Société

Migration des jeunes Burundais vers la Tanzanie : A leurs risques et périls

A la quête d’une vie meilleure, les jeunes des provinces de Ngozi et Kayanza migrent en bonne quantité vers les pays étrangers dont la Tanzanie. Une aventure qui tourne mal dans la plupart des cas, mais qui ne manque jamais de candidats. Au banc des accusés : La pauvreté. Serait-elle l’unique cause de cette migration des jeunes vers les pays limitrophes ? Pourquoi les initiatives du gouvernement pour l’autonomisation des jeunes ne parviennent pas à les retenir ? Reportage.

Vianney Ndikumana est secrétaire Permanant dans la province de Kayanza : « Il faut qu’il y ait des accords d’échanges de main d’œuvre entre le Burundi et la Tanzanie comme cela a été le cas pour l’Arabie saoudite ».

 Vianney Ndikumana est secrétaire Permanant dans la province de Kayanza : « Il faut qu’il y ait des accords d’échanges de main d’œuvre entre le Burundi et la Tanzanie comme cela a été le cas pour l’Arabie saoudite.« L’herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin », a dit un sage. Dans l’espoir de trouver une vie meilleure, les chiffres des jeunes des différentes provinces qui migrent vers les pays voisins à la quête de l’emploi se multiplient du jour au lendemain. Ce phénomène n’épargne pas les jeunes des provinces de Ngozi et Kayanza.

Nous sommes sur la colline Kinyinya de la commune et province de Ngozi. Une dizaine de jeunes vient à notre rencontre. Parmi eux, plus de la moitié ont été en Tanzanie au moins une fois à la recherche de l’emploi. Léonard Bucumi ,31 ans, est l’un d’entre eux. Il y est allé pour la première fois à l’âge de 25 ans. Comme il le témoigne, avant de se rendre en Tanzanie, il vivait dans une pauvreté extrême. C’est ainsi qu’un ami lui a parlé du bien fondé d’aller chercher de l’emploi en Tanzanie. Un conseil qu’il a accepté les yeux fermés sans toutefois s’attarder sur le prix à payer. La plupart de ces jeunes partent en groupes. Pour eux, les papiers administratifs importent peu. Sur des vélos, les cœurs remplis d’espoir, leur préoccupation n’est que celle de rejoindre cet eldorado pour jeunes de cette région. De leur colline natale, ils empruntent la route menant vers Gitega pour passer à Rutana et enfin arriver à la rivière Malagarazi, frontière du Burundi et de la Tanzanie. Un trajet de plus de 200 km.

Toute cette peine pour rentrer bredouille

Comme le raconte notre interlocuteur, l’espoir de pouvoir gagner enfin un peu de sou surpasse la fatigue connue dans ce long parcours. Après deux jours de trajet, il arrive enfin en Tanzanie, la terre promise. Rien d’inquiétant. Tout est préparé à l’avance. Un emploi, une hutte dans les forêts près des champs là où ils vont séjourner, de la nourriture, la totale. Il va travailler dans les champs. Comme il le témoigne, dans les travaux champêtres, les Burundais sont les préférés aux Tanzaniens, car ils se débrouillent très bien. Selon lui, c’est un travail pénible, mais plus rémunérant comparativement au Burundi. Il gagnait par jour l’équivalent de 6000 FBu en Tanzanie alors qu’au Burundi, il ne gagnait que 2500 FBu par jour pour le même travail. Il a exercé ce métier pendant cinq mois avant de décider de rentrer au Burundi.  De l’argent tiré de ce pénible travail, il a pu se procurer un vélo et épargner une somme de 500 mille shillings. Une fortune par laquelle il espérait réaliser mille et un projets. Si au moins il avait une idée de ce qui l’attendait sur le chemin du retour. Sur la frontière, il s’est vu dérobé tout ce qu’il avait sur lui par des cambrioleurs. C’est ainsi qu’il est rentré bredouille dans sa famille.

Désiré Kwizerimana ,23 ans et marié, lui aussi a bu sur ce calumet coupe. Un commissionnaire l’a amené en Tanzanie à l’âge de 12 ans. « J’ai travaillé dans les champs pendant 2 ans et je n’ai jamais été payé. J’étais mineur et dans l’irrégulier. Je n’avais aucun droit », regrette-t-il. Il y est retourné un peu après. « Tout l’argent que je gagnais je le consommais sans modération, car j’étais encore enfant et il ne m’a servi à rien. Durant les 7 ans que j’ai travaillés en Tanzanie, je n’ai rien gagné. Hélas, je suis tenté d’y retourner », fait-il savoir.

Entre deux maux, on choisit le moindre

Cette aventure qui, dans la plupart des fois tourne, au vinaigre ne semble pas décourager ces jeunes.  Selon nos interlocuteurs, plus de la moitié de ceux qui empruntent ce chemin dans l’illégalité sont dévalisés.

Thadée Niyonganji, lui aussi, a vécu cette expérience. Il travaille en permanence en Tanzanie. Il ne vient au Burundi qu’en congé. Comme ses amis, un jour, lui aussi a été dérobé de tout qu’il ramenait de la Tanzanie et une somme d’environ 400 mille shillings tanzaniens. Mais cela ne semble pas le décourager du tout. « On part comme des kamikazes, étant prêts à tout. C’est comme la loterie. On peut te dévaliser ou pas. Cela dépend de la chance de chacun. En tout cas, moi, je ne pourrais plus me passer de la Tanzanie. Tant que je n’aurai pas de travail fixe, je ne rêverai jamais de rester au Burundi », nous confie-t-il.

Jonas Gahungu. « S’il y avait quoi faire ici pour gagner sa vie, ça ne vaudrait pas la peine d’aller risquer sa vie à l’étranger ».

Jonas Gahungu.  « S’il y avait quoi faire ici pour gagner sa vie, ça ne vaudrait pas la peine d’aller risquer sa vie à l’étranger ». Même son de cloche chez Jonas Gahungu. Selon lui, ces jeunes ne vont pas en Tanzanie parce que la vie est rose là-bas, mais plutôt par manque d’opportunités au Burundi. « S’il y avait quoi faire ici pour gagner sa vie, ça ne vaudrait pas la peine d’aller risquer sa vie à l’étranger. Rester ici non plus ne rassure pas. Travailler pour 2000 FBu toute la journée alors que même un kilo de farine coûte plus que ça…c’est injuste », regrette-t-il. Et d’ajouter qu’il préfère galérer en Tanzanie plutôt qu’au Burundi. Selon lui, un conseil qu’il prodiguerait à quiconque voudrait y aller est simple. « Attends-toi à tout, même à la mort. La réussite n’est pas garantie, mais vas-y quand même », signale-t-il.

Les parents dans le désarroi

Therencienne Gakobwa, 65 ans, habite la colline Kinyinya. Selon elle, ce phénomène ne date pas d’hier sur cette colline et est dû en grande partie à la pauvreté. « Un enfant qui peut facilement avoir tout ce qu’il lui faut pour vivre ne peut pas songer à y aller. C’est vraiment douloureux de voir le sort que subissent nos enfants en Tanzanie. Je sais ce que je dis, mon fils y a séjourné. J’aurais aimé qu’il reste ici, mais pour faire quoi ? On ne sait même pas quoi demander », regrette-t-elle.

Désiré Ndihokubwayo, 50 ans, habite la colline Mubira, commune Ruhororo de la province Ngozi. Son fils de 22 ans est en Tanzanie depuis bientôt 3 ans. « Il a fui la pauvreté dans laquelle nous baignons. Peut-être si on avait quelques moyens financiers, mon fils ne serait pas parti. Je suis malheureux. Je n’ai aucune nouvelle de lui depuis », nous confie-t-il, les larmes aux yeux.

Vénéranda Nyabenda : « Les parents sont fatigués. Si ton enfant part en Tanzanie et qu’il te revient vivant, même s’il rentre bredouille et malmené tu remercies le bon Dieu ».

Vénéranda Nyabenda : « Les parents sont fatigués. Si ton enfant part en Tanzanie et qu’il te revient vivant, même s’il rentre bredouille et malmené tu remercies le bon Dieu »Vénéranda Nyabenda a 55 ans. Elle a 3 enfants qui sont en Tanzanie pour le moment. L’un d’entre eux y est depuis 8 ans déjà. Il n’est jamais revenu depuis qu’il y est allé. Ses deux autres enfants y sont partis l’an dernier. « Ils ont été tabassés, dévalisés, ils sont arrivés à la maison étant à deux doigts de la mort. Mais, puisqu’ils n’avaient pas de choix face à la pauvreté dans laquelle nous baignons, ils y sont retournés la semaine dernière », regrette-t-elle. « Les parents sont fatigués. Si ton enfant part en Tanzanie et qu’il te revient vivant, même s’il rentre bredouille et malmené tu remercies le bon Dieu », ajoute-t-elle. Elle demande qu’il y ait de l’emploi pour ces jeunes. Selon lui, cela pourrait les empêcher de partir. « Après tout, Ils ne gagnent rien là-bas sauf la torture », conclut-elle. Sinon, avec cette pauvreté, ils ne vont pas rester ici.

 La pauvreté ou le suivisme ?

Si certains parents évoquent la pauvreté comme la seule cause de cette migration, les autres le pensent autrement. Désiré Ikoribikomeye a 37 ans. Selon lui, aucun parent ne pourrait envoyer son enfant en Tanzanie pour chercher de quoi nourrir sa famille malgré la pauvreté. Pour lui, ces jeunes sont simplement épatés par ce que les autres amènent de la Tanzanie et sont tentés d’y aller (une réflexion qui a d’ailleurs été confirmée par certains de ces jeunes). « Ils abandonnent l’école pour suivre les commissionnaires en Tanzanie et, dans la plupart des cas, à l’insu de leurs parents. Même les mineurs y vont », signale-t-il.

Léonard Bitangimana a 49 ans. Il habite la colline Ndava, commune Muhanga de la province de Kayanza. Il qualifie ce phénomène d’« apocalypse ». « Ce n’est pas la pauvreté qui pousse ces jeunes à partir. C’est un autre phénomène qu’on ignore », signale-t-il avec une voix pleine d’émotions. Il ne veut pas en dire long « de ses émotions ». Après une minute de silence, il nous raconte son sort. « Si c’était la pauvreté qui poussait ces jeunes à migrer vers la Tanzanie, mes enfants n’auraient pas été les premiers à y aller. Je suis commerçant depuis un bon bout de temps. J’ai tout fait pour que mes enfants ne manquent de rien. Mes voisins ici présents en sont témoins. J’ai tout donné à mes enfants, mais cela ne les a pas dissuadés de partir », regrette-t-il.

Même son de cloche chez Jérémie Ngendakumana. Selon lui, la pauvreté y est certainement pour quelque chose. Mais elle n’est pas la seule cause de ces migrations. Il trouve que parfois le suivisme peut y contribuer aussi dans la jeunesse. « Si au moins ils s’enrichissaient à partir de l’argent qu’ils tirent de la Tanzanie. Ils n’apportent que de petites choses comme les plaques solaires, les téléphones, les radios, les pantalons de marque Kanyaga, pour ne citer que ceux-là », fait-il savoir. « Si au moins leurs parents pouvaient profiter de ces petites choses qu’ils apportent de la Tanzanie. Malheureusement, arrivés ici, ils les revendent pour avoir un ticket retour », regrette –t-il.

Une préoccupat  ion pour l’administration locale

Emile Karenzo, 53 ans, adjoint du chef collinaire de Mubira, fait savoir que ce phénomène préoccupe beaucoup l’administration locale. Selon ses propos, plus de 200 jeunes de sa colline sont en Tanzanie actuellement, y compris son fils de 14 ans qui est parti à son insu. Pour lui, les causes de cette migration varient d’un jeune à l’autre mais, dans la plupart des cas, elle est due au chômage.  « Il y a une catégorie de jeunes qui n’ont pas de place suffisante dans les initiatives du gouvernement : Les non-scolarisés. Nous fournissons tant d’efforts pour les retenir ici, mais nous échouons, car nous n’avons pas d’autres alternatives à leur proposer », regrette-t-il. Pour cette autorité, la meilleure façon d’éradiquer ce phénomène serait de créer de l’emploi pour occuper ces jeunes.  Pour ce qui est des initiatives du gouvernement dans l’autonomisation des jeunes, M. Karenzo fait savoir que le PAEEJ n’est pas encore arrivé sur cette colline et les jeunes ne trouvent pas d’intérêt à intégrer les coopératives Sangwe, car ils n’y gagnent presque rien. Il évoque également la surpopulation qui fait qu’il n’y ait plus de terrains cultivables en suffisance et le suivisme juvénile.

Rénovat sylvestre Sinibagiye est conseiller social de l’administrateur de la commune de Muhanga. Selon lui, dans le but de couper court à ce phénomène, entre le mois de Juin et le mois de juillet 2023, l’administration communale de Muhanga a mis la main sur 44 jeunes d’un âge compris entre 18 et 38 ans qui allaient migrer vers la Tanzanie. Après, ils ont arrêté un groupe de 26 jeunes. La plupart d’entre eux avaient abandonné l’école. 5 jeunes qui rassemblaient les autres pour les amener en Tanzanie ont été également arrêtés et emprisonnés. « C’est cela qui commence à décourager ce phénomène », témoigne-t-il.

Patrice Barutwanayo, vice-président de la CFCIB à Ngozi, trouve que le remède durable de ce phénomène serait la création de l’emploi pour occuper ces jeunes. Et de là, il a de l’espoir car les Burundais commencent à adopter l’investissement sur le long terme. Ce qui n’était pas le cas dans les années passées. Comme il l’explique, suite à l’histoire qu’a connue le Burundi, personne n’osait investir durablement, car il n’y avait pas d’espoir, pour le lendemain.  Malgré cette avancée significative en matière d’investissement, les emplois créés restent insuffisants comparativement aux demandeurs d’emplois. Il appelle les entrepreneurs à créer le plus d’emplois possibles, où chacun, qu’il soit instruit ou pas peut avoir un emploi proportionnel à son niveau d’étude. Il regrette cependant que les jeunes ne soient pas au courant des initiatives comme le PAEEJ mis en place pour leur autonomisation.

Vianney Ndikumana est chef de cabinet dans la province de Kayanza. Selon lui, même s’ils ne disposent pas de statistiques actualisées, ce phénomène est une réalité dans la province de Kayanza. Il appelle les jeunes de cette province à intégrer les coopératives et à initier des projets de développement pour s’autofinancer. Au gouvernement du Burundi, il demande qu’il y ait des accords d’échanges de main d’œuvre entre le Burundi et la Tanzanie comme cela a été le cas pour l’Arabie saoudite : « Cela permettrait que ces jeunes gagnent leurs salaires en bonne et due forme et qu’ils soient protégés. »

 

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A propos de l'auteur

Florence Inyabuntu.

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