Edition spéciale entrepreneuriat

Nadège Irakoze, la cordonnerie dans la peau

Au moment où les jeunes diplômés se morfondent dans l’oisiveté en attendant que l’Etat veuille bien leur trouver du travail, Nadège Irakoze a vite compris que c’était trop peu pour elle. Après ses études universitaires, elle a directement fondé son entreprise de cordonnerie. Burundi Eco est parti à la rencontre de cette jeune femme qui a embrassé un domaine où les filles se comptent sur les doigts de la main

Nadège Irakoze, initiatrice d’une entreprise de fabrication des sandales : «Nous ne parvenons pas à satisfaire toutes les commandes parce qu’on n’a pas un capital suffisant pour acheter une grande quantité de matières premières. On est obligé d’attendre que les premières commandes soient payées pour nous approvisionner »

Nadège Irakoze est native de Gashikanwa, une des communes de la province de Ngozi. Elle est née en 1991 et vient de se marier depuis bientôt 9 mois. Cette cadette d’une fratrie de 4 enfants est diplômée en communication d’une université de Bujumbura. Débordante d’énergie, on a l’impression de courir le marathon quand on fait une interview avec elle. Entre la machine ponceuse, la presse à bouton, les couteaux Mozart et d’autres instruments aux noms compliqués, on a l’impression qu’elle frotte dans son atelier sis au quartier Gabiro, rue Mubuga dans les bâtiments de l’ancien hôtel «Petit Arrêt» de la ville de Ngozi. Le reporter de Burundi Eco l’a trouvée seule dans son atelier, et pour cause, elle a accordé un week end libre à ses trois employés qui sont partis se reposer à Kirundo.   

Comment a-t-elle atterri dans la cordonnerie ?

Mme Irakoze avait la fibre entrepreneuriale depuis son enfance. Elle se rappelle qu’elle disait à sa mère qu’elle aura une entreprise de tannerie à elle. Sa mère riait tendrement  pensant à un rêve utopique comme en ont tous les gosses. A 9 ans déjà, elle s’initiait à la vannerie. C’est quand elle a commencé l’université qu’elle est entrée de plein pied dans l’artisanat. Elle a ouvert un stand au Musée Vivant de Bujumbura où elle vendait des paniers que lui fournissaient les artisans de Gitega et des sac-à-main qu’elle fabriquait elle-même à partir du raphia. Elle se rappelle qu’elle séchait  souvent ses cours pour aller s’approvisionner à Gitega. Au moment où les autres jeunes parcourent les entreprises à la recherche d’un stage professionnel, cette fille d’une détermination sans pareil a payé 50 mille FBu pour un stage de 2 jours. Tellement elle sentait le besoin de pratiquer les théories apprises sur internet. Elle voulait aussi connaître les matières premières utilisées dans la cordonnerie   

Un capital de 3. 529.000 FBu au démarrage de son entreprise

«J’ai fait la communication pas dans le but de devenir journaliste comme la plupart de mes condisciples, mais dans le seul but de développer mon propre entreprise», susurre-t-elle.   Je me suis mise à glaner des informations que ce soit via internet ou ailleurs. Je dévorais toutes les formations en rapport avec l’entrepreneuriat qui me tombaient sous la main. Le cuir a petit-à-petit retenu mon attention. J’ai donc effectué des recherches plus approfondies sur l’industrie de la chaussure. C’est pour cela que j’ai confectionné un plan d’affaire d’une entreprise de fabrication des sandales en dernière année d’université dans le cadre d’un devoir du cours d’entreprenariat. Quand j’ai terminé mes études universitaires, je suis revenue à Ngozi et, coup de chance, le projet PRODEFI du FIDA, en partenariat avec le BBIN a organisé des formations en entrepreneuriat pour les jeunes que j’ai suivies avec beaucoup d’intérêt. BBIN a organisé un concours de projets à la fin de la formation. Les trois projets les plus innovants devaient être financés. Mon projet a remporté la 1ère place et a bénéficié d’un financement de 3 millions de FBu. J’ai vendu mon fonds de commerce au Musée Vivant et j’ai installé définitivement mon entreprise à Ngozi depuis mars 2016, raconte Mme Irakoze. J’ai démarré avec exactement  3.529.000 FBu, déclare-t-elle

Un chiffre d’affaires mensuel compris entre 400 mille et 1 million de FBu

«Actuellement, nous fabriquons entre 100 et 120 paires de sandales par mois. Cela dépend des périodes. Parfois les commandes diminuent, mais très souvent, elles augmentent tellement que nous avons du mal à les honorer entièrement. On a un chiffre d’affaires mensuel compris entre 400 mille et 1 million de FBu», indique Mme Irakoze juchée sur un tabouret derrière une table garnie de plusieurs types d’instrument et de bouts de cuir. Concernant les débouchés, Irakoze déclare sans l’ombre d’un doute qu’ils ont assez de clients. Nous ne parvenons pas à satisfaire toutes les commandes parce qu’on n’a pas un capital suffisant pour acheter une grande quantité de matières premières. On est obligé d’attendre que les premières commandes soient payées pour ensuite nous approvisionner en matières premières. Nos produits sont de meilleure qualité que ceux importés d’Ouganda ou de Chine. D’où une forte demande, fait savoir la jeune entrepreneure.     

Les défis ne manquent pas

Mme Irakoze voudrait bien agrandir son entreprise car, comme elle vient de le dire, la demande est très élevée. Malheureusement certaines barrières l’empêchent de passer à la vitesse supérieure. D’abord, elle voudrait acheter des machines qui permettent de doubler la cadence de production. Elle dit avoir absolument besoin de machines à couper, car actuellement la coupe se fait manuellement. Ce qui diminue considérablement le rendement de son entreprise. Il nous faut aussi augmenter les formes à monter car, pour le moment, on utilise encore le mètre-ruban. Cela prend énormément de temps. Ensuite, il est nécessaire d’augmenter l’effectif des employés. Mais avant d’augmenter le nombre d’employés, il faut d’abord se procurer ces machines. Enfin, Il faudra avoir non seulement ces machines, mais aussi un grand capital pour acheter une quantité suffisante de matières premières pour les alimenter, indique Mme Irakoze.

Avant d’augmenter le nombre d’employés, il faut d’abord se procurer ces machines. Il faudra avoir non seulement ces machines, mais aussi un grand capital pour acheter une quantité suffisante de matières premières pour les alimenter

Une banque de garantie pour les jeunes  serait la bienvenue

Sur cette question de financement, elle avoue que les banques octroient difficilement les crédits aux jeunes parce qu’ils n’ont pas de garanties à leur proposer. C’est pourquoi elle voudrait que la banque pour les jeunes soit mise en place rapidement. A ce sujet, la jeune entrepreneure raconte une triste anecdote au reporter de Burundi Eco. Quand elle a voulu contracter un crédit, la banque a refusé de prendre son fonds de commerce en garantie. Elle lui a plutôt demandé d’amener un avaliseur. Elle a amené son père. Mais là aussi, la banque a exigé que le compte de son avaliseur soit domicilié chez elle; chose qui n’était pas faisable. Elle a ensuite proposé comme hypothèque la maison de son père d’une valeur de 9 millions de FBu avec  titre de propriété alors qu’elle ne demandait qu’un crédit d’un million de FBu. Finalement, elle n’a jamais reçu la réponse de la banque. Pour pallier à ce manque de financement, elle développe des relations de confiance avec ses fournisseurs qui lui apportent les matières premières à crédit.   En revanche, elle épargne chaque centime gagné pour augmenter le capital de son entreprise. C’est vrai qu’elle a une promesse de financement de la part du PRODEFI pour l’achat des machines. Elle se prépare  à s’acquitter de sa part sans problèmes le moment venu.

Le parcours n’a pas été une promenade de santé

Au début, elle ne connaissait pas bien les matières premières qu’on utilise dans la cordonnerie. Elle n’avait eu qu’un stage pratique court de 2 jours. Elle exhibe un sac rempli de semelles qui se sont avérées être de piètre qualité. « Quand on les utilisait, elles ramollissaient après deux jours et les clients revenaient très fâchés. On a été obligé de refaire toutes des sandales qu’on avait fabriquées avec ces semelles », indique Mme Irakoze avec un brin d’amertume dans la voix. Elle a également eu des difficultés avec les mauvais clients. Certains ont pris des livraisons et ont disparu dans la nature sans payer. Heureusement, maintenant les choses vont bien, se console la jeune dame.

Des yeux plus gros que le ventre ? 

Mme Irakoze fait feu de tout bois. Elle essaie de nouer des relations qui lui permettront de développer son entreprise. Pour cela, elle n’hésite pas à contacter les grosses pointures du domaine. Elle révèle au reporter de Burundi Eco avoir envoyé une correspondance à la célèbre maison française Louis Vuitton. Elle avait entendu que cette maison implantait des franchises dans les pays étrangers. Malheureusement quelques critères ont fait qu’elle ne soit pas éligible. Entre autres, la maison exigeait qu’elle ait un diplôme ou un certificat de formation dans le domaine ; chose dont elle ne dispose pas. Pour autant, Irakoze ne s’avoue pas vaincue. Elle compte porter le chiffre d’affaires de son entreprise à 50 millions de FBu par mois dans 10 ans. « Si on importe des produits d’Ouganda, du Kenya, de la Chine ou d’ailleurs, pourquoi on n’exporterait pas nos produits vers ces pays nous aussi ? », s’interroge la jeune entrepreneure insatiable d’une voix qui ne laisse aucune place au doute.

Son entreprise, une source de beaucoup de fierté

Une des grandes fiertés Mme Irakoze est d’avoir  donné du travail à 3 jeunes gens  leur permettant ainsi d’entretenir leurs familles. Voir qu’il y a des gens qui vivent grâce à son idée lui procure un grand plaisir. Elle compte agrandir son entreprise pour donner du travail à beaucoup d’autres jeunes. Elle caresse l’idée d’ériger une entreprise familiale solide dans laquelle travailleront ses enfants et ses petits-enfants. Ses anciens camarades de classe viennent visiter son entreprise. Il y en a qui lui demandent même des conseils quand ils veulent lancer leurs affaires. Cela aussi lui procure un grand plaisir. Au début, l’entourage se moquait d’elle parce qu’elle rentrait couverte de poussière. Il y en a même qui lui conseillaient de tout vendre et de « manger » les 3 millions qu’elle venait de gagner.  On ne comprenait pas son entêtement. Maintenant ils ont appris à la respecter. C’est une autre source de fierté pour cette dame d’un caractère bien trempé.

A propos de l'auteur

Parfait Nzeyimana.

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Selon les récentes statistiques du Recensement Général de la Population, de l’Habitat, de l’Agriculture et de l’Elevage de 2024, Bujumbura est la ville la plus peuplée avec 3 353 555 habitants, suivie de Gitega avec 2 118 551 habitants, respectivement capitales économique et politique du pays. Cette croissance démographique, observée d’année en année, est inégalement répartie : une grande partie de la population vit désormais dans les quartiers périphériques. Certains y voient une aubaine, notamment en ce qui concerne la disponibilité de la main-d’œuvre. D’autres, en revanche, perçoivent cette situation comme une menace évidente. Une ville surpeuplée, si elle n’est pas bien urbanisée, peut en effet devenir victime de graves problèmes environnementaux.

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