Niyonzima, ex-commissaire général de l’OBR dans les colonnes du journal IWACU.
D’après la même source, le remboursement des cautions se fera après la vérification de l’utilisation des biens exonérés. Malgré la mise en garde adressée à ceux qui utilisent les biens détaxés à d’autres fins-ils paieront aussi des amendes pour détournement des biens exonérés-la situation perdure. En principe, les exonérations sont octroyées pour faciliter les investisseurs à accroitre la production nationale en vue de contribuer au bien-être de la population. Paradoxalement, les exonérations profitent aux grandes personnalités au détriment des secteurs de production et les secteurs sociaux, estime l’Olucome. Cette Ong engagée dans la lutte contre les malversations économiques regrette le fait que le gouvernement réalise des dépassements d’exonérations d’années en année sans l’aval du Parlement. Il s’agit d’un « dépassement volontaire et exagéré des exonérations ».
Pour Désire Musharitse, directeur de l’API, le dépassement des exonérations n’a pas d’impact sur le budget d’autant plus que ce montant n’influe pas sur le déficit budgétaire. D’ailleurs, il serait préférable de revoir à la hausse les prévisions des exonérations. Le problème n’est pas à ce niveau. Par contre, on pourrait se demander si les bénéficiaires ne trichent pas. Par ailleurs, si le nombre d’investisseurs qui bénéficient de ces avantages augmente, le pays va se développer.
Quel impact sur l’économie nationale ?
Le patron de l’API confirme que les exonérations favorisent l’investissement. Pour preuve, la multiplicité des entreprises locales. Ces dernières participent au développement socio-économique du pays, estime M. Musharitse lors d’une récente conférence animée sur les réalisations trimestrielles de l’API.
Dans un documentaire intitulé : «Investir au Burundi : ils ont réussi», l’Agence de Promotion des Investissements (API) accorde la parole aux investisseurs bénéficiaires des avantages du code des investissements. Les opérateurs économiques témoignent des retombées positives des exonérations sur leurs activités économiques. Grâce aux exonérations, les usines de transformation du thé, les laiteries, les minoteries, les industries extractives des mines, les hôpitaux et les hôtels ont été consolidées. Les investisseurs ont pu importer les matières premières, les équipements exemptés des droits de douane et des taxes. Bref, les exonérations contribuent au développement du secteur industriel, à la création de l’emploi et, partant, à doper l’économie nationale.
Faudra-t-il supprimer les exonérations ?
Le député Léopold Hakizimana réclame purement et simple la suppression des exonérations au lieu d’exercer le poids sur le petit contribuable toujours pauvre. « …, les exonérations sont accordées aux grands opérateurs économiques ». Dr Domitien Ndihokubwayo, ministre des Finances, du Budget et de Planification Economique nuance les types d’exonération. Les exonérations sont accordées aux investisseurs et pas à des magnats comme certains le croient. « Si vous n’avez pas investi dans un secteur visant le développement du pays vous n’êtes pas éligible aux exonérations ».
Pour le ministre Ndihokubwayo, les exonérations sont assimilables aux subventions de l’Etat pour faciliter les retours aux investissements. La suppression des exonérations risque de repousser les investisseurs étrangers. Logiquement, on accorde des exonérations en fonction des retombées positives à moyen terme sur l’assiette fiscale et, partant, sur l’économie nationale.
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